Monsieur le Président de la République,
Par le biais de cette lettre, je viens très respectueusement auprès de votre Excellence partager avec vous, mes réflexions sur un sujet extrêmement important : l’enseignement des sciences et techniques dans nos langues nationales. Je ne parle pas de l’ enseignement de ces dernières à travers des programmes financés par des bailleurs de fonds étrangers et qui vise l’alphabétisation des couches populaires qui n’ont pas eu la chance de fréquenter l’école ou qui ont été très tôt victimes de la déperdition scolaire. Je parle plutôt de l’urgence à introduire l’enseignement de nos idiomes dans notre système éducatif et d’en faire les véhicules des connaissances scientifiques et technologiques.
Monsieur le Président,
Vous conviendrez avec moi que la baisse du niveau des élèves tant décrié par le commun des sénégalais plonge ses racines, pour une large part, dans l’utilisation du français comme langue d’enseignement dans un pays où la quasi-totalité des élèves inscrits au CI (Cours d’Initiation) découvrent pour la première fois la langue de Molière.
En effet, leur premier contact avec les chiffres et les lettres se fait en français, ce qui, à mon humble avis, est trop tôt pour un enfant. Je pense qu’il serait plus pertinent de l’initier dans son propre idiome maternel jusqu’à l’âge de dix ans avant de lui apprendre une nouvelle langue, car le français est bien une nouvelle langue pour l’élève du CI. En effet, contrairement à ce qui se passe dans certains pays africains où le français est devenu l’unique langue de communication inter ethnique, le Sénégal a ce privilège et cette particularité de parler les langues nationales dans les foyers, dans les bureaux et autres lieux publics. J’ai tendance à dire qu’au Sénégal le français n’est pas parlé, mais écrit.
On parle sa langue nationale dans les réunions, dans les lieux de travail, dans les lieux publics, dans les meetings et au moment de rédiger un rapport, une demande d’emploi, une lettre d’invitation ou de soutien, on le fait en français. C’est pourquoi nos élèves sont dépaysés devant un maître qui leur parle une langue qu’ils ne comprennent pas. C’est difficile pour le maître, c’est difficile pour l’élève.
N’est-il pas plus judicieux que l’élève apprenne uniquement dans sa langue dans les trois premières années les programmes du CI, du CP (Cours Préparatoire) et du CE1 (Cours Elémentaire 1ère année) ?
N’est-il pas à la fois aberrant et rébarbatif pour les élèves de devoir apprendre l’histoire, la géographie, les mathématiques… dans une langue qu’ils ne comprennent guère ?
L’élève sénégalais, contrairement à l’élève français qui se contente d’être attentif pour saisir la quintessence des enseignements livrés par le maître ou le professeur, doit résoudre d’abord et avant tout l’énigme de la langue avant de prétendre à appréhender le contenu du message qui lui est livré.
Pour cette raison, Monsieur le Président, nous estimons qu’il urge aujourd’hui de prendre une décision politique courageuse en faisant de nos langues nationales les véhicules des connaissances de tous ordres, surtout celles scientifiques et technologiques, si nous voulons vraiment forger des esprits scientifiques libérés du complexe honteux qui tend à faire des sciences et techniques l’apanage du Blanc et non un patrimoine universel.
Nous ne prônons pas l’élimination du français qui est un précieux outil de coopération entre les pays francophones. Le français au contraire continuera à occuper une place privilégiée dans la panoplie des langues à étudier et pourra être introduit dès la classe de CE2 (Cours Elémentaire 2ème année) et consolidé dans les classes supérieures.
Monsieur le Président,
Je sais que certaines personnes soutiennent mordicus que nos langues nationales ne sont pas opérationnelles pour véhiculer des connaissances scientifiques. Je ne partage pas cet avis. Ceux qui défendent cette position pensent à la difficulté qu’il y aura à traduire certaines notions en langues nationales. Je crois qu’ils ignorent comment fonctionnent les langues. Ces dernières connaissent toutes le phénomène des emprunts et des influences étrangères. Si on extrait du dictionnaire français les emprunts, il risque d’être squelettique. On y trouve des mots dont l’étymologie est latine ou grecque, arabe ou wolof… Ces mots peuvent être modifiés dans leur prononciation et leur écriture ou rester inchangés. Mais une fois qu’ils sont consacrés par l’usage, ils deviennent des mots français.
De même, les mots français, anglais, arabes introduits en wolof, poular, sérère etc. finissent par faire partie intégrante du vocabulaire de ces langues et doivent figurer dans les dictionnaires respectifs. Donc, vouloir coûte-que-coûte traduire tous les mots, tous les concepts comme le faisait un éminent professeur, c’est tout simplement enfoncer une porte ouverte. On ne peut pas prétendre enseigner par exemple les mathématiques en wolof en utilisant un vocabulaire qu’on a soi-même inventé et qui par conséquent échappe aux élèves. Il faut enseigner dans la langue que les élèves parlent, c’est-à-dire une langue nationale avec des emprunts dont l’usage est familier. N’est-il pas plus simple de dire ‘serkal’ ou ‘kuuraŋ’ plutôt que de dire ‘mbege’ ou ‘dawaan’. Tous les sénégalais utilisent sans ambigüité aucune le mot ‘kuuraŋ’. Personne à part celui qui l’a inventé n’utilise le mot ‘dawaan’.
Vous savez, Monsieur le Président, les journalistes, les politiciens et les agences de publicité ont devancé les enseignants sur le terrain de l’utilisation des langues nationales comme véhicules de leurs messages, car ils savent l’avantage qu’il y a à parler une langue que tous les sénégalais comprennent. Il est donc impératif de traduire les manuels scolaires en tenant compte de la nature de nos idiomes avec leurs emprunts plus faciles pour les élèves à comprendre que des néologismes qu’il va falloir encore expliciter.
Une dernière question à régler, Monsieur le Président, est la question de la langue à choisir pour livrer les enseignements. Disons que le choix de la langue dépend de la localité. On pourra retenir le sérère au Sine, le wolof au Saloum, au Ndiambour, au Cayor, le poular au Fouta par exemple.
Cependant, il faudra donner à l’élève l’opportunité d’opter pour deux langues nationales au primaire (une comme première langue nationale et une autre comme deuxième langue nationale) pour lui permettre de suivre une fois transféré dans une grande ville.
Enfin, Monsieur le Président, les enseignants doivent recevoir leur  formation en langue nationale à l’EFI et à la FASTEF. En outre, à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines, il doit y avoir un département des langues nationales dont les études seront sanctionnées par une licence et une maîtrise d’enseignement.
Monsieur le Président, je demeure convaincu que nous pouvons réussir ce que les russes, les chinois, les japonais, les polonais… ont réussi : enseigner et apprendre dans leurs langues.
Monsieur le Président,
Je vous prie de bien vouloir croire à mon engagement patriotique, citoyen et républicain.
Je vous remercie.
Ampliations                                                                                          Oumar THIAM
-Sous-préfecture                                                                           Principal du CEM Sagatta-Djoloff
-Préfecture                                                                                          MLE : 5170073/0
-Gouvernance                                                                                        Tél : 775229166
-Ministère de l’Education Nationale
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Ndéye Mingué SECK

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