«Je passe par le ‘Couloir de la mort’». «Rejoins-moi au ‘Couloir de la mort’». «Je suis au couloir de la mort». Telles sont, entre autres, les phrases qu’on entend tout le temps prononcer par les étudiants de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad). Quel étudiant ne connaît pas le «Couloir de la mort», du nom de ce boulevard menant à l’université Cheikh Anta Diop, contournant le campus social. «Le ‘Couloir de la mort’», ce groupe de mots qui revient tout le temps dans la bouche de bon nombre d’étudiants recouvre une multitude d’histoires, des versions différentes narrées par les étudiants et chercheurs que nous comptons aujourd’hui vous rapporter.


Il y a de ces endroits à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad) dont le simple fait de prononcer leur nom aiguise la curiosité. C’est le cas du «Couloir de la mort». Ce couloir d’une centaine de mètres est un contournement du campus social emprunté, chaque jour, par des milliers et des milliers d’étudiants pour rejoindre le campus pédagogique. Cette appellation donnée à ce couloir, qui est en réalité une route, a suscité beaucoup d’interrogations et aiguisé une curiosité qui demeure insatiable de la part des étudiants, surtout des novices. En effet, aussi bien que l’on remonte au fil des années, ce nom a toujours existé. Nos aînés et les aînés de nos aînés ont trouvé cette appellation comme telle. Les explications sur la toponymie de ce lieu vont bon train. Des explications qui varient d’une personne à une autre.

Pour Waly Ndiaye, doctorant en biologie animale, option sciences halieutiques, en ce qui concerne la toponymie du «Couloir de la mort», il y a deux versions qui sont racontées. «Je suis à l’Université depuis 1999, date à laquelle j’ai eu mon Bac, il y a de cela 14 ans. J’ai trouvé ce nom (Couloir de la mort) ici et je connais le ‘Couloir de la mort’, d’autant plus que je logeais au pavillon J. J’étais juste derrière le couloir», informe-t-il avant de souligner : «Avant de venir à l’Université, je l’ai fréquenté et les gens parlaient de ce couloir. J’entendais tout le temps les étudiants dire ‘Couloir de la mort’, ‘Couloir de la mort’… Et je regardais les yeux grandement ouverts pour voir effectivement s’il y avait quelque chose de bizarre dans ce couloir qui tue les gens». Donc, ajoute Waly Ndiaye qui dit avoir demandé automatiquement pourquoi cette appellation, c’était une grande curiosité qu’il fallait satisfaire coûte que coûte. «Quand j’ai demandé, on m’a juste expliqué que si jamais il y avait grève et qu’on se trouvait dans le ‘Couloir de la mort’, coincé, c’est la mort. Il n’y avait pas d’issues».

Cette première version racontée par bon nombre d’étudiants rencontrés au niveau du campus social, dans les amphithéâtres, les bibliothèques et autres endroits de l’Université est pour le doctorant en biologie animale acceptable. Car reconnaît-il être un jour coincé dans ce couloir et qu’il ne s’en est pas sorti sain et sauf. «J’y crois, je n’y crois pas. Mais je peux vous dire qu’un jour, j’ai été victime, j’étais coincé au couloir de la mort, alors qu’il y avait affrontement entre les étudiants et les forces de l’ordre», indique le chercheur. Sur ce, il narre son aventure dans le «Couloir de la mort» : «J’étais parti en ville régler des problèmes de bourse, malheureusement la grève avait éclaté derrière moi. A mon retour, j’ai emprunté le ‘Couloir de la mort’, les Gmi sont sortis par le Cesti et voilà je suis resté coincé, encerclé par les Gmi qui s’étaient postés à côté de l’école Véto (Ecole des vétérinaires) et les autres qui étaient au Cesti. C’était le sauve-qui-peut et j’en suis sorti avec une grande cicatrice au genou parce que j’avais voulu escalader les grilles du Cesti à l’époque. J’ai compris effectivement que c’est pourquoi on appelait cet endroit le ‘Couloir de mort’», relate Waly Ndiaye.

«Couloir de la mort», la voie qui mène au «cimetière des étudiants»

La deuxième version, d’après le biologiste, relève d’une taquinerie venant des étudiants. «Le plus souvent, j’étais avec mon cousin, j’étais son cadet. Il me disait en réponse à la question de savoir pourquoi le ‘Couloir de la mort’ qu’il y avait auparavant une animalerie qui existait derrière la faculté de médecine, avant d’entrer au garage actuelle de la faculté qu’on appelait cimetière des étudiants. Tout étudiant qui était mort était transporté à partir du campus social jusque-là bas (cimetière des étudiants) en empruntant ce couloir», renseigne M. Ndiaye qui indique que c’est pourquoi on appelait cette longue allée le «Couloir de la mort». En ce sens, Waly Ndiaye de souligner son étonnement : «J’étais automatiquement étonné et on m’a dit que c’était fréquent que les étudiants meurent ici». Peut-être, dit-il, que c’était juste pour (me) faire peur qu’il m’a raconté ça.

Du côté de Ndèye Khady Ndiaye, étudiante en deuxième année en Sciences naturelles, cette histoire du «Couloir de la mort» peut trouver une explication, comme l’a si bien indiqué Waly Ndiaye, avec les grèves qui se déroulaient à l’Université. «Quand il y a grève, il était dangereux de passer par ce couloir. Les Gmi sortaient de partout et l’étudiant qui s’y aventurait, risquait d’être pris au piège, d’où le nom ‘Couloir de la mort’», fait savoir la jeune demoiselle.

«Couloir de la mort» ou le «Couloir des condamnés»

Par ailleurs, de cette histoire du «Couloir de la mort», Abdou Kader Guèye, homme à tout faire au service général de la Faculté des lettres et sciences humaines, depuis plus de 18 ans, raconte : «Cette appellation, je l’ai trouvée ici. Il paraît que c’est un nom donné par des étudiants». D’après lui, c’est parce que ce couloir était comparable au couloir qu’emprunte un prisonnier pour exécution. «Vous savez un prisonnier condamné à mort passe par un couloir pour aller à la salle d’exécution. Ici, les facultés étaient considérées comme des salles d’exécution. L’étudiant qui quitte le campus social pour rejoindre sa faculté pour aller faire un examen passe par ce couloir, d’où le nom de ‘Couloir de la mort’», explique l’homme à tout faire.

Toutefois, si certains étudiants se préoccupent de la toponymie de ce nom, voire de son origine, d’autres comme c’est le cas d’Ababacar Dramé n’y accordent pas beaucoup d’importance. Etudiant en deuxième année à la Faculté de droit, ce jeune homme trouvé en pleine révision n’a pas hésité à avouer qu’il ne connaissait pas l’histoire de ce couloir et qu’il n’a pas cherché à savoir. «Je connais le ‘Couloir de la mort’, mais je ne connais vraiment pas son histoire. Je ne le connais pas et je l’avoue, je n’ai pas cherché du tout à me renseigner sur l’origine de ce nom. Je passe là-bas régulièrement et j’entends toujours le ‘Couloir de la mort’, mais je ne connais pas son histoire», déclare le jeune étudiant. Ce dernier, même s’il n’a pas cherché à s’informer sur l’origine du nom donné à cette allée, affirme quand même : «J’ai entendu dire qu’il y avait un lien avec les grèves universitaires, mais je n’en sais pas davantage».

PROFESSEUR PAPE NDIAYE, DIRECTEUR DU LABORATOIRE DE BIOLOGIE ET D’ECOLOGIE DES POISSONS EN AFRIQUE DE L’OUEST, ANCIEN DIRECTEUR DE L’IFAN : «Il n’y avait pas de bus dans ce couloir et pour rejoindre le campus pédagogique, tu étais obligé de marcher»
L’histoire a montré qu’il y a de cela très longtemps, ce couloir, mal éclairé, était emprunté par peu d’étudiants. A ce sujet, raconte le professeur Pape Ndiaye, directeur du laboratoire de biologie et d’écologie des poissons en Afrique de l’Ouest, ancien directeur de l’Institut fondamental d’Afrique noire (Ifan) : «Quand j’étais étudiant, il y a 42 ans, on appelait déjà ce couloir ‘Couloir de la mort’». Parce que, indique le chercheur, «c’était un endroit solitaire, désert et peu fréquenté».

Sur ce, il ajoute que «dès qu’on quittait la cité universitaire pour regagner les facultés, on faisait dix minutes de marche. Essoufflé, seul, on craignait des agressions car le chemin était obscur et sombre». «Ce n’était pas sûr, on pouvait être agressé d’où le nom ’Couloir de la mort’», fait-il savoir. Ainsi, se voulant un peu plus clair dans son récit, M. Ndiaye d’argumenter : «Il n’y avait pas de bus dans ce couloir et pour rejoindre le campus pédagogique, tu étais obligé de marcher». Sur ce, il renseigne : «J’ai trouvé cette appellation ici, mais la version que je sais c’est celle que je vous ai racontée».

Par ailleurs, ce chercheur – qui depuis plus de 42 ans est présent à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar – n’a toujours pas résolu l’énigme. Le «Couloir de la mort» a existé bien avant qu’il n’arrive à l’Université et jusqu’à présent personne n’arrive à donner une explication valable quant à l’origine de ce nom. C’est le cas du professeur, chercheur à l’Ifan, Ibrahima Sow qui indique ignorer la toponymie de ce nom.

Une énigme à percer

Une énigme. Le très célèbre «Couloir de la mort» reste une énigme. Certes, on a cherché, beaucoup cherché. On a interrogé des témoins de l’histoire, des chercheurs de l’Ifan Cheikh Anta Diop de Dakar, des étudiants aussi. Mais le mystère reste entier, bien que des explications, pour certaines convaincantes, ont été fournies quant à l’origine du nom «Couloir de la mort» collé à cette route d’environ

2 km de long qui pénètre à l’intérieur de l’Université Cheikh Anta Diop depuis l’avenue du même nom. Aussi, le débat reste ouvert quant à l’origine de ce nom. Et nous restons ouverts à toutes les informations susceptibles d’édifier les Sénégalais sur cette énigme pour percer le mystère. Nos colonnes sont ouvertes à tous.

LEAVE A REPLY

Please enter your comment!
Please enter your name here