La vie à Dakar est dure. Elle l’est encore davantage quand vous n’avez personne sur qui compter et que votre famille place tout son espoir sur votre réussite

«Quand j’ai appris mon orientation à l’Université de Dakar, j’étais heureux. Moi, fils de paysans, je me voyais destiné à un parcours universitaire lisse et à un brillant avenir. Mais les difficultés rencontrées dès  les premiers jours passés au campus ont douché mon enthousiasme. La vie à Dakar est dure.

Elle l’est encore davantage quand vous n’avez personne sur qui compter et que votre famille place tout son espoir sur votre réussite. J’étais boursier mais on m’a appris que je ne toucherai pas au moindre centime avant le mois d’avril au mieux. Nous sommes au mois de décembre. Comment allais-je tenir pendant quatre mois avec seulement 20 mille francs en poche ? Allais-je me reconvertir en mendiant et vivre aux dépens des autres ? Ou devais-je opter pour la facilité et faire des choses qui, en plus de me brouiller avec ma conscience, allaient déshonorer ma famille pauvre mais digne ? Non, je n’ai rien fait de tout cela. J’ai acheté une tondeuse à 17 mille francs et j’ai intégré un groupe d’étudiants coiffeurs. Cela ne m’a pas enrichi, mais au moins ma survie ne dépend plus de ma bourse», se souvient Ibrahima.

C’était il y a deux ans. Aujourd’hui, ce jeune homme originaire de la Casamance est en deuxième année et sa tondeuse reste son gagne-pain. C’est au rez-de-chaussée du pavillon L que ses amis et lui accueillent leurs clients. Des amas de cheveux, des morceaux d’éponges et des débris de lames sont éparpillés sur les quelques marches d’escaliers qui mènent à ce salon de coiffure improvisé en plein air. Ibrahima reconnait que les conditions d’hygiène sont loin d’être irréprochables et qu’il utilise la même tondeuse et la même serviette de coiffure avec tous ses clients de la journée sans nettoyage au préalable. Pourtant, il y a une forte affluence. « Je ne me plains pas trop, la coupe est à 300f et je reçois entre 10 et 15 clients par jour », confie-t-il, ajoutant que ses recettes mensuelles atteignent souvent 100 000 francs.

Tout comme Ibrahima, Dame allie études et business. Ce jeune homme inscrit en deuxième année à la faculté de Droit est photographe à ses heures libres. Avec sa bourse, il a acheté un ordinateur portable et un appareil photo : ses outils de travail.  Sa chambre qui est également son lieu de travail, ne désemplit pas. Il faut dire que son offre est plutôt alléchante : les 5 photos d’identité sont à 500f. Malgré tout, il doit faire face à une forte concurrence, ce qui l’a poussé à diversifier son business. « Je télécharge et revends des films et des documents électroniques … ».

A l’Université Cheikh Anta Diop (Ucad), ils sont de plus en plus nombreux les étudiants qui, à l’instar de Ibrahima et Dame, tiennent, parallèlement à leurs études, des activités à but lucratif. L’argent qu’ils gagnent aide à améliorer leurs conditions de vie assez précaires. « Au lieu de faire la queue pour manger dans les restaurants universitaires, je vais manger dans des pensions où la nourriture est meilleure », se réjouit Dame. Certes, certains étudiants sont bousiers mais encaisser la bourse relève du parcours du combattant, pour ceux qui n’ont pas la carte Ecobank. « A la fin du mois, pour percevoir sa bourse via les guichets, il faut commencer à faire la queue à partir de 2h du matin alors que les payeurs n’arrivent qu’à 9h ! », s’indigne Ibrahima. Ou alors, il y a deux solutions : patienter deux ou trois semaines, le temps que le nombre d’étudiants s’agglutinant aux guichets diminue, ou  payer 10 000 francs au groupe des Kekendo (Une sorte de mafia estudiantine) pour qu’ils vous aident à retirer votre argent sans trop de peine. Sachant que le montant des bourses varie entre 18 000 et 36 000 francs, pour ceux qui n’ont pas encore atteint le master, cette dernière option n’enchante pas tout le monde.

Dans ces conditions, le business s’impose comme un recours privilégié et un moyen de subsistance. Cependant, le Centre des œuvres universitaires de Dakar (Coud) est déterminé à assainir l’espace universitaire. « L’université n’est pas faite pour le business mais pour les études », confie un de ses responsables. Il explique qu’il y a des soi-disant étudiants qui occupent des chambres et profitent de la gratuité de l’électricité et de la connexion internet pour faire des affaires et se remplir les poches. « Ces individus, davantage intéressés par l’argent que par le savoir, ont relégué les études au second plan », s’indigne-t-il.

Dame ne partage pas cet avis. Il rappelle que le vœu de tout étudiant est de recevoir des enseignements de qualité, d’obtenir un diplôme et de trouver du travail. Cependant, les conditions de vie à l’Ucad sont telles que les étudiants ne peuvent se réserver exclusivement aux études. « Nous avons besoin d’argent. Alors, à moins que l’Etat ne consente à améliorer nos conditions de vie, nous devons pouvoir travailler sans être importunés », conclut-il.

« Travailler pour pouvoir étudier dans de bonnes conditions » semble être la principale motivation de ces étudiants, mais, certains d’entre eux omettent de consacrer un peu de leur temps à leurs études. C’est le cas d’Awa. Cette jeune femme originaire de Sébikotane n’était pas boursière pendant sa première année. De l’Etat, elle ne pouvait attendre qu’une aide sociale annuelle de 60 000 francs. Elle a donc commencé à travailler comme coiffeuse dans un salon à Amitié tout en faisant du commerce. Avec son salaire, elle achète des vêtements, des chaussures et des produits cosmétiques qu’elle revend à ses camarades étudiants. Certes, les gains étaient au rendez vous, mais les échecs aussi. « J’oubliais parfois d’aller en cours ou d’ouvrir mes livres ». Conséquence, la jeune étudiante en Espagnol doit reprendre sa première année. Aujourd’hui, consciente qu’elle n’a plus droit à l’erreur, Awa consacre plus de temps à ses études. Elle fait toujours du commerce et elle tresse parfois quelques étudiantes mais elle a renoncé à travailler dans un salon de coiffure. « Je gagne moins d’argent mais au moins j’ai le temps de faire ce pourquoi je suis à l’université : étudier ».

Marlyatou DIALLO
Etudiante en communication à Dakar
et contributrice à SeneNews.

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