Le décès de M. Ousmane Sow est une perte immense pour le Sénégal, l’Afrique et le Monde des Arts.
Ousmane Sow est l’un des plus grand sculpteur du monde moderne. Vivant à Paris et amateur d’art, je ne pouvais jamais manquer de m’arrêter sur le penseur de Rodin à l’entrée du musée qui porte son nom. J’admirais ces muscles taillés avec force dans la pierre cependant que l’attitude du personnage penché, le menton dans le creux de la main, me faisait penser au vieillard dogon en attitude de méditation.
D’ailleurs, presque tous peuples de la terre ont confié au bois ou à la pierre l’image d’un vieux et sage vieillard perdu dans une réflexion profonde, chaque visiteur se demandant à quoi pouvait penser cet homme au crépuscule de sa vie. Nul ne le saura car il s’agit d’une expérience personnelle caractéristique d’une étape de la vie humaine sur terre. Mais nul doute que ces vieillards réfléchissent non pour eux, mais pour l’homme.
Ousmane, kinésithérapeute de profession est le sculpteur des êtres humains et celui du gigantisme. Ses personnages ont plus de deux mètres, dominent et écrasent le visiteur qui ébloui par tant de beauté se replie sur lui même, et sort de l’exposition, la tête en feu. Infirmier de profession, Ousmane Sow connaissait à merveille, la morphologie de l’être humain et les muscles dans leur détail. Le corps humain n’avait pas de secret pour lui et il nous en a montré la beauté cachée.
Ministre d’Etat auprès du Président de la République j’ai fait connaître Ousmane Sow au Conseil des Ministres où personne, y compris le Président de la République Abdou Diouf, ne le connaissait. J’expliquai que cet artiste était une fierté pour le Sénégal et qu’il était incompréhensible qu’on l’ignorât alors que, dans les pays développés, en Asie surtout on s’arrachait ses œuvres. Les Japonais, en particulier faisaient une véritable razzias sur les œuvres d’Ousmane Sow.
Le Président me demanda d’aller présider le vernissage de son exposition Avenue Sarraut à Dakar. Il ordonna que certaines pièces fussent exposées dans le jardin de l’Assemblée nationale et exprima son souhait d’en faire acheter deux ou trois pour le Musée national. Les Sénégalais et les Sénégalais vinrent nombreux découvrir et admirer les créations d’un fils du pays connu partout dans le monde, sauf dans le sien. Et je conclu : ‘’ Nul n’est prophète en son pays’’, sur quoi un ministre répliqua en plaisantant : « Sauf le prophète du Sopi[1] ! »
L’assemblée nationale retint deux ou trois pièces pour les acheter mais plusieurs jours après ne payait pas. Ousmane, fatigué des faux rendez-vous avec le Questeur pour se faire payer menaça d’enlever les pièces. De guerre lasse, il fit venir des camions pour les charger. Dans son esprit, puisque son pays apparemment n’en voulait, pauvreté ou ignorance, les pièces étaient déjà en Asie où on se les arrachait.
Je prévins le Président Diouf du scandale qui se préparait et du ridicule dans lequel notre pays allait immanquablement sombrer. Le Président Diouf exprima bruyamment sa colère et, une ou deux heures après, Ousmane perçut le fruit de son travail. Les pièces restèrent longtemps dans le Hall de l’Assemblée et furent, m’a-t-on dit envoyées au Musée. Le Chaka qui avait déjà trouvé preneur à l’étranger nous quitta, à mon grand regret et mon immense déception parce que ce chef-d’œuvre à la dimension d’un Léonard de Vinci qui vaut un Rembrandt ou un Auguste Lenoir n’aurait jamais dû quitter le Hall de l’Assemblée nationale où elle méritait d’être scellée à perpétuelle demeure. J’espère qu’elles y sont encore et ont échappé au trafic des œuvres d’art de l’Afrique vers l’Europe, les Amériques ou l’Asie.[2]
Où que je puisse être dans le monde, je vois la scène de CHAKA ZOULOU [3] rendant la justice.
Par la force des choses je devins représentant attitré du Gouvernement, inaugurateur itinérant d’exposition d’art au Sénégal, me trouvant de la sorte au centre de tous les vernissages.
Ma femme et moi considérions Ousmane Sow comme un ami et il le fut qui venait nous rendre visite de temps à autres.
Un point de friction fut lorsque j’ai lancé une consultation ouverte des sculpteurs sur le Monument de la Renaissance Africaine au sommet de l’une de deux mamelles de Ouakam.[4]
Ousmane fut le seul à me présenter une statue d’un seul personnage, un paysan Sénégalais en habit de firdo[5] avec son kadiandou[6], je crois, mais coiffé d’un chapeau plus mexicain qu’africain, sur la tête pour s’abriter du soleil.
Je tirai simplement la conclusion que mon ami Ousmane, notre Ousmane, ne m’avait pas compris et qu’il y avait encore dans sa tête du mexicain. Car, au Sénégal les ethnies ont de très beaux chapeau de paille, le maaka[7] des Ouolofs[8], le tengaadé[9] des Pulars et bien d’autres dont aucun ne ressemble à un chapeau mexicain.
Mais, péché majeur, son personnage avait à peu près 2 mètres de hauteur, de la dimension de ses autres personnages, sont certes des géants mais loin du colosse du Monument de la Renaissance Africaine, la plus haute statue du monde représentant un symbole fort dans lequel se retrouve tous africains de l’ouste à l’Est, du Nord au Sud. Je n’ai donc pas choisi le modèle d’Ousmane Sow, ce qui n’enlève rein à son mérite d’être, probablement, le plus grand sculpteur de l’époque contemporaines. A tous ses parents, à tous les Sénégalais, à tous les Africains, à tous ceux qui, dans le monde, surtout en Asie ont su apprécier l’art du grand sculpteur africain Ousmane Sow. Que Dieu l’accueille en son paradis.
[1] Signifie en Ouolof, langue nationale du Sénégal, changement. Les foules crient le slogan en le rythmant très fort : SO…pi ? SO…pi ? SO…pi ?
On dit qu’au cours de sa campagne électorale, Obama l’a emprunté : « change!, change !, change ! ».
[2] Savez-vous que des conservateurs de musée, ou de simples employés, en voyant des étrangers admiratifs devant les masques, leur ont proposé de les leur acheter ! Et ces filous remplaçaient les pièces authentiques par des imitations faites par des artisans du Village artisanal. Le subterfuge ne pouvait échapper aux experts qui ont dénoncé la présence dans nos musée de « « pièces d’aéroport’’, suivant la belle expression du célèbre expert collectionneur Jacques Kershhass qui l’expert que Jacques Chirac préférait envoyer dans le mon des créations des Incas d’Amérique aux Pagodes d’or perdues dans la forêt thaïlandaise ;
[4] Village de la banlieue de Dakar caractérisée par ses deux collines dont l’une est haute de 100 mètres, à quoi on ironise en l’appelant ‘’le plus haut sommet du Sénégal !’’. L’assertion n’est pas tout à fait vrai car en Afrique de l’Ouest il y a quand même les montagnes du Fouta Djallon avec leurs contreforts situés au Sénégal et qui peuvent atteindre 2 ou 3OO mètres cependant qu’en Afrique de l’Est il y a des montagnes comme le Kilimandjaro au Kenya qui a donné son nom au Manifeste qui a rendu célèbre Jomo Kenyatta, leader Mau mau qui fut le premier Président du Kenya après l’indépendance.
[5] Jeunes Peulhs de Guinée Conakry qui, à la veille de l’hivernage viennent en rangs au Sénégal chercher du travail. Ils son employés pour défricher les champs d’arachide, de mil, les entretenir en enlevant les mauvaises herbes, après mûrissement récolter les graines et les épis pour leur ndiatigué, ou patrons. Après avoir vendu leurs parts de la récolte ils achètent des chaussures, des lampes tempêtes (pétrole) et autres babioles .En colonne et en chantant, ils rentrent à pied chez eux, à 400 km, entrainés par les musiciens jouant avec leurs riitis (instruments à cordes) et leurs flûtes taillées dans les tiges de bambous
[6] Instrument aratoire pour racler la terre ou creuser des sillons. Le Paysan est penché en avant sur son instrument et donne des coups rythmés selon l’ardeur de l’utilisateur
[7]Chapeau de paille aéré pour se protéger de la chaleur à larges bords ;
[8] Ethnie majoritaire au Sénégal , 80%
[9] Chapeau de paille tressée serrée, orné de lacets de cuir tanné, avec jugulaire en lamelles, de peau de vache