Le remaniement ministériel du 7 septembre dernier a eu la forme et l’effet d’un craquement ministériel ; tant le vacarme, la colère, les récriminations et les amorces  de menace et de chantage ont secoué l’APR (le Parti de Macky Sall) et inévitablement éprouvé l’institution présidentielle qui, elle, n’est pas l’appendice d’une formation politique, mais la clé de voûte de la République chère à tous les citoyens du Sénégal. Des ministres non reconduits – pas tous, heureusement – ont beuglé à la radio et à la télévision, comme des bêtes dirigées vers l’abattoir. Des agissements sidérants qui escortent une revendication maximaliste et adressent un message menaçant : « Moi, Monsieur X, je reste ministre jusqu’au mausolée ou au Panthéon, sinon je mitraille la République et son Président par des rafales de révélations gravissimes ». Des menaces qui restent, jusque-là, verbales. Toutefois, les symptômes d’un début de cancer ravageur pour l’Etat, sont vivaces.

Le diagnostic aiguillonne vers la gouvernance post-alternance de 2000. Une alternance merveilleuse au plan de la démocratie mais calamiteuse au chapitre de la gouvernance. En effet, c’est Maitre Abdoulaye Wade qui a donné le premier coup de hache au solide tronc de l’Etat bâti et consolidé par ses deux devanciers : Léopold Sédar Senghor et Abdou Diouf. Virtuose de la politique, le Père du Sopi n’est pas un orfèvre de l’Etat. Les critères et les filtres qui garantissent, à 90%, les bons choix des membres du gouvernement, ont été perdus de vue ou royalement ignorés par le leader et fondateur du PDS. Fort de ses prérogatives constitutionnelles, le Président Wade a diffusé le changement (Sopi) tous azimuts. Un chambardement, digne de l’ouragan Irma, qui a placé dans le gouvernement et dans certaines institutions et autres services stratégiques, des hommes et des femmes impréparés et, surtout, non imbus de la morale et du culte de l’Etat. Avec Wade, la politique est à son zénith, tandis que la bonne gouvernance institutionnelle (le bon fonctionnement de l’Etat) amorce inexorablement le crépuscule.

Tombeur et successeur de Maitre Wade, le Président Macky Sall n’est pas assimilable à l’ouragan dévastateur Irma. Il (Macky Sall) convoque plutôt, l’image d’une citerne d’acide mal fermée et fortement inclinée sur un stock de tissus bazin. Comment comprendre que ce Président très bien élu, en 2012, (65% des voix) dans un pays excédentaire  en ressources humaines de qualité, ait pu nommer dans le gouvernement du Sénégal (ce n’est pas le gouvernement de l’APR) des individus qui n’ont jamais rêvé d’un destin préfectoral, à fortiori, ministériel ? En attendant la réponse, on a le résultat inédit sous les yeux : des apostrophes irrévérencieuses en direction du chef de l’Etat et des menaces de « révélations gravissimes », selon – justement – la gravissime expression de l’ex-Secrétaire d’Etat, Youssou Touré. Du jamais vu et du jamais entendu.

Chassé du gouvernement d’Habib Thiam, poussé vers la porte de sortie du PS par des gens moins anciens et moins « senghoristes » que lui, traité d’ « hypocrite » par Abdou Diouf lors du mémorable « congrès  sans débats », (les archives sonores sont disponibles à la RTS) Djibo Leyti Ka fut stoïque et silencieux. Lui, le grand réceptacle de moult secrets d’Etat, écarta l’arme du déballage. Il riposta par la création de l’URD et prit sa revanche, en battant Abdou Diouf, aux suffrages exprimés à l’école Berthe Maubert, lieu de vote de l’ancien Secrétaire général de l’OIF, à l’occasion des élections législatives de 1998. Belle leçon d’homme d’Etat digne et d’homme politique coriace ! Il s’y ajoute que – bien avant Djibo Ka – d’éminentes personnalités doublement bardées de légitimités (académique et politique) ont été éloignées du gouvernement du Sénégal, sans clapotis, sans vagues et sans houle.

Avant d’être ambassadeur inamovible du Sénégal à Paris, André Guillabert, longtemps député-maire de Saint-Louis, a été, dans l’Histoire de notre pays, le plus éphémère ministre des Affaires Etrangères. Auparavant, il avait perdu le portefeuille de la Justice. Des allers-retours qui n’ont jamais allumé, chez lui, la révolte contre le Président Senghor. Renvoyé du gouvernement au milieu des années 70, Habib Thiam a atterri au groupe parlementaire PS de l’Assemblée nationale où il a défendu avec brio, le gouvernement de son « bourreau », Senghor. Figure emblématique du PS, responsable de la grande Union Régionale UPS du Sine-Saloum d’alors, et dauphin parmi les dauphins du Président Senghor, Babacar Ba a été brusquement chassé du gouvernement, comme un mal propre. Aucune idée de divulgation de secrets d’Etat n’a effleuré son esprit. Plus près de nous, les hommes et les femmes ayant réellement le calibre et la carrure de ministrables (Mankeur Ndiaye, Awa Marie Coll Seck, Diène Faye etc. ont perdu leurs portefeuilles, sans émettre le moindre gémissement. La sagesse indissociable de l’âge et le sens du sacerdoce les habitent pleinement.

En vérité, le Président Sall est l’artisan de tout ce cocktail de déboires et de dérives qui ruinent l’image de son régime et, plus grave, préludent à la liquéfaction des institutions sénégalaises. En point de mire, on souligne d’emblée, la démarcation très mal établie (donc la frontière trop fluide) entre la présence et l’influence de la famille. Deux choses distinctes mais mal distinguées aux yeux des observateurs. Car, la présence visible n’est pas forcément l’influence débordante. Dès les premières années de l’indépendance de la Tunisie, Habib Bourguiba Junior (fils du Président Bourguiba et de la Française Mathilde) a été le dynamique ministre des Affaires de son pays. N’empêche, c’est le ministre de la Planification Ahmed Ben Sallah (père de la socialisation et de la réforme agraire) qui a été le numéro 2 du Parti Socialiste Destourien, l’homme fort du gouvernement et, surtout, le confident le plus influent du Président Habib Bourguiba. Chez nous, le neveu Adrien Senghor et le frère Magued Diouf ont certes siégé en Conseil des ministres, mais sans jamais éclipser les Premiers ministres, encore moins bousculer les rares ministres d’Etat comme Magatte Lo ou Assane Seck. Quant aux dames Colette Hubert et Elisabeth Assef, leurs influences réelles ou supposées n’ont jamais franchi les portes et les fenêtres des appartements privés et toujours verrouillés de leurs illustres maris. Aujourd’hui, les observateurs et les chroniqueurs n’ont plus besoin de supposer ou de supputer. C’est le ministre Mbagnick Ndiaye (voix autorisée et crédible) qui a rendu publiquement un mauvais service à la Première  Dame, par des remerciements incontrôlés, irresponsables et excessifs. Le mal est irrémédiablement fait.

Le quota ministériel de la famille n’est donc plus une fable de la Fontaine mais une réalité de l’avenue Roume, révélée par un bénéficiaire : Mbagnick Ndiaye. Un quota de tous les dangers ; parce que sans filtre ni tamis appropriés pour éliminer efficacement les fripouilles. Vivement que Macky Sall entame vite un retour aux mœurs et aux pratiques républicaines les mieux ancrées ! Dans les pays gouvernés de façon exemplaire, on accède aux hautes sphères de l’Etat par les deux voies royales que sont la base électorale ou les Grandes Ecoles. Le premier chemin confère la légitimité populaire via les urnes, la seconde piste débouche sur la légitimité  que confère l’expertise précieuse pour tout pays assoiffé de progrès. A côté des deux, s’érige la légitimité de l’antériorité, celle des compagnons ou combattants de la première heure dont la témérité et les sacrifices sont logiquement récompensés, en politique comme en religion. Cas des apôtres de Jésus Christ ou des « saabas » de Mohamed (Paix et Salut sur Eux deux).

En France, Jacques Foccart (baccalauréat plus rien) a dirigé une cellule de l’Elysée peuplée d’énarques et d’officiers supérieurs. Charles Pasqua (Représentant commercial de la boisson Orangina) a commandé tous les préfets dans l’Hexagone et dans les DOM-TOM, en tant que ministre de l’Intérieur. Deux carrières au sommet qui plongent leurs racines dans la Résistance armée et libératrice de la France. En Angola, au Mozambique et en Guinée-Bissau, des héros de la lutte de libération nationale (parfois analphabètes) ont plus de privilèges que les traitres diplômés et complices de l’ex-colonisateur. On comprend alors la colère affichée – mais mesurée et contrôlée –  de Thérèse Faye de la COJER dont on oublie l’arrestation et l’emprisonnement momentané, après le burlesque coup d’Etat de minuit annoncé à la Télévision par le ministre de l’Intérieur, Cheikh Tidiane Sy.  

Le florilège des témoignages qui ont ponctué les obsèques de Djibo Leyti Ka, montrent à suffisance que l’Etat n’est ni une maison familiale ni un moulin de banlieue. Tout ministre limogé doit normalement être une tombe refermée sur une somme de secrets. Siéger en Conseil des ministres condamne au respect du silence sur les secrets engrangés dans cette instance suprêmement délibérative et exécutive. Du reste, dans certains pays, les ministres nommés prêtent serment sur le Coran (cas de la Tunisie) ou sur la Bible. Dans d’autres Etats africains, les anciens ministres qui divulguent des secrets d’Etat ou menacent ouvertement d’en divulguer, se retrouvent en prison (meilleure éventualité) ou reçoivent une balle dans la nuque (pire éventualité), œuvre de faux voleurs qui visitent opportunément leurs domiciles. Au Sénégal, terre de liberté et non de goulag, la Gendarmerie peut bien entendre, sur procès-verbal, ceux qui envisagent de faire des « révélations gravissimes ». L’heure est grave. La gouvernance devient de plus en plus clochardisée et périlleuse, du fait des interférences obscures et des nominations hasardeuses voire imposées.

LEAVE A REPLY

Please enter your comment!
Please enter your name here