“Les gens ne supportent pas le sentiment d’injustice. La pauvreté, le froid, même la faim, sont plus supportable que l’injustice.”
A chaque fois que nous disons que la Justice a de sérieux problèmes et qu’il faut une refonte, on nous dit qu’on parle toujours des prisonniers politiques ou activistes détenus comme Khalifa Sall, Karim Wade, Guy Marius Sagna et Adama Gaye parmi tant d’autres. Nous allons dédier cette tribune aux détenus invisibles et sans voix pour démontrer les injustices de la Justice au Sénégal.
Dans un cadre général de débat de société, on note beaucoup d’arrestations d’activistes, de journalistes et d’opposants récemment. La machine judiciaire a tendance à s’auto-activer dans le but de plaire au pouvoir exécutif. Quand on ne peut plus parler d’indépendance de la Justice, on ne peut plus parler de République. Certes, certains magistrats et juges font du bon travail, avec les ressources limitées dont ils disposent, mais la majorité reste au service de l’exécutif. Il y a des faits qui fassent que nous puissions dire sans risque de nous tromper que le pouvoir judiciaire a besoin de plus d’indépendance et d’équité. La population a besoin d’avoir confiance en la Justice, et de sentir que la Justice est indépendante, et que son fonctionnement est normal.
Amnistie
Des violations des droits de l’homme ont toujours pris place dans le monde et parfois sous le regard complice des autorités. Au Sénégal, les autorités sont connues pour faire recours à des stratagèmes politiques pour éviter d’emprisonner les hommes de tenue et les personnes du même camp. Nous n’allons pas trop retourner dans l’histoire de notre jeune pays pour montrer comment les pouvoirs ont été utilisés sans contre-pouvoir. Le conflit en Casamance a fait plus de 5 000 morts et plus de 60 000 personnes déplacées depuis 1982. En 2004, le président Wade a décrété une loi d’amnistie pour toutes infractions commises en rapport avec le conflit. Les familles des victimes sont ainsi laissées sans aucun espoir de justice ni de réparation.
Dans le document d’Amnesty de 1998, on y voit un témoignage d’un jeune Casamançais disant : « J’ai été déshabillé et terrassé par six gendarmes qui m’ont mouillé avec de l’eau. Puis on a branché un fil de courant électrique sur mes pieds et mes oreilles et on a fait passer du courant alternatif, produit en tournant une manivelle. Le courant électrique est arrivé au cœur, j’ai eu mal aux oreilles et je n’entendais plus. Cela m’a fait si mal que j’ai enlevé les fils électriques et j’ai alors reçu un coup-de-poing dans le visage. » Dans ce même document, on voit aussi le témoignage d’une femme casamançaise violée par les rebelles : « Ils m’ont écarté les jambes et ont mis du sable et un bout de bois dans mon sexe avec leurs quatre doigts. » Combien de milliers de personnes ont été arbitrairement détenues, torturées, enlevées, violées et tuées sans suite ?
Mort injuste
En 2007, Dominique Lopy est arrêté au commissariat central de Kolda suit à une plainte du Président du Conseil Régional de Kolda pour le vol d’un téléviseur. Un des policiers avait affirmé à la maman du défunt que s’il ne rend pas le téléviseur, ils allaient le tuer. Il est mort durant sa garde à vue. Durant les manifestations de la population, un tailleur du nom de Dioutala Mané, sortait de son atelier pour traverser la rue, il sera abattu d’une balle dans le dos par les forces de sécurité.
Alioune Badara Diop est mort dans les locaux du Commissariat de Ndorong à Kaolack. Il avait été arrêté suite à une plainte pour abus de confiance lié à un achat d’une moto. Durant sa garde à vue, il sera trouvé mort dans sa cellule.
Modou Bahoum, est mort dans les locaux de gendarmerie de Karang en 2009 durant sa garde à vue. Le motif de l’arrestation n’est autre que le trafic de chanvre indien.
En 2009, Aboubacry Dia est décédé dans les locaux du commissariat de Matam. Le certificat d’inhumation fait état d’une asphyxie mécanique et l’autopsie a conclu une mort par strangulation.
Des étudiants ont été tués et les procédures traînent et des informations sont retenues par les autorités.
L’impunité qui règne face aux actes de tortures est extrêmement grave. Quand on veut entamer des poursuites judiciaires face aux membres de forces de sécurité, il faut l’autorisation du ministère de l’Intérieur pour les policiers ou de la Défense pour les gendarmes et militaires. Ces derniers sont souvent réticents face à la poursuite de ces forces de sécurité.
Pourtant les textes nous disent que : « Le Sénégal est un État de droit où la Constitution garantit à tous les citoyens l’égalité juridique. »
Combien de policiers ou de gendarmes qui sont présumés coupable ont été traduits en justice ?
Conditions inhumaines
Selon l’ancien ministre de la Justice, à la date du 3 décembre 2018, il y avait 10 375 hommes et 306 femmes détenus dans les prisons. Il s’y ajoute 219 mineurs et ceux qui sont en longue détention sont de 289. Selon plusieurs rapports des droits de l’homme, les conditions des détenus sont délétères et très dures à cause de la surpopulation, du manque de nourriture et l’insuffisance des soins médicaux. Dans la prison de Rebeuss, la population carcérale est deux fois plus nombreuse que ce qu’elle était supposée compter. Des mineurs sont incarcérés avec des adultes et les nourrissons vivent avec leur mère dans les cellules générales, sans accès aux soins médicaux ni de nourriture adéquate pour les mamans et les nourrissons.
À Reubeuss, des prisonniers avaient entamé une grève de la faim à cause de la longue durée des détentions provisoires et les conditions d’incarcération. Il y a eu une autre grève où des centaines de prisonniers avaient entamé une grève de faim de deux semaines contre les conditions de détention et cela avait abouti à une émeute ayant causé la mort d’un prisonnier. À Kaolack, on avait vu la grève de la faim des prisonniers pour leurs conditions. Selon les chiffres disponibles, 50 prisonniers auraient été morts en 2014 dans les prisons et centres de détention.
La loi c’est moi
La loi sénégalaise nous dit qu’il faut un mandat d’arrêt émis par les juges pour que la police puisse procéder à une arrestation. Combien de fois avons-nous eu des cas où la police a incarcéré des personnes sans mandat ? Combien de détenus ont accès à un avocat ? Et la présomption d’innocence ? Et leurs autres droits en tant que détenus ?
Le manque de personnel et la corruption rendent aussi ce secteur très difficile à gérer. Les procureurs ont eu à refuser de traduire certaines personnes en Justice, résultant dans l’impunité totale. Dans son rapport annuel, l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption (OFNAC) nous révèle les pots-de-vin, les détournements, la fraude et l’abus de pouvoir entre autres au sein des institutions gouvernementales. Le rapport avait indexé, parmi les agents les plus corrompus, deux alliés du président. Conséquemment, la présidente de l’OFNAC avait été démise de ses fonctions. Vraiment, la loi c’est moi.
Enfin
Il est temps que des mesures correctives soient prises, et qu’on s’attaque à la corruption. N’importe quel pays qui aspire à devenir une nation émergente doit avoir une police libre, une presse libre et surtout une justice indépendante. Le manque d’indépendance du pouvoir judiciaire est la raison principale qu’il n’arrive pas à faire respecter la loi. Quand les procureurs, les juges et les magistrats sont redevables d’intérêts politiques et que le président et son ministre de la Justice contrôlent leur carrière, pensez-vous qu’ils pourront faire leur travail avec impartialité ?
« Parfois, il incombe à une génération de faire preuve de grandeur. Vous pouvez être cette grande génération. » Mandela
Par Mohamed DIA