La politique d’orienter tous les étudiants bacheliers dans le public a des limites objectives, des conséquences désastreuses sur l’économie, sur l’excellence de l’éducation et sur l’emploi des jeunes. Le partenariat avec le privé est nécessaire dans le financement de l’enseignement supérieur. Surtout cette décision du « Tous dans le public » est contre l’excellence de nos universités.

Le problème du financement de l’enseignement supérieur

Le Sénégal compte près de 162 635 étudiants pour près de16 millions d’habitants.  La France compte  2,7 millions d’étudiants pour 67 millions d’habitants. Il faut ainsi multiplier l’effectif des étudiants actuels par 4 pour atteindre le ratio de la France et par 6 celui des USA. Le Sénégal est à 0.8 sur 2 selon le barème de l’UNESCO en termes de populations en âge d’accéder à l’enseignement supérieur.

En clair, l’enseignement supérieur sénégalais devrait compter 300 000 étudiants sur les 15 millions d’habitants en 2018. Le taux d’accès à l’enseignement supérieur au Sénégal est de 11,22% en 2017, là où le seuil requis est de 50% pour un pays qui aspire à devenir émergent. C’est la masse critique qui permet de produire des « personnels qualifiés et compétents pour assurer son développement. Le taux d’accès à l’enseignement supérieur au Sénégal reste encore faible en comparaison avec d’autres pays africains comme l’Afrique du Sud (19,78%), la Tunisie (32,58), Maurice (38,84) ou encore des pays émergents tels que la Malaisie (44,12%) et le Brésil (50,6%).  C’est dire que des efforts sont encore à faire dans la massification des effectifs de l’Enseignement supérieur.

Le budget actuel de l’enseignement supérieur au Sénégal étant de 195 milliards, il faut plus de 500 milliards à investir pour résorber le gap actuel. Il s’y ajoute un investissement important pour l’amélioration de la qualité, et pour gérer les effectifs actuels.

En France le programme d’augmentation de 50 % de l’enseignement supérieur sur 5 ans équivaut à 2 fois et demie le budget total du Sénégal. L’autonomie des universités s’accompagne d’un engagement financier inédit de l’Etat : 50 % d’augmentation du budget de l’enseignement supérieur sur 5 ans, soit au total 15 milliards d’euros de crédits publics supplémentaires pour les universités.

Orienter tous les bacheliers dans les universités publiques nécessite des infrastructures à construire en grand nombre, près de 5 universités par an, rien que pour absorber les nouveaux bacheliers (50 000 bacheliers à raison de 10 000 étudiants par université). Il s’y ajoute d’autres infrastructures à construire pour désengorger les universités actuelles.  Les universités publiques sont déjà submergées par des effectifs pléthoriques. Les infrastructures en construction notamment l’université du Sine Saloum et celle de Diamniadio, ont duré plus de 6 ans, sans qu’elles ne soient encore terminées. L’Etat est déjà financièrement essoufflé pour seulement 60 milliards sur ces 7 ans. Sans compter les autres énormes charges qu’il devait gérer si les universités fonctionnaient en plein régime.

Certaines universités comme Bambey,  ont  déjà dépassé leurs  capacités d’accueil : 1290 prévus, nombre actuel 4900. Il s’y ajoute 3000 supplémentaires, avec la décision de l’Etat d’orienter tous  les nouveaux bacheliers. En 2018-2019 les nouveaux bacheliers orientés à Bambey étaient de 1300 étudiants.  L’Université de Thiès va accueillir 2 fois plus d’étudiants qu’elle n’a de capacité actuelle 10 000 pour 5000.

Les PER sont en sous nombre par rapport aux étudiants dans toutes les universités du Sénégal; A l’université de Bambey les PATS sont 133 (CDI),  les PER sont 110.  Ce qui est en deçà de la norme internationale estimée à 1 enseignant pour 25 étudiants  Ce déficit d’enseignants pose de sérieux problèmes de pédagogie, d’encadrement et de suivi.  Au Sénégal le ratio d’encadrement est de 1 enseignant pour 47 étudiants. Il faut impérativement un doublement des enseignants pour gérer le nombre actuel et un doublement  de l’effectif des PATS qui est près de 2000 employés et qui devaient être plus de 4000.

A côté du déficit en personnel d’enseignement et de recherche, du déficit d’infrastructures pédagogiques et de laboratoires de recherche dans les universités publiques, du déficit du personnel administratif technique et de service, il y’a une insuffisance de la culture d’évaluation et d’Assurance qualité dans les Etablissements d’enseignement supérieur, une absence d’obligation de résultats et de performance, une politisation des postes administratifs, une absence de nomination démocratique du top management des universités.

Les universités manquent aussi d’autonomie. Elles ne disposent pas de tous les leviers pour organiser leurs formations en fonction des besoins de leurs étudiants, de la situation de l’emploi, pour faire émerger de nouvelles niches d’excellence scientifique, recruter des chercheurs de haut niveau, valoriser l’engagement des personnels, créer des fondations, développer les coopérations avec les entreprises.

Le privé avait permis la stabilisation des effectifs du public et de desserrer l’étau

Année
public
privé
Total
2012-2013
100 157
27 163
127 320
2013-2014
108 999
32 457
141 456
2014-2015
112 874
35 083
147 957
2015-2016
110 952
41 037
151 989
2016-2017
114 898
47 737
162 635

L’effectif des universités s’était stabilisé entre 2013 et 2017 comme le montre ce tableau. L privé a pu résorber le ¼ des effectifs qui allaient encore alourdir  la situation des universités publiques. Ce partenariat avec le privé initié par l’Etat en 2013, de travailler avec le privé, a contribué à rehausser le taux d’accès à l’enseignement supérieur, à désengorger les universités publiques et à désamorcer les bombes sociales. Tant bien même que ce sont souvent les élèves qui sont passés au deuxième tour au bac, avec des moyennes de 8/20 au premier tour, une scolarité divisée par 2, les privés ont réussi à relever le défi de leur formation sans grèves ni contestations. Le taux d’insertion professionnelle après la licence tourne autour de 75% un an après l’obtention de la licence. Or il est de moins de 10 % dans les universités publiques si l’Etat s’engageait à faire des études objectives sur les performances.

Les débouches des écoles privées sont plus adaptées aux métiers des entreprises
 
 
 

 
Public
Privé
Effectifs
114 898
47 737
Nombre de filières
Moins de 40
Plus 120

Le nombre de filières dans les universités publiques est très maigre, moins de 40. Or, il existe une infinité de corps de métiers (nouveaux comme à créer). On note un manque de compétences des diplômés des universités publiques dans les métiers des entreprises.  L’employabilité des diplômés de l’enseignement supérieur public pose un sérieux problème. Il y’a une insuffisance des filières à vocation professionnelle et une  inadéquation entre la formation qu’ils ont reçue et les emplois des entreprises. Les professeurs qui leur dispensent des cours n’ont aucune expérience en entreprise, en tout cas pour la plupart.

Dans tous les pays développé le privé vient de plus en plus en appoint au public. En France, 18 % des étudiants sont inscrits dans des établissements d’enseignement supérieur privés… L’augmentation des effectifs est deux fois plus élevée dans le secteur privé.

L’apport du prive est nécessaire dans le financement de l’enseignement supérieur

Aux USA, le système de l’enseignement supérieur, encore plus performant qu’en France, est à la fois privé et sélectif. Pourtant, il enregistre plus de résultat en quantité et en qualité que la France : 20 millions d’étudiants pour 327 millions d’habitants aux USA, en France 2,7 millions d’étudiants pour 67 millions d’habitants.

Le système d’enseignement supérieur américain se caractérise par une très grande diversité des offres, tant du point de vue des programmes proposés que par la nature des établissements concernés. On compte environ 4700 établissements d’enseignement supérieur aux Etats-Unis, dont 35% sont « publics », 35% sont privés à but non lucratif et 30% privés à but lucratif. Il y a plus de 20 millions d’étudiants aux Etats-Unis, dont près de 8 millions sont à temps partiel. Alors que les universités « publiques » coûtent aux alentours des 10 000 dollars à l’étudiant l’année, les universités privées coûteront facilement 30 000 dollars par an. 

Le système de prêt étudiant est très développé aux États-Unis, et la plupart des étudiants n’hésitent pas à s’endetter auprès des banques pour étudier. Le « public » ne vient pas forcément en premier position dans le choix. Le financement des études n’est pas forcément un critère décisif dans le choix de l’université pour un étudiant américain. L’admission dans une université américaine est le résultat d’un double processus de sélection : choix des futurs étudiants par les universités, mais aussi choix des universités par les étudiants. 

Du côté des universités, la sélection des candidats est un processus très individualisé où sont pris en compte les résultats scolaires des trois dernières années d’études en lycée, les résultats aux tests ou cours standardisés (SAT ou ACT et AP), les caractéristiques propres du lycée ainsi que le profil personnel du candidat, en particulier son engagement dans des activités sociales, civiques ou sportives. 

Le Partenariat Public Privé est à la base du fonctionnement des universités occidentales. Les organisations privées peuvent très bien recevoir des aides financières publiques et les organisations publiques des donations privées. 

Alors que les universités publiques tentent en Occident d’être plus accessibles aux étudiants des classes moyennes, les universités privées se serviront de ses fonds pour recruter les meilleurs étudiants, même ceux qui n’ont pas les moyens de payer, via diverses bourses et aides.

En France les universités et d’autres établissements publics créent des fondations universitaires et partenariales pour renforcer et diversifier leurs ressources propres. Celles-ci, plus de 50, constituent un mode de financement complémentaire permettant aux universités de recourir au mécénat des entreprises et des particuliers.

Les fondations universitaires et partenariales sont très majoritairement soutenues par les entreprises ou les collectivités. Certaines d’entre elles, lancent régulièrement des campagnes de levée de fonds auprès du public ou organisent des événements contribuant au financement de leurs projets.

Dans le débat public, on découvre le financement privé, mais c’est un fonctionnement très ancien. Avant la Seconde Guerre mondiale, l’université est assez peu financée par les pouvoirs publics pour mener des travaux de recherche. Dès avant la Première Guerre mondiale, des mécènes privés financent la recherche comme le banquier Albert Kahn, également trésorier de la Société des amis de l’Université de Paris. Dans les années 20, le gouvernement était concentré sur les reconstructions et les pensions plutôt que sur l’université… Parmi les mécènes français, on peut citer Édmond de Rothschild avec sa fondation en biologie, physique, chimie.

Cette massification des universités publiques est contre l’excellence

Une école publique, accessible, massive et gratuite comporte des termes contradictoires et antinomiques à l’excellence.  Quand l’État lui -même accorde des bourses d’excellence pour l’Etranger, celui-ci est un indicateur pertinent. Mais plus grave constitue une grande perte de nos cerveaux. En France, Plus de 2000 classes préparatoires pour un système d’excellence. les classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) sont des filières d’enseignement supérieur sélectives. les enseignants sont obligatoirement des professeurs agrégés, docteurs ou anciens élèves de l’ENS, désignés par l’Inspection générale de l’Éducation nationale et qui peuvent devenir professeurs de chaire supérieure.  Quelque 38 000 étudiants entrent en classe préparatoire par an, 28 000 sont admis dans une école, 2 000 rejoignent une école post-bac.  En 2006, on comptait plus de 180 écoles à caractère scientifique. Les Écoles supérieures de commerce sont, elles, au nombre de 56 et sont essentiellement privées.

Durant l’année scolaire 2009-2010, 81 135 étudiants étaient inscrits en classes préparatoires. Parmi eux, 49 909 (61 %) étaient dans des classes scientifiques, 19 447 (24 %) en classes économiques et commerciales et 11 779 (15 %) en classes littéraires. 

Nos universités publiques sont constituées à  plus de 70 % de facultés de Lettres et n’offrent aucune perspective professionnelle directe en dehors de la fonction publique, déjà en nombre pléthorique. Plus grave le niveau de l’étudiant baisse à vue d’œil. Certains étudiants en « master » non seulement n’ont jamais fait un quelconque stage en entreprise, et n’ont aucune compétence, mais ont un niveau inférieur à celui qu’ils avaient en classe de Terminale. En atteste une phrase correcte qu’ils n’arrivent plus à faire.  

Ibrahima Mbengue

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