«Quand, ils m’ont arrêté, ils m’ont conduit à Bargny. Et personne d’entre eux n’a été capable de me dire ce qu’ils me reprochent. Je leur ai dit que s’ils ne me libéraient pas dans les deux semaines, on allait foutre en l’air ce pays».

Officier sorti de la très prestigieuse école Saint-Cyr et récemment radié de l’armée, Mamadou Dièye continue de défrayer la chronique. Peut-être que ce jeune capitaine a certainement des états de service impeccables dans l’armée, qui font qu’il a une très haute idée de lui même et qu’il croit réellement qu’il est «habité» par la mission messianique de redresser des torts. Il n’y a rien de nouveau sous le soleil.

Dans tous les asiles du monde, on rencontre des agités qui se prennent pour Napoléon ou Alexandre le Grand ! Mais entendre un homme qui a porté l’uniforme des «Jambaar» menacer de « foutre en l’air» le Sénégal, est quelque chose de carrément insupportable pour le civil que je suis et qui, au cours de sa modeste carrière de reporter, dans différents théâtres d’opération, a rencontré ou entendu parler d’officiers et de soldats d’un tout autre calibre.

Envoyé spécial de la Tfm en Casamance en compagnie de mon collègue Aboulaye Der après le massacre de Boffa Bayottes, j’ai eu la chance de longuement discuter avec un ancien du maquis. Entré dans la rébellion à l’âge de 15 ans, Daniel Diatta en gravit rapidement les échelons et fut l’un des plus féroces chefs des opérations du Mfdc, auteur de carnages à répétition. Quand j’ai demandé à Diatta de me dire quels étaient les souvenirs qui l’avaient le plus marqué, il me dit sans sourciller que ce fut le sale quart d’heure qu’il passa aux mains des hommes de feu le lieutenant-colonel Momar Talla Fall, alias « RAB » (Rien à branler), alors commandant de zone de Ziguinchor, qui l’avaient interpellé. L’ex-terreur du maquis pensa réellement que sa dernière heure était venue, tellement RAB avait la réputation de ne pas faire dans la dentelle pour lutter contre une rébellion qui était presque aux portes de Ziguinchor.

Dans la même région, s’est joué un drame terrible en 1995, lorsque les hommes du jeune lieutenant Babacar Diouf du Troisième bataillon d’infanterie, originaire du village de Gagnik, tombèrent dans une embuscade meurtrière à Babonda. Diouf et ses soldats combattirent farouchement avant de tomber les armes à la main. Deux ans plus tard, à Mandina Mancagne, une section d’élite du Cosri, commandée par le capitaine Sayfoulaye Sow, fut elle aussi prise au piège à Mandina Mancagne. La quasi-totalité de cette section fut anéantie mais le capitaine Sow et quelques rares autres, parvinrent à s’extraire miraculeusement de cette souricière.

En véritable trompe-la-mort, cet officier qui a eu à commander la 3e compagnie des parachutistes, la fameuse « canaque », l’une des unités de combat les plus aguerries de l’armée sénégalaise, aussitôt rétabli, fonça avec ses hommes dans l’enfer de Bissau au cours de l’ « opération Gabou ». Une intervention militaire déclenchée par le Président Diouf pour venir en aide au régime de Nino Viera en proie à une mutinerie déclenchée par le général Ansumane Mané et pour liquider le Mfdc sur ses bases arrières. C’est lors de cette expédition, très mal engagée au début, que les militaires sénégalais firent preuve d’un engagement exceptionnel. A l’image de feu le lieutenant Moustapha Samb, plusieurs fois blessé en Casamance, rescapé de Babonda, qui pris des risques énormes à la tête de ses troupes qui lui furent fatals.

Que dire alors du fameux capitaine Abdoulaye Ngom dont les exploits guerriers retentissants en ont fait un personnage légendaire à Bissau ? Dans le cadre d’un documentaire consacré au Paigc, j’ai eu la chance, en compagnie du journaliste de Rfi Allen Yerro Mballo, de m’entretenir avec le général Fodé Gassama, lui-même héros de la guerre de libération, qui me raconta comment les Bissau-Guinéens qui avaient réussi à chasser les colons portugais, furent meurtris par cette humiliation que fut la prise du camp de Bra par le téméraire capitaine Ngom. Sur le sol, Fodé Gassama dessina le plan de guerre qui permit aux mutins du général Ansoumana Mané de prendre à revers le capitaine Ngom au cours d’une violente contre-offensive qui lui coûta la vie.

Mon ami Allen, qui vécut dans sa chair cette guerre, me raconta aussi cette incroyable histoire de ce sous-officier sénégalais originaire de Coki, dont le corps fut retrouvé intact après une exposition au soleil de plusieurs jours, contrairement à celui de ses camarades tombés au champ d’honneur qui eux, furent ensevelis dans une fosse commune. Persuadé d’avoir affaire à un saint, un des chefs militaires bissau-guinéen procéda lui-même à sa toilette mortuaire selon le rite musulman et décida d’inhumer, avec le plus grand respect, le soldat dont on retrouva dans une des poches, outre sa pièce d’identité, une photo de sa petite fille d’environ 4 ans, en train de pédaler sur un petit vélo.

A Kigali, en compagnie d’un autre journaliste, mon aîné Pape Samba Kane, nous fûmes émus aux larmes lors de la visite du mémorial de Kigali qui renferme les restes de plus 300.000 personnes massacrés pendant le génocide de 1994 au Rwanda, lorsque le conservateur nous demanda des nouvelles de la famille du capitaine Mbaye Diagne. Un héros hollywoodien, qui sauva plus de 600 Tutsi menacés d’extermination par des génocidaires ivres de sang, alors que ses supérieurs de la mission des Nations-Unies se terraient.

Ce «good man in Rwanda , tel que l’a surnommé un journaliste de la Bbc qui lui a consacré un documentaire, fut tué à Kigali dans l’explosion de sa jeep alors qu’il s’apprêtait à rentrer au Sénégal. On pourrait continuer la liste de ces grands Sénégalais, militaires ou civils, au service de la patrie, dans l’abnégation la plus totale et au péril de leur vie, qui ont toujours porté très haut le flambeau du Sénégal. Et qui malgré des injustices réelles, subies parfois au cours de leur carrière, n’ont jamais menacé de « foutre en l’air » leur pays.

Barka Bâ

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