Ce mercredi 3 mai marque la Journée mondiale de la liberté de la presse. L’occasion de pointer les difficultés des journalistes pour exercer leurs métiers dans certains pays, voire pour les médias libres d’exister. Et de constater les disparités entre les pays africains.
24e/180, l’exemple namibien
La Namibie arrive cette année encore au premier rang des pays africains en matière de liberté de la presse. Quel est le secret de ce pays anglophone mieux classé que la France ou le Royaume-Uni ?
« Nous avons l’avantage d’avoir un robuste cadre constitutionnel, qui protège la liberté d’expression en Namibie, explique Naita Hishoono, la directrice de l’Institut namibien de la démocratie à Windhoek. Vous ne pouvez pas faire de la prison pour avoir exprimé une opinion ou avoir abordé, dans un article de presse, des sujets délicats. Aucun journaliste namibien n’a été incarcéré ou tabassé depuis 1990. Je me souviens, toutefois, de deux cas de journalistes qui ont été agressés physiquement. Deux cas, donc, en 27 ans. En Namibie, on respecte l’Etat de droit. Les forces de sécurité, la police, l’agence nationale de renseignement laissent les journalistes faire leur travail. »
Le Ghana et le Cap-Vert, respectivement 26 et 27e sur 180, complètent le trio de tête africain.
42e/180, des progrès réels au Burkina Faso
Le Burkina Faso se classe parmi les bons élèves du continent, selon le dernier classement de Reporters sans frontières qui le place à la 42e position.
Avec un paysage médiatique pluriel et la dépénalisation de la diffamation, journalistes et patrons de presse saluent les progrès au niveau de la liberté de presse et d’expression au Burkina Faso. Au Burkina Faso, la liberté de la presse est une réalité. « Vous décidez de vous exprimer et vous vous exprimez. En tout cas les canaux existent pour ça. Même la presse publique aujourd’hui est plus indépendante », souligne l’un d’entre eux. « Avant l’insurrection, je pense quand même que la presse burkinabè était quand même plurielle et libre. Et nous constatons la même dynamique depuis l’insurrection, sauf que ces derniers temps, avec le contexte terroriste, on voit qu’on est en train de vouloir nous imposer une ligne éditoriale dans le traitement de ces questions », pointe un autre.
Ce qui inquiète aujourd’hui les patrons de presse au Burkina Faso, ce sont les obstacles économiques. Plusieurs journaux ont déjà mis la clé sous la porte. « Beaucoup d’entreprises de presse sont en train de fermer. Trois ou quatre ont déjà mis la clé sous la porte, déplore Boureima Ouedraogo, président du comité de pilotage du Centre national de presse Norbert Zongo. Il y en a d’autres qui suspendent parfois leurs activités et qui reprennent, mais cela traduit la précarité par rapport au fonctionnement des entreprises de presse. Donc aujourd’hui on est confronté à des problèmes économiques qui limitent sérieusement la liberté de la presse au Burkina Faso. »
Si l’Etat fait l’effort de payer ses dettes vis-à-vis des entreprises de presse, on pourra sauver certains médias de cette précarité selon Boureima Ouedraogo.
97e/180, en Tunisie, la crainte d’un retour en arrière
Où en est la Tunisie depuis la chute de Zine el-Abidine Ben Ali en 2011 ? Depuis le « printemps arabe » ? Dans le classement de RSF, la Tunisie est classée 97e sur 180 pays. Malgré un processus de transition réussi, les journalistes continuent de subir de multiples pressions, selon Reporters sans frontières.
Néji Bghouri est beaucoup plus inquiet. Lois liberticides, écoutes téléphoniques, agressions… Le président du Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) affirme que les autorités essayent de restaurer le régime de Ben Ali.
112e/180, l’Ouganda dégringole
L’Ouganda s’est fait remarquer cette année par une forte régression du pays dans le classement mondial de Reporters sans frontières. De la 102e place, l’Ouganda est passé à la 112e. Une chute sensible sur le terrain ces derniers mois, notamment pendant la période électorale : enlèvements, pressions en tous genres, arrestations…
Cette journée mondiale de la liberté de la presse est donc marquée notamment par un rassemblement organisé par l’Association des journalistes ougandais à Kampala. Le rassemblement doit avoir lieu dans un grand hôtel de la capitale. Un événement important pour la presse, car ici, faire son travail de journaliste est difficile, explique Issa Kigongo reporter et adjoint à la communication de l’Association des journalistes ougandais. « Nous sommes sujets à de nombreuses menaces. Récemment, un journaliste de L’Investigateur a écrit au président qu’il reçoit des menaces de la part de l’inspecteur général de police. Vous recevez des menaces de personnes inconnues. Ils vous envoient des messages disant que si vous donnez une information vous serez tué », rapporte-t-il.
Peu de temps après cette interview, Issa Kigongo a été emmené brièvement au poste de police pour être interrogé sur l’organisation de cet événement. Une pression permanente et de véritables violences qu’a vécues Gertrude Uwitware. Journaliste pour la télévision NTV, elle a été kidnappée pendant plusieurs heures. « La femme a pris une paire de ciseaux et a coupé mes dreadlocks. Je pense que c’est ce qui a été le plus pénible, à part les claques que j’ai reçues et les tourments psychologiques qui m’ont été infligés. Cela inclut bien sûr le fait que l’homme a braqué une arme à feu sur moi à un certain moment et a dit : « quel âge à ton enfant ? » »
Ses agresseurs, dont l’identité reste inconnue, lui ont reproché lors de sa détention d’avoir pris publiquement position pour la cause de la militante Stella Nyanzi. Cette dernière est incarcérée depuis bientôt un mois.
143e/180, vent de liberté pour la Gambie
Cette journée pour la liberté de la presse prend une signification particulière en Gambie. Sous l’ancien régime de Yahya Jammeh, les journalistes étaient arbitrairement arrêtés et les médias souvent muselés. Lors du dernier classement de Reporters sans frontières, qui se base sur des données récoltées sous l’ancien régime, la Gambie est classée 143e sur 180. Mais depuis l’élection du nouveau président Adama Barrow, même s’il reste encore beaucoup à faire, les journalistes profitent d’un vent de liberté.
Dans les locaux du journal The Point, Mahamadou Camara discute tranquillement de l’actualité avec ses collègues. Le journaliste de 24 ans n’imaginait pas il y a quelques mois voir son métier changer du tout au tout. « Ça a l’air très prometteur ! Quand j’ai commencé, ma famille me disait : tu vas faire du journalisme alors que le gouvernement a déjà tué des journalistes ! Alors que maintenant, on peut écrire sur ce qu’on veut, tant que c’est intéressant », se souvient-il.
La rédaction reste marquée par l’assassinat en 2004 d’un de ses fondateurs, Deyda Hydara. Pour son ami et directeur du journal, Pape Saine, c’est aujourd’hui l’aboutissement d’une longue bataille. « J’ai beaucoup combattu pour la liberté de la presse et je suis très content de pouvoir faire mon travail proprement en tant que journaliste. On est soulagés, on est totalement libres ! » se réjouit-il.
Mais pour l’Union des journalistes et son président Emil Touray, il y a encore beaucoup à faire pour la liberté des médias gambiens. « Oui, il y a eu de gros progrès, sans aucun doute, mais nos lois sont encore les lois coloniales. Par exemple celle sur la sédition, qui consiste à interdire les déclarations qui peuvent provoquer le mécontentement vis-à-vis du président », pointe-t-il.
Un discours entendu par le ministre de l’Information, Demba Jawo, lui-même ancien journaliste. « On va étudier toutes ces lois sur les médias pour les supprimer ou les amender. Pour que l’on soit en conformité avec le droit international », assure-t-il.
La journée sera marquée par une marche et des débats entre journalistes pour célébrer cette liberté de parole retrouvée.
154e/180, en RDC, le tableau s’assombrit encore
La RDC occupe la 154e place du classement de RSF. Et l’ONG locale, Journaliste en danger (JED), dresse un tableau sombre de la liberté de la presse. Les violations des droits des journalistes sont en hausse. Selon le secrétaire général de JED, Tshivis Tshivuadi, c’est la conséquence de la profonde crise politique et sécuritaire que traverse le pays. Les institutions en place sont toutes à la fin de leur mandat et les élections n’ont pas été organisées. Cette situation expose les professionnels des médias qui font parfois face à des violences dans l’exercice de leur métier.
Au moment où nous sommes en train de célébrer cette journée, nous avons au moins un journaliste qui croupit en prison depuis plus de cinq mois sans aucun jugement, parce que simplement il a dénoncé le responsable d’une entreprise publique qui a détourné de l’argent ; vous avez le signal de RFI qui est coupé depuis plusieurs mois sans aucune explication valable ; vous avez les médias proches de l’opposition qui sont toujours fermés au Katanga.
160e/180, au Burundi, une situation qui ne cesse de se dégrader
La situation s’aggrave sur le front de la liberté de la presse au Burundi à en croire le classement 2017 de l’ONG Reporters sans frontières. Le Burundi passe de la 156e à la 160e place sur 180 pays. Depuis la crise provoquée par la décision de Pierre Nkurunziza de briguer un troisième mandat en avril 2015 et la tentative de putsch du 13 mai de la même année, la condition des journalistes et la liberté de la presse ne cessent de se dégrader selon l’organisation.
Et 2016 aura été une nouvelle année compliquée pour la presse au Burundi. Année marquée par la disparition en juillet du journaliste de l’hebdomadaire indépendant Iwacu, Jean Bigirimana. Trois radios privées sont toujours fermées : Bonsesha FM, la RPA et la radiotélévision Renaissance.
Selon RSF, les journalistes burundais sont quotidiennement harcelés par les forces de sécurité et les responsables de rédaction régulièrement convoqués par les autorités.
« A Bujumbura, les journalistes sont terrorisés. Ils ne travaillent que pour le salaire, dans l’autocensure et dans la peur d’une convocation au Service national des renseignements (SNR) », commente le patron de Bonesha et président de l’association des radiodiffuseurs du Burundi, Patrick Nduwimana. Selon lui, la seule radio privée qui a rouvert, Isanganiro, est autorisée depuis un an parce qu’elle a signé un acte d’engagement avec les autorités qui du coup s’ingèrent dans les contenus. Ce qui n’empêche pas les convocations de son rédacteur en chef au SNR comme ce fut le cas il y a un mois.
Ces deux dernières années, une centaine de journalistes burundais ont été contraints à l’exil. C’est le cas notamment du correspondant de RFI et de l’AFP Esdras Ndikumana.
Sur place, des journalistes étrangers ont également été inquiétés cette année. Les envoyés spéciaux du Monde, Jean-Philippe Rémy et Phil Moore en janvier, qui ont vu leurs accréditations retirées, ou la journaliste américaine Julia Steers en octobre. Des journalistes étrangers de plus en plus rares puisque les autorités burundaises ne délivrent quasiment plus de visas aux envoyés spéciaux.
172e/180, Djibouti, un pays sans média indépendant
Selon Reporters sans frontières, la liberté de la presse n’a pas droit de cité à Djibouti, un pays de la Corne de l’Afrique où il n’existe aucun média indépendant. Ce pays est classé 172e sur 180 pays dans le classement 2017 de la liberté de la presse que vient de publier RSF.
La situation reste extrêmement grave à Djibouti sachant que depuis plusieurs années maintenant il n’y a plus de médias indépendants qui peuvent fonctionner.
Et derrière Djibouti, on trouve le Soudan (174e/180) et l’Erythrée (179e/180) qui arrive au dernier rang du classement en Afrique chaque année depuis une dizaine d’années.
Auteur: RFI – RFI