De confortables honoraires, une grande exposition médiatique, le tout dans un cadre juridique familier, hérité du temps des colonies… Quelles que soient la complexité des dossiers ou la réputation de leurs puissants clients, les plus grands ténors français se pressent sur le continent pour les défendre.

Mardi 20 août 2013, sous les voûtes de l’église Saint-Thomas-d’Aquin, à Paris, la Françafrique des robes noires rend un dernier hommage à son maître. Jacques Vergès est mort, et avec lui disparaît un extraordinaire concentré d’affaires judiciaires africaines où s’entremêlent depuis un demi-siècle opposants et présidents, escrocs et marabouts, mercenaires et dictateurs. Si personne depuis n’est parvenu à égaler la boulimie protéiforme – non plus que le talent – d’un homme à qui il arriva de conseiller une demi-douzaine de chefs d’État africains au même moment, la veine est loin d’être tarie.

Pour la plupart des grands noms du barreau parisien, l’Afrique francophone est toujours cet eldorado exclusif qui permet, au gré des clients, d’engranger de très confortables honoraires ou une belle exposition médiatique, souvent les deux à la fois. Les anciennes colonies françaises ayant hérité de l’architecture juridique et de la plupart des textes de loi de l’ex-métropole, les avocats ne sont pas les seuls à bénéficier de cet avantage comparatif. En ces temps de retricotage des textes fondamentaux, les universitaires spécialistes de droit constitutionnel sont une espèce particulièrement demandée dans les palais présidentiels.

Eux aussi ont leurs références, actives à la fin des années 1990 et au début de ce siècle dans l’entourage de chefs d’États qui déjà cherchaient à prolonger leur vie au pouvoir – Charles Debbasch, Michel Aurillac, Edmond Jouve, Pierre Mazeaud, Charles Zorgbibe, Pascal Chaigneau… ainsi que leur doyen, leur figure tutélaire, Georges Vedel, à qui la monarchie marocaine doit tant. Ce n’est pourtant pas de ces derniers qu’il est question ici – il faudrait leur consacrer un autre «Grand angle» – ni, sauf à titre de rappel, des juges d’instruction en charge des dossiers africains du moment, même si certains d’entre eux comme Georges Fenech (au Gabon) ou Eva Joly (à Madagascar) sont parfois passés de l’autre côté du miroir. Mais bien des avocats, dont le proverbe (qui pourrait être africain) prétend qu’ils vivent «du droit comme du tort».

En établissant la liste de ces vingt ténors français, pour qui l’ex-«pré carré» africain est un terrain de prédilection, au point souvent de se situer au confluent de la politique, des affaires et du lobbying, nous ne prétendons pas à l’exhaustivité. Roland Dumas, qui forma avec Jacques Vergès un improbable duo, Paul Lombard qui fut le conseil du «prince rouge» Moulay Hicham, François Gibault, à l’oeuvre auprès du général marocain Dlimi et de l’empereur centrafricain Bokassa, Claude Guéant, reconverti dans le conseil aux entreprises entre Malabo et Abidjan, et bien d’autres encore, n’y figurent pas. La raison en est simple : nous avons privilégié ceux qui, en France, traitent en ce moment d’affaires africaines à forte connotation politique, lesquelles ont rarement été aussi nombreuses.

Grincer des dents

Biens mal acquis (Congo, Gabon, Guinée équatoriale), disparus du Beach (Congo), prisonniers de l’opération Épervier (Cameroun), procès Karim Wade (Sénégal), fuite de Hama Amadou (Niger), affaire Patrice Talon (Bénin), plaintes contre le chef des services de renseignements extérieurs Abdellatif Hammouchi (Maroc), dossiers Gbagbo et Bemba à la Cour pénale internationale (Côte d’Ivoire, RD Congo), sans compter l’interminable feuilleton de la disparition du juge Borrel, entamé à Djibouti il y a bientôt vingt ans : la liste est loin d’être close.

En Afrique, nos stars du barreau et de la procédure trouvent ce qu’ils aiment avant tout : des clients fortunés, des proies médiatiques, des bagarres de prétoire, quitte à faire grincer les dents de leurs confrères du continent. Si ces derniers sont souvent associés aux dossiers, car ils connaissent bien mieux l’environnement politique et culturel, ce sont toujours les avocats parachutés qui captent la lumière. Eux qui, croit-on, impressionnent les juges, maîtrisent le verbe et influent sur les médias. L’exemple de Jacques Vergès, qui perdit plus de procès qu’il n’en gagna au nom de sa spectaculaire «défense de rupture», au point de transformer l’échec de ses clients en triomphe personnel, devrait pourtant inciter à réfléchir…

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