Si Senghor revenait sur terre aujourd’hui, il serait surpris par la position qu’occupe le jeune berger peul à qui il a appris les rouages de l’administration. Nourri au lait de Senghor, allaité au biberon d’Abdou Diouf à côté d’aînés comme Habib Thiam, Moustapha Niasse, Cheikh Abdou Khadre Cissokho, feu son oncle Daouda Sow, celui qui croyait « à son destin présidentiel et que le peuple considérait comme le futur premier président d’éthnie pulaar à la tête du Sénégal n’est plus que l’ombre de lui-même ».
Qui aurait cru que le tout puissant, ex-patron des jeunesses socialistes, celui qui blanchi sous le harnais du régime senghorien, l’homme qui a osé pour la première fois remué le cocotier du Ps au point de scier la branche sur laquelle étaient assis Abdou Diouf et Ousmane Tanor Dieng, après avoir permis à une dizaine de rebelles du Ps de faire leur entrée à l’Assemblée nationale en 1998, ne pouvoir même pas glaner près de 25 000 voix au niveau national pour devenir député ? Personne. Pourtant, c’est ce qui est arrivé au patron de l’Urd que lui-même définissait en 2000, après sa défaite à la présidentielle suite à un yoyo politique entre Wade et Diouf, comme un « feu de bouses de vaches, se consume tranquillement sans en donner l’air, mais gare à qui y mettra le doigt » (Taalu Ndef, day gëëm, waay du fay…).
Né à Linguère (Région de Louga) le 21 février 1948, Djibo Kâ n’a connu que l’Etat et la politique. Il a fait ses études à la Faculté de Droit et de Sciences économiques de l’Université de Dakar, puis à l’École nationale d’administration de Dakar.
En 1977, il succède à Moustapha Niasse dans le cabinet du président Léopold Sédar Senghor. Il sera le dernier Directeur de cabinet de Senghor. Après l’accession d’Abdou Diouf à la présidence de la République en 1981, il est ministre sans interruption jusqu’en 1996 et occupe successivement les fonctions suivantes :
• 1981 à 1988 – Ministre de l’Information et des Télécommunications dans le gouvernement de Habib Thiam, en remplacement de son oncle Daouda Sow. En 1983, il garde son poste dans le gouvernement de Moustapha Niasse ;
• 1988 à 1990 – Ministre du Plan et de la coopération ;
• 1990 à 1991 – Ministre de l’Éducation nationale ;
• 1991 à 1993 – Ministre des Affaires étrangères ;
• 1993 à 1995 – Ministre de l’Intérieur.
Qui dit mieux ? Personne, évidemment.
Jadis considéré comme un successeur potentiel du président Abdou Diouf, Djibo Ka verra son rêve brisé par l’avènement de L’enfant de Nguéniène, « Ousmane Travaille pour Diouf » (OTD), pardon Ousmane Tanor Dieng. C’est sur ces entrefaites qu’il est limogé du gouvernement. À l’issue des renouvellements qui doivent entériner le choix de son dauphin par la création d’un poste de premier secrétaire du Parti socialiste (PS), en 1996, le président Diouf choisit son rival Ousmane Tanor Dieng. C’est le clash au congrès dit « sans débats ».
Avec 10 autres camarades, il crée le courant du Renouveau démocratique au sein de leur parti. Injustement traité par la nouvelle direction du parti, il entre en rébellion ouverte…
Il démissionne du parti, et porté par la coalition des partis Union pour le socialisme et la démocratie (USD) de Doudou Sarr et Mahmoud Saleh et Jëf-Jël de Talla Sylla, avec la clé –du succès- il enlève 11 sièges sur les 140 que comptait alors l’Assemblée nationale lors des élections législatives de 1998.
Il se classe quatrième à l’élection présidentielle de 2000, avec 7,1 % des voix au premier tour. Au deuxième tour, il apporte son soutien au candidat Abdou Diouf. Son parti vole en éclats. C’en était fait des ambitions présidentielles de celui à propos duquel tout le monde s’accordait à prédire le meilleur au vu de sa compétence avérée tout au long de son passage à la tête des divers départements ministériels du Sénégal. L’ancien secrétaire général de l’ONU, Boutros Boutros-Ghali aurait même voulu en faire son directeur de cabinet.
Après avoir joué au véritable opposant contre Abdoulaye Wade dont il raillait la société de transport « Dakar Dem Dik » de « Dakar Demoul Dikoul » pour dire que le pays n’a pas bougé.
Il avait bien managé son combat, car dès sa défaite en 2000, Djibo Kâ avait assumé ses choix politiques et avait soutenu que l’âge de sa première candidature à la Présidentielle (52 ans) est « à peu près celui qu’avait son challenger Abdoulaye Wade (51 ans), à son premier face à face avec Senghor en 1978, avait donc, encore 26 ans de combat politique pour suivre les traces de Wade et devenir son remplaçant à la tête du Sénégal ».
Le ton de son adversité aux libéraux paie. En 2004, il est nommé ministre de l’Économie maritime par le président Abdoulaye Wade. Le 5 juillet 2007, il devient ministre d’État, ministre de l’Environnement, de la Protection de la Nature, des Bassins de rétention et des Lacs artificiels dans le gouvernement de Cheikh Hadjibou Soumaré. Il est aussi cité comme l’artisan de la réconciliation sénégalo-mauritanienne après les événements fratricides de 1989. Sa capacité à rebondir est légendaire sur la scène politique, sa propension à avoir un comportement de chat qui retombe toujours sur ses pattes est connue, mais cette fois-ci, il semble que les carottes sont cuites… Avec son nouveau score aux Législatives de 2012, Djibo Kâ est-il même capable de remporter un poste de chef de quartier ? Ce n’est pas évident. Même si dans son fief de Linguère, il talonne la coalition « Benno Bokk Yakaar » avec 16% des suffrages, la coalition de la mouvance présidentielle qui enregistre un score de près de 57% arrive largement devant lui. D’ailleurs, compte tenu du manque d’enthousiasme des Sénégalais à voter cette fois-ci, avec ce score, Djibo Kâ est-il même capable de remporter un poste de chef de quartier ? Ce n’est pas évident. Eh bien, c’est râpé, pardon, c’est raté.
N’est-ce pas la fin d’un mythe ?
Celui du « petit berger Peul au service de la démocratie » qui se voulait le 4ème président du Sénégal. Mais aussi la fin de parcours des personnalités politiques comme Abdourahim Agne, Mamadou Diop Decroix, Doudou Sarr, Aliou Dia, Iba Der Thiam et de certaines formations politiques…