Ce 20 décembre est le quinzième anniversaire de la mort de Léopold Sédar Senghor. Senghor fut agrégé de grammaire, poète, ministre sous la IVe République en France, premier président du Sénégal et membre de l’Académie française. Son oeuvre poétique est lue aujourd’hui dans le monde entier, alors que les Sénégalais s’enorgueillissent de son héritage littéraire et politique. Retour en dix dates sur la vie et la carrière de cette grande figure de l’histoire africaine contemporaine.
9 octobre 1906 : Naissance et symbolique du nom
Léopold Sédar Senghor est né à Joal, village côtier situé à cent kilomètres au sud de Dakar (Sénégal), dans une famille de notables. Sa mère Gnilane Ndiémé Bakhoum est la troisième épouse de son père, Basile Diogoye Senghor, commerçant catholique issu de l’aristocratie sérère du Sénégal. La légende veut que la veille de la naissance de son dernier fils, Basile Diogoye recevait chez lui le roi du Sine, ce qui était considéré comme un grand honneur.
Si les Senghor étaient fiers de leurs traditions sérères, leur nom n’a pas une sonorité très africaine et pourrait venir, selon les linguistes, du mot portugais « senhor » qui signifie « monsieur ». Le prénom catholique du nouveau-né « Léopold » lui fut donné par son père en hommage à son ami et employeur mulâtre Léopold Angrand. Quant à « Sédar », c’est un prénom sérère qui signifie « qu’on ne peut humilier ». On peut dire que le nom préfigure l’homme que deviendra l’enfant, se situant au carrefour des cultures et appelant de tous ses vœux l’avènement d’une civilisation de l’universel.
1906-1928 : Adolescence et études
Le petit Senghor passe les premières années de sa vie chez sa famille maternelle, à Djilor. Jusqu’à l’âge de sept ans, il ne parle que sérère et c’est seulement à son retour chez son père qu’il est initié aux premiers rudiments de la langue française lorsqu’il fréquente la mission catholique de Joal avec les autres enfants de la famille. Le garçonnet commence ses études d’abord chez les pères spiritains de Ngazobil, puis comme petit séminariste au collège Libermann de Dakar où il se prépare à la prêtrise. le petit Léopold est exclu du collège en 1926 pour avoir, selon la légende, contesté le supérieur qui niait à l’Afrique toute histoire et toute civilisation. Il s’inscrit alors dans une école laïque pour préparer le baccalauréat qu’il réussit brillamment. Il obtient une demi-bourse de l’administration coloniale pour partir poursuivre ses études supérieures à Paris.
1928-1944 : L’Etudiant noir à Paris, entre nostalgie et combats
Senghor arrive à Paris en octobre 1928. C’est le début de ce qu’il a appelé ses « seize années d’errance » pendant lesquelles il obtient une licence de lettres et est reçu à l’agrégation de grammaire. Il est le premier Africain lauréat de ce concours qui lui ouvre la carrière dans l’enseignement. Il est professeur de lettres classiques d’abord à Tours, puis dans la région parisienne. Au lycée Louis-le-Grand où il avait étudié en classes préparatoires littéraires, il se lie d’amitié avec Georges Pompidou, futur président français. Il y rencontre également le Martiniquais Aimé Césaire, lui aussi, alors fraîchement débarqué à Paris, afin de poursuivre ses études.
En 1934, il fonde avec Césaire et le Guyanais Léon Damas la revue L’Etudiant noir, dans les pages de laquelle il théorise sur le thème de la négritude, définie comme l’ensemble des valeurs du monde noir. La négritude, mais aussi la francité et la civilisation de l’universel forment la triptyque thématique de l’œuvre littéraire de Senghor, dont les débuts datent de cette période d’errance et de quête identitaire.
En 1939, Senghor est enrôlé comme fantassin de 2e classe dans un régiment d’infanterie coloniale et affecté au 31e régiment d’infanterie coloniale, régiment composé d’Africains. Le 20 juin 1940, il manque de justesse de se faire fusiller avec les autres Africains faits prisonniers. Il est transféré de camp en camp, avant d’être finalement libéré en 1942, pour raison de santé. Il reprend sa classe en région parisienne, et écrit à l’approche de la fin de la guerre un essai intitulé La Communauté impériale française (Alsatia), inspiré des idées lancées pendant la conférence de Brazzaville (30 janvier-8 février 1944). Cette conférence organisée à l’initiative du général de Gaulle avait fait naître l’espoir d’un changement dans les relations franco-africaines.
1945 : Entrée dans la vie politique
La carrière politique du futur chef de l’Etat sénégalais commence en 1945 lorsque, la guerre terminée, il est invité par le général de Gaulle à participer aux travaux de la commission Monnerville chargée d’étudier la représentation des colonies dans la future Assemblée constituante. Au cours de l’un de ses voyages au Sénégal afin de faire des recherches sur la poésie sérère pour laquelle il avait obtenu une bourse du CNRS, il est approché par le chef de file local des socialiste, Lamine Guèye, qui lui propose d’être candidat à la députation. Senghor accepte et il est élu député de la circonscription Sénégal-Mauritanie à l’Assemblée nationale française où les colonies sont désormais représentées. Parallèlement, il publie son premier recueil de poèmes Chants d’ombre, aux éditions du Seuil.
1948 : « Orphée noir »
© PUF
C’est une autre année fondatrice pour le futur poète-président. Militant de la SFIO depuis les années 1930, il rompt avec les socialistes et notamment avec leur leader local Lamine Guèye, pour fonder avec son compère Mamadou Dia leur propre parti, le Bloc démocratique sénégalais. Cette année est importante sur le plan littéraire car Senghor publie son second recueil de poèmes Hosties noires (Seuil) et surtout une Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache (PUF). Cette anthologie, précédée d’une préface de Jean-Paul Sartre, « Orphée noir », fait retentir l’idée de la négritude, rappelant au monde occidental que l’Afrique n’était pas dépourvue de culture et de littérature, comme les théoriciens de la colonisation avaient laissé entendre pour justifier leur « mission civilisatrice ».
1955 – 1960 : Vers la balkanisation de l’Afrique coloniale
Sous le gouvernement d’Edgar Faure (1er mars 1955 – 1er février 1956), Léopold Sédar Senghor est nommé secrétaire d’Etat à la présidence du Conseil et chargé de réécrire l’article de la Constitution de la IVe République relatif à la formation de l’Union française. Député d’Outre-mer à l’Assemblée nationale à Paris, il milite pour l’intégration de l’Afrique française dans une Union fédérale avec la métropole. En 1958, lorsque le général de Gaulle revient au pouvoir, Senghor lui apporte son soutien en faisant voter les Sénégalais en faveur de la communauté franco-africaine que le nouvel homme fort de Paris voudrait se voir réaliser. Mais sous la pression des événements, l’idée fédérale est rapidement abandonnée et l’Afrique occidentale française se dirige, morcelée, vers la souveraineté et l’indépendance.
Le 5 septembre 1960 : Indépendance
Léopold Sédar Senghor est élu président du Sénégal devenu indépendant en août, après l’éclatement de la Fédération du Mali formée en 1959 par le Sénégal et la République soudanaise.
1960-1980 : du parti unique à une démocratie
Les deux décennies de présidence de Senghor à la tête du Sénégal sont marquées à la fois par des progrès démocratiques et des turbulences sociales. Dès 1962, le nouveau président fait l’objet d’un coup d’Etat, qui échoue mais n’en ébranle pas moins la confiance de Senghor dans son entourage. Il accuse son Premier ministre Mamadou Dia, compagnon de route depuis les années 1950, d’avoir comploté pour le renverser. Dia est arrêté et jeté en prison. Senghor prend les rênes du pouvoir et instaure un régime présidentiel fort qui n’hésite pas à recourir à des moyens musclés pour mettre fin à des grèves estudiantines ou pour combattre les manœuvres de ses opposants politiques. Il impose le parti unique.
Le président est toutefois élu cinq fois de suite au suffrage universel. Avec le temps, Senghor se révèle être un véritable démocrate, en réintroduisant le multipartisme d’une part et organisant des élections régulièrement. Chose rare en Afrique à l’époque, il quitte volontairement le pouvoir en 1980, avant le terme de son cinquième mandat, transmettant le pouvoir à son successeur Abdou Diouf. Il a alors 74 ans.
Les décennies Senghor se caractérisent aussi par l’accent mis sur le culturel, qui est affirmé et réaffirmé par le poète-président comme le socle du développement. L’accueil à Dakar en 1966 du premier Festival mondial des arts nègres et l’organisation d’un colloque en 1971 sur la négritude s’inscrivent dans le souci du régime de faire de la culture et de la pensée des axes majeurs de sa gouvernance. Last but not least, la présidence de Senghor coïncide avec la mise en place en 1969, à Niamey (Niger), des premières institutions du mouvement francophone, dont le poète de la négritude est considéré, avec le Tunisien Habib Bourguiba, le Nigérien Hamani Diori, le Cambodgien Norodom Sihanouk, comme l’un des pères fondateurs.
Le 29 mars 1984 : Senghor rejoint les « Immortels »
Après son retrait de la vie politique sénégalaise, l’ex-président s’installe en France, se partageant entre son appartement parisien et sa résidence en Normandie dont est originaire sa seconde épouse. Ces dernières décennies de sa vie, il se consacre à l’écriture et à la réflexion sur la littérature, qu’il n’avait jamais réellement abandonnées même pendant sa présidence. En reconnaissance de sa contribution à la littérature française avec une dizaine de recueils de poésie à son actif et de nombreux essais aux thèmes divers (littérature, politique, Afrique, métissage), Senghor est élu à l’Académie française en 1983 au 16e fauteuil où il succède au duc de Lévis-Mirepoix. Il est reçu solennellement sous la coupole, le 29 mars 1984. Il est le premier Africain à siéger parmi les « Immortels », le surnom par lequel les Académiciens français sont désignés. Jusqu’aux dernières années de sa vie, malgré sa santé chancelante, Senghor assiste assidûment aux séances hebdomadaires de l’Académie.
Le 20 décembre 2001 : Reconnaissance tardive de la France
Le chantre de la négritude s’éteint à l’âge de 95 ans dans son domicile de Verson en Normandie. Il est inhumé dans son pays natal où l’Etat sénégalais lui réserve des obsèques nationales. La France y est représentée par un secrétaire d’Etat, suscitant rancœur et incompréhension de part et d’autre des rives de l’Atlantique. Un hommage officiel tardif sera rendu au défunt à Paris, à l’église Saint-Germain-des-prés le 29 janvier 2002, en présence du président de la République, Jacques Chirac. « La poésie a perdu un maître, le Sénégal un homme d’Etat, l’Afrique un visionnaire et la France un ami », déclarera le président français, résumant en une phrase l’oeuvre de toute une vie. L’épouse du poète-président n’assistera pas à la cérémonie, qui n’était pour elle qu’une « séance de rattrapage ».
Source: RFI