S’il est vrai que les élections constituent la respiration de tout système démocratique, les élections législatives au Sénégal sont malheureusement le signe clinique du niveau de notre conscience politique encore en balbutiement dans ce pays, où l’on vote depuis le dix huitième siècle. La journée électorale du premier juillet vient d’en administrer la preuve hélas la plus éclatante avec un taux de participation des électeurs qui compte parmi les plus faibles sur les archives de notre histoire électorale.
Cette situation irritante, malgré tout ce que les exégètes en la matière en disent, est le résultat de deux phénomènes qui, si nous n’en prenons pas garde, risquent simplement à termes, de tuer cet élan démocratique amorcé depuis mars 2000, et qui avait vu la première alternance politique exprimée à travers les urnes se produire de façon exemplaire au Sénégal.
La première cause si l’on doit se résoudre à un diagnostic sans complaisance, est à trouver sans conteste dans notre dispositif constitutionnel et institutionnel où le présidentialisme du système est une réalité si prégnante que nul aujourd’hui n’en ignore .Lequel présidentialisme n’est rien d’autre que le fruit de l’imagination politique machiavélique de Senghor, qui au sortir de la crise de 1962 l’opposant à Dia pour une question de rivalité à la tete de l’exécutif , s’est de façon exorbitante attribuée les pouvoirs les plus napoléoniens pour être le seul maitre à bord dans le navire étatique battant pavillon Sénégal. Les chefs d’Etat qui l’ont succédé, d’Abdou Diouf à Abdoulaye Wade, n’ont rien fait pour en dégraisser le mammouth .Mieux, la situation a même empiré sous Wade. Ce qui fait que sur notre échiquier institutionnel, nous assistons à un déséquilibre déconcertant de fait entre un exécutif tentaculaire et un législatif simple caisse de résonance ,où les députés , au lieu de se sentir redevables du peuple qu’il est censé pourtant représenter ,se signalent au contraire par leur allégeance aveugle et inconditionnelle au Chef de l’exécutif. Incarnation d’un pole de pouvoir qui en toute normalité devrait être leur vis-à-vis en toute intelligence et de façon responsable. Rompant du coup le nécessaire équilibre qu’il doit y avoir entre les trois pouvoirs tels que Montesquieu nous l’avait théorisé dans L’esprit DES LOIS.C’est cette posture de vassalité devant le chef de l’Etat qui a conduit à la désacralité et à la décrédibilité des députés et de l’assemblée nationale aux yeux de l’opinion et des électeurs dont la faiblesse de leur mobilisation le premier juillet en constitue une manifestation patente.
Si nous voulons inverser les tendances et avoir une assemblée qui soit la réelle incarnation du peuple et coller à l’esprit des assises nationales qui veut que l’assemblée soit le véritable lieu d’impulsion de la vie politique, il va falloir que dans les états majors de partis politiques, qu’une plus grande sélectivité soit apportée dans la désignation des hommes et des femmes devant les représenter à l’hémicycle. Et la loi sur la parité, telle qu’elle est traduite sur le plan politique surtout dans la composition des listes à la députation, ne favorise guère une avancée vertueuse et dynamique dans ce domaine. Nous sommes tous nostalgiques des anciennes législatures avec des passes d’armes épiques entre députés de l’opposition et du pouvoir parce que siégeaient dans l’hémicycle des députés de la trempe de Puritain Fall et même de Serigne Diop .Des députés au fait des enjeux des textes qui leur étaient soumis. L’image d’une assemblée nationale, simple chambre d’enregistrement et d’applaudissement doit être extirpée de la mentalité des citoyens sénégalais en investissant des hommes et des femmes avec une bonne assise intellectuelle leur permettant d’avoir le sursaut patriotique nécessaire pour ne pas sacrifier l’intérêt des populations sur l’autel d’un exécutif . C’est un poncif et un lieu commun que de constater que la césure qui s’est créée entre notre assemblée sortante et les populations était devenue abyssale. En attestent les événements du 23 juin où les citoyens s’étaient agglutinés sur les grilles du parlement menaçant d’aller déloger les députés s’apprêtant à voter une loi scélérate qui allait instaurer dans notre pays aux traditions démocratiques bien ancrées un régime monarchique de fait aux conséquences politiques et sociales incommensurables.
L’assemblée nationale incarne le pouvoir législatif, émanation directe de la souveraineté populaire, elle constitue l’un des pôles de stabilisation et d’équilibre de notre régime démocratique. De ce fait, elle doit être positionnée comme un véritable levier de renforcement de nos institutions, une sentinelle pour un ancrage définitif de la bonne gouvernance par un contrôle stricte sur la bonne exécution de la loi de finance afin d’impacter de façon positive la qualité de vie des citoyens sénégalais. Taraudés qu’ils sont par des crises de toutes sortes dont celle de la cherté de la vie est sans doute la plus prégnante. Les hommes et les femmes qui auront l’insigne honneur de siéger dans la future assemblée devront dés les premiers mois se signaler par leurs capacités à élaborer des propositions de loi de qualité qui vont dans le sens de trouver les vraies solutions aux problèmes des inondations et de cette fourniture déficitaire et erratique de l’électricité. Mais aussi bien passer au crible les projets de loi que l’exécutif les enverra souvent. Pour en séparer la bonne graine de l’ivraie.
C’est à ce prix seulement qu’ils arriveront à gommer le lourd passif que leurs prédécesseurs leur ont transmis et qu’ils traineront comme un boulet le temps que la véritable rupture s’opère au grand soulagement de tout le peuple des citoyens.