Dakar, 6 fèv (APS) – L’égyptologue Aboubacry Moussa Lam a donné jeudi la « modestie » du professeur Cheikh Anta Diop en exemple aux jeunes universitaires, soulignant que le savant sénégalais pouvait se passer des délibérations du CAMES, mais a tenu à passer par cette voie pour faire valider les résultats de ses recherches pour passer maître de conférences en 1981.
« Cheikh Anta, de par ses publications et ses conférences très courues à cette époque, pouvait se passer du Conseil africain et malgache de l’enseignement supérieur (CAMES) pour valider ses résultats de recherche. Mais de par sa modestie, il est allé déposer comme tout le monde, son dossier pour passer maître de conférences en 1981’’, a souligné le professeur Lam. Il intervenait lors d’un panel organisé par l’Université virtuelle du Sénégal (UVS), sur le thème ’’La vie et l’œuvre de Cheikh Anta Diop, regards croisés’’, en prélude à la célébration du 34e anniversaire marquant le décès du savant sénégalais. Les festivités de cette commémoration sont prévues vendredi à l’Université Cheikh Anta Diop (UCAD) de Dakar et à Ceytou, son village natal, dans la région de Diourbel (centre). La conférence a été précédée par la projection du film documentaire ’’Kemtiyu Cheikh Anta’’ que le cinéaste Ousmane William Mbaye a consacré à cette figure politique et intellectuelle emblématique du Sénégal et de l’Afrique. Ce film d’une heure trente minutes retrace la vie et l’œuvre de Cheikh Anta Diop. Il a été projeté en présence d’éminents universitaires sénégalais et burkinabè, mais aussi de proches du défunt dont ses deux fils, Cheikh Mbacké Diop et Massamba Sassoum Diop. Selon Aboubacar Moussa Lam, l’ancien président du Sénégal Abdou Diouf (1981-2000), ’’dès qu’il a reçu la notification du CAMES, avait bien fait de nommer Cheikh Anta Diop professeur titulaire, plus que le grade de maître de Conférences pour lequel il postulait, compte tenu de ses publications et le respect qu’il avait auprès de ses pairs.’’ M. Lam, enseignant au département d’Histoire de l’UCAD et disciple de Cheikh Anta Diop, a insisté sur la ’’générosité intellectuelle’’ de ce dernier, qui, dit-il, « était très accessible, même pour ceux qui n’étaient pas d’accord avec lui sur le terrain scientifique.’’ Le professeur Babacar Diop dit Buuba, autre panéliste, a pour sa part invité les jeunes étudiants à davantage ’’côtoyer les anciens pour profiter de leur science.’’ ’’Ayez la culture de profiter de l’instant’’, a-t-il lancé au public, en citant un proverbe grec. Le professeur d’Histoire ancienne a par la même occasion rappelé ses années de lycéen et d’étudiant durant lesquelles il dit avoir « assidûment fréquenté Cheikh Anta Diop (1971-1975) ». ’’Il suffisait juste d’arriver dans son bureau aux heures indiquées, entre 12h et 15h, pour évoquer avec lui tous les sujets relevant de la science ou de l’actualité politique’’, note-t-il, la voix empreinte d’émotion. Comme le professeur Aboubacry Moussa Lam, le professeur Buuba Diop a loué à son tour ’’l’ouverture’’ d’esprit de Cheikh Anta Diop. Ce dernier, selon lui, contrairement aux idées reçues, ’’n’était pas un penseur dogmatique qui ne revenait jamais sur des positions.’’ Cheikh Anta Diop, décédé le 7 février 1986, est considéré par certains comme le restaurateur de la conscience historique africaine, notamment malmenée par la colonisation et la domination occidentale. Trente-quatre ans après sa disparition, certaines idées de Cheikh Anta Diop, à l’instar de l’antériorité des civilisations africaines ou ’’l’africanité’’ de l’Egypte pharaonique, font l’objet de beaucoup de controverses dans les milieux universitaires, notamment en Occident. Outre son égypto-centrisme, il lui a été souvent reproché l’importance qu’il accordait à la notion de race et la trop grande influence de son combat politique sur ses théories scientifiques. Selon ses critiques, son œuvre resterait trop empreinte d’idéologie. Mais Aboubacry Moussa Lam, un des continuateurs de son œuvre à l’université qui porte aujourd’hui son nom, insiste sur le fait que ’’Cheikh Anta Diop n’a pas choisi son terrain de combat, il n’a fait que répondre aux débats de son époque’’. « Nations nègres et culture » compte parmi les nombreux essais et livres publiés par Cheikh Anta Diop et devenus de véritables références intellectuelles. Il y a par exemple son ouvrage intitulé « L’Unité culturelle de l’Afrique » (1960), mais aussi « Etude comparée des systèmes politiques et sociaux de l’Europe et de l’Afrique de l’antiquité à la formation des Etats modernes » (1959), « Antériorité des civilisations nègres : mythe ou vérité historique » (1967), « Civilisations ou barbarie (1981) », entre autres publications.
SMD/BK/ASG