Le 30e anniversaire du cabinet d’ingénierie conseil Idev Ic, annoncé pour le 11 mai prochain, sera placé sous l’égide de l’Association des professionnels de l’ingénierie conseil du Sénégal (Apics), selon Mamadou Daffé, Directeur général dudit cabinet, par ailleurs président de l’APics, qui revient avec Le Quotidien sur les difficultés de la profession.

Idev Ic fête ses trente ans dans les semaines à venir. Quels sont les objectifs de cette célébration ?
Nous avons considéré que 30 ans, ça se célèbre d’une manière ou d’une autre, parce que 30 ans c’est déjà l’âge adulte. Nous voulons aussi, expliquer notre parcours, les défis auxquels nous avons pu faire face, les enjeux d’hier et ceux d’aujourd’hui. Mais, ce 30e  anniversaire, nous l’avons placé sous l’égide de notre association. C’est pourquoi, nous avons dit que la célébration pour nous, est juste un prétexte que nous saisissons pour discuter, échanger, communiquer et partager la vie d’entreprise dans le génie conseil, parce que nous avons traversé des étapes en tant qu’entreprise, les mêmes épreuves  probablement, que les autres confrères. Donc, nous avons pris contact avec l’ensemble de nos confrères, puisqu’il se trouve que c’est moi-même, le président de cette entreprise de génie conseil en représentant 28 des bureaux d’ingénieurs conseils les plus importants  du Sénégal. Nous avons considéré qu’il est plus pertinent de parler de l’entreprise de génie conseil que de parler d’Idev Ic proprement dit.
Et à côté du forum, nous allons faire une exposition sur les œuvres que nous avons réalisées. Nous avons travaillé sur de grands projets comme le Mca (Millenium challenge account). C’était un de nos derniers projets. Nous sommes aujourd’hui, en train de travailler pour le Pedidas (le Projet pour le développement inclusif et durable de l’agribusiness au Sénégal : ndlr) qui est un grand projet de l’Etat. Nous avons travaillé sur beaucoup d’autres grands projets qui sont aujourd’hui achevés.  Donc nous avons un peu acquis de l’expérience et tout ça mérite aujourd’hui, qu’on en parle. Alors, c’est cette expérience, cette référence que nous avons tenu à manifester à célébrer pour marquer, échanger, réfléchir et faire une sorte de  «deump» un peu de ce que nous sommes et de  ce que nous avons été pour nous permettre de se lancer.

Vous parlez de «deump», cela veut-il dire que le secteur bute sur des difficultés ?
Nous avons un problème de reconnaissance par ceux qui font et définissent les politiques et les mettent en œuvre. Nous avons du mal aujourd’hui,  à comprendre que de grandes réflexions se mènent dans ce pays, sans la participation de ceux qui sont en amont même avant l’amont, qui  sont pendant et qui sont après.  Aucun projet ne se met en place surtout en matière structurelle,  sans faire l’objet d’étude. L’Etat ne peut pas  aujourd’hui, ignorer  ou  méconnaitre que nous avons une place essentielle à jouer dans  l’accompagnement des grands projets, comme le Pse et d’autres. Puisque  les autorités contractantes  relèvent de l’Etat et ce sont elles  qui passent les marchés. Ce que nous déplorons, c’est le fait que ce sont les autres cabinets dits internationaux  qui viennent aider  l’Etat à la réflexion en amont et  parfois, de façon payante.  Nous sommes absents, par exemple de tous les voyages du président de la République. En tout cas, on y va pas en tant que corporation, peut-être un ou deux cabinets qui sont proches du pouvoir y prennent part. Il faut neutraliser les choses, pour que ça soit la profession qui désigne ceux qui doivent participer à ces ré­flexions pour accompagner l’Etat. Nous avons écrit, mais en vain.  En ce qui concerne le Pse (Plan Sénégal émergent : Ndlr), nous étions les premiers à nous l’approprier avant son démarrage formel. Car, nous avons considéré que dans le Pse, il est décliné que les acteurs nationaux devraient se l’approprier. Nous avons ainsi organisé un séminaire sur fonds propres. Malheu­reu­sement, aucune autorité ne s’y est présentée. Autrement dit, non seulement, nous n’avons pas été dans la conception du Pse, mais aussi nous avons été absents du plan. Alors qu’aujourd’hui, je vois que tout le monde est devenu Pse.  Je pense qu’il y a une tendance, malheureusement,  à la folklorisation  du Pse et c’est dommage. Car les vrais acteurs ne se sont pas appropriés du plan comme il faut. Donc, pour dire que notre rôle, notre  place, est relativement, méconnu  par l’autorité.

Que représente l’ingénierie conseil dans l’économie sénégalaise ?
Au moins nous créons des emplois. Nous considérons que les cabinets de conseil créent autour de 2 000 ou 2 500 emplois par an, que ça soit des emplois temporaires ou fixes ou sur chantier. Nous avons des chiffres d’affaires qui impactent le Pib. Pour moi, on ne peut pas émerger dans ces conditions-là, parce que si une partie émerge et que l’autre reste en rade, il n’y aura pas émergence. L’émergence c’est le pays, c’est la communauté nationale au travers de ses différentes composantes, il n’y a pas d’émergence sans que l’ensemble de ces communautés émergent.  Nous avons une acception un peu de l’approche du développement qui malheureusement, ne favorise pas le secteur privé national. Il faut le dire clairement pour que l’autorité en prenne conscience. Parce qu’aujourd’hui, nos marchés de conseil sont dominés par la France, le Maroc, la Chine, la Turquie… et beaucoup d’autres problèmes qu’on a. La fiscalité, tout le monde a subi cette année le contrôle fiscal. C’est normal, mais le problème c’est que la profession n’est pas connue et elle n’est même pas rubriquée comme telle. Tu ne verras pas  l’entreprise génie conseil, tu verras un peu profession libérale, entreprise de commerce. Nous voulons que la fiscalité nous écoute pour savoir quels sont nos problèmes, comment nous les vivons de manière à ce que cela soit codifier de manière à tenir compte de notre spécificité et de notre réalité.

Est-ce que vous faites suffisamment de lobbying ?
Nous avons rencontré le fisc une fois,   nous avons écrit pour rencontrer l’ensemble de ces autorités qui relèvent des services fiscaux.  Ils nous ont reçus une fois.  Il faut instaurer des rencontres plus ou moins régulières avec elles  afin qu’on prenne en compte nos spécificités dans les révisions en cours.  Dans notre plan d’action, on a un plan communication, un plan stratégique  pour permettre de mieux nous faire connaitre. Mais quand vous voulez  parler à quelqu’un qui ne veut pas vous parler, que faites-vous ? Je dis que j’ai écrit au président de la République le 1er janvier pour une audience, dans le cadre de cette célébration et à ce jour, ni accusé de réception, ni mise en relation, ni réception. Qu’est-ce que je fais,  je ne vais pas quand même battre le tam-tam pour cela. Mais je constate quand même que les chefs d’entreprise d’ailleurs, sont reçus. La dernière fois, j’ai appris que c’est un chef  d’entreprise tunisien qui est reçu.

Est-ce que cela n’est pas lié à votre mutisme ?  
Nous sommes dans un secteur silencieux, l’ingénierie conseil est un secteur silencieux, c’est la science, c’est la technique. Le bruit n’est pas bon pour nous. Nous faisons confiance à la sagesse de l’autorité, d’autant que je l’ai dit une fois dans un journal de la place. Quand le Président est venu au pouvoir,  c’est un ingénieur qui est venu au pouvoir, nous avons dit rien ne sera plus comme avant pour nous ingénieurs conseils, pour les ingénieurs sénégalais. Mais pour nous, fondamentalement, nous sommes dans la continuité.

S’agit-il d’une déception ?
Une grosse déception pour nous, parce que nous avions pensé que notre problème serait pris à bras-le-corps. C’est l’ingénieur qui met les choses en place pour qu’elles soient en ordre. Si elles ne le sont pas du fait simplement, que l’autorité que nous avons devant nous, qui répond de ce métier-là et que du coup il ne regarde pas pour dire voilà comment je vois les choses, il peut même nous inspirer, s’il y a des critiques, nous sommes prêts à les écouter. Sûrement nous avons des faiblesses, mais c’est à l’autorité de nous de les rapporter pour que nous les corrigions, parce que soi-disant l’ingénieur sénégalais… Mais bon, tous les ingénieurs ont leurs forces et leurs faiblesses, il faut atténuer les faiblesses et renforcer leurs capacités pour une prise en charge correcte. Pour répondre précisément, au fait que nous sommes eu peu trop silencieux, en tout cas, c’est vrai nous l’assumons. Ce silence était aussi voulu, mais comme nous sommes dans un pays de bruit, peut-être qu’il faut faire en sorte que de temps en temps un bruit sorte même s’il ne nuit pas aux principes de cette confidentialité et de cette confiance du client. Vous êtes mon client, vous me confiez un projet, je n’ai pas le droit de le divulguer à autrui sans votre autorisation. C’est un peu cela, qui nous maintient et puis nous sommes dans un domaine qui n’aime pas trop le folklore. Nous tentons d’être cartésien, de faire en sorte que nous soyons par notre mérite et non par notre bruit comme c’est souvent le cas. Je vois souvent des entreprises dont on parle partout avec beaucoup de bruit, de cérémonies par-ci par-là au moindre prétexte. Bon, j’appelle cela des hommes d’affaires et nous, nous sommes des chefs d’entreprise techniques et scientifiques. C’est là la différence. Nous sommes entre la recherche et le grand développement, parce que c’est nous qui faisons un peu l’interface. Donc nous faisons du bruit à notre façon. En tout cas, nous ferons en sorte qu’avant de faire du bruit, nous le justifions. Si vraiment les gens restent sourds et n’entendent que le bruit, on va finir par le faire pour nous faire entendre et c’est nécessaire, parce que la vie de nos entreprises et associations en dépend. On ne peut pas contribuer, parce que Idev c’est minimum 50% d’emplois, d’ingénieurs de bac plus 5, nous sommes le secteur qui emploi plus probablement d’emplois qualifiés en dehors de la recherche. Quand ce sont des entreprises de travaux, tu trouveras plus de manœuvre, d’ouvriers que d’ingénieurs, parce qu’ils n’ont pas  besoin d’autant. Mais nous, nous sommes recruteurs, parce qu’on dit, je ne sais pas si la statistique est bonne ou pas, que tous les ans, il sort 200 mille diplômés par an. Vrai ou faux, peu importe, même si c’est 50 mille par an, c’est important de les caser et nous sommes un secteur qui permet de caser ces promotions qualifiées qui ont bac+3, 4, 5. C’est important, car pour moi c’est une valeur ajoutée. Le monde va marcher par la science et la technologie. Nous sommes des acteurs essentiels dans la promotion de cette science et de cette technologie-là, donc raison de plus pour dire que nous considérons que nous sommes un secteur important et nous voulons faire comprendre à l’Etat, à l’autorité que nous sommes un secteur important qui doit être soutenu. Mais, nous sommes suffisamment, grands pour nous prendre en charge en tant que privé, c’est la compétition, la concurrence auxquelles nous faisons face tous les matins.

Quel message allez-vous lancer à vos collègues ?
Je souhaite que les entreprises de conseil elles-mêmes que nous constituons prennent conscience de leurs forces et de leurs capacités et qu’elles fassent le maximum de solidarité entre elles pour pouvoir porter même si nous sommes en compétition ou en concurrence, mais quand il s’agit du bien commun, de l’objectif commun, que nous ayons la même stratégie. Il faut qu’on réunisse nos forces pour réussir, parce que tant qu’on est négligeant, nonchalant, c’est certains qui vont porter le fardeau à la place de tout le monde. Mais si tout le monde le porte en même temps avec le même objectif, il n’y a aucune raison pour que nos interlocuteurs ne nous entendent pas.

Source : http://www.lequotidien.sn

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