Mort à l’âge vénérable de 90 ans, Fidel Castro aura été à la fois l’un des personnages les plus adulés et les plus controversés du 20ème siècle. Le lider maximo, qui a vu défiler 11 présidents américains et se vantait d’avoir échappé à 638 tentatives d’assassinat ourdies par la Cia. Bien que formé chez les Jésuites, Fidel n’était pas pour autant un enfant de chœur.
Et c’est une joyeuse litote. Obsédé par le pouvoir et ne supportant pas la contradiction, il aura été implacable avec ses ennemis, réels ou supposés. Au point de transformer son île en purgatoire pour des milliers de dissidents. Pour ne donner qu’un seul exemple de son intolérance, Huber Matos, un des commandants les plus prestigieux de la révolution cubaine, aux côtés de Camilo Cienfuegos et de Che Guevara, sera emprisonné pendant 20 ans, dans des conditions inhumaines. Son tort ? S’être opposé courageusement à ce qui s’apparentait à un début de dictature familiale de la part des frères Castro.
Cela dit, malgré ce côté sombre du personnage, pour ce qui nous concerne, il faut rendre justice à Castro et saluer ici sa mémoire en rappelant un héritage souvent occulté ou méconnu du barbudo en chef : son immense contribution à la libération de quelques pays africains.
L’odyssée africaine de l’homme fort de la Havane débute avec son soutien sans faille à Patrice Emery Lumumba dans son combat pour arracher le Congo des mains de l’impérialisme occidental, symbolisé jusqu’à la nausée par le colonialisme belge dans un pays quatre-vingts fois plus grand que la Belgique du roi Leopold, qui en fit sa « propriété personnelle » (sic), à l’origine de l’un des crimes les plus épouvantables de l’Histoire.
Après l’assassinat de Lumumba, Castro dépêchera son alter ego Ernesto Che Guevara au Congo, avec une poignée d’anciens de la Sierra Maestra, pour y animer un foco, une rébellion lumumbiste qui tournera toutefois court, à cause de l’impéritie d’un certain Laurent Désiré Kabila. Plus près de nous, Fidel Castro apporta aussi une part décisive à la lutte de libération de Guinée Bissau conduite par Amilcar Cabral contre les colons portugais du régime fasciste de Salazar. À ce sujet, l’un des épisodes qui me marqueront le plus dans ma modeste carrière de reporter, restera ma rencontre à Bissau avec le colonel Manuel « Manecas » Dos Santos, dans le cadre du tournage d’un film documentaire sur Amilcar Cabral.
Commandant en chef de l’artillerie du Paigc (Parti Africain pour l’Indépendance de la Guinée et du Cap Vert) pendant la guerre de Libération, ce métis cap-verdien recevra une formation pointue à Cuba, qui lui permettra de clouer au sol l’aviation portugaise, après avoir détruit, en une seule journée, quatre aéronefs grâce aux redoutables missiles Sam 7 fournis par Moscou. Cette déroute conduira le Portugal à précipiter son retrait de la Guinée Bissau, le seul pays à s’être libéré par les armes en Afrique de l’Ouest.
Mais c’est sans doute en Angola que Fidel Castro a écrit l’une des pages les plus brillantes de sa très longue carrière de révolutionnaire et de héraut du tiers monde. Dès 1975, il déclenche « l’opération Carlotta », du nom d’une esclave noire qui mena une insurrection à Cuba, pour venir en aide au Mpla (Mouvement pour la Libération de l’Angola), menacé par l’Unita (Union Nationale pour l’Indépendance Totale de l’Angola) de Jonas Savimbi, soutenu par les États-Unis, mais surtout par le régime raciste d’Afrique du Sud.
L’engagement de près de 35.000 soldats cubains commandés par le brillant général Arnoldo Ochoa. La bataille de Cuito Cuanavale, épisode injustement méconnu et tournant majeur de la Guerre froide, signa le début de la fin pour le régime de l’apartheid. Les terribles pertes essuyées de part et d’autre, dans cette localité de l’Angola, par les troupes cubaines et sud-africaines, conduiront à un accord de paix entre La Havane et Pretoria : le retrait des troupes cubaines d’Angola contre l’indépendance de la Namibie sous occupation sud-africaine.
Cette pression de Cuba, qui accueillit aussi dans des camps d’entrainement bon nombre de cadres de l’Anc, aboutira à l’un des évènements les plus considérables du 20ème siècle : la libération de Nelson Mandela. Le grand homme, pas ingrat pour un sou, malgré les cris d’orfraie de certains pays occidentaux, réservera son premier déplacement à Cuba, rendant un vif hommage à Castro et aux soldats cubains tombés en Angola. Des hommes pour lesquels Fidel eut cette formule magnifique, qui marqua leur soutien désintéressé dans un pays pourtant riche en pétrole et en diamants : «Nous ne ramènerons d’Angola que les corps de nos camarades tombés…» Hasta siempre Commandante !
Auteur: Barka BA, Directeur de l’information de la TFM – Seneweb.com