L’Aéroport International Blaise Diagne (AIBD) a officiellement ouvert ses portes le 7 décembre dernier, sonnant ainsi le glas de l’ancien, Léopold Sédar Senghor. Depuis cette délocalisation, l’ex-vitrine du Sénégal semble sombrer petit à petit dans l’oubli. Dénommée «le cimetière» par quelques transitaires encore présents sur les lieux, l’ex-aéroport international est devenu quasiment désert. Ces transitaires n’en démordent pas. Ils sont toujours remontés contre les autorités d’avoir mis fin au fonctionnement du premier aéroport du pays. Plus de 2 semaines après sa fermeture le 8 décembre dernier, SeneNews est de retour sur les lieux pour tâter le pouls de la plateforme. Reportage.
Théoriquement, l’aéroport Léopold Sédar Senghor est devenu depuis le 08 décembre un aéroport militaire. Mais à première vue, la plateforme officiellement cédée à l’armée nationale comme annoncé par le porte-parole du gouvernement Seydou Gueye, à la suite du conseil interministériel le 21 octobre dernier, ne semble pas encore occupée par ses nouveaux locataires. Car sur place, de l’extérieur, il n’y a aucune présence visible d’hommes de tenus ici en cette fin de matinée. Pas un seul militaire en tenue aperçu, ne serait-ce que pour assurer la sécurité extérieure des lieux. Et comme le tarmac ne nous est pas accessible, ni tous les autres locaux, nous ne pouvons savoir ce qu’il y a et ce qui s’y passe. Cependant, des personnes trouvées sur la partie accessible au public, nous assurent que les militaires seraient bel et bien à l’intérieur de l’aéroport.
A l’époque, au plus fort du fonctionnement de ce hub aérien, les bruits au décollage et à l’atterrissage des avions faisait partie intégrante de l’ambiance quotidienne. Mais en cette fin de matinée, c’est silence radio.
A quelques mètres du parking, vers le hall, deux portes sont ouvertes sur la longue terrasse menant vers l’ancien salon d’honneur. Il s’agit des locaux des agences Ahs et de Transair, encore sur place à l’LSS. Les occupants qui y travaillent affirment que la délocalisation de l’aéroport à Diass n’a pas des répercussions importantes sur leurs activités. Et pour cause, la réservation de billets se fait généralement par téléphone. De plus, leurs clients sont généralement basés à Dakar. Par conséquent, acheter le billet à LSS est plus simple et plus facile que de se déplacer jusqu’à l’AIBD, à quelques 57 kilomètres de la capitale.
LSS tel un cimetière…
Le lieu est calme certes, mais pour trouver trace d’activité au-delà des vendeurs, il faut se déplacer d’une centaine de mètres, à gauche de l’entrée de l’aéroport. C’est là où se trouvent les transitaires. Pièce maîtresse de tout aéroport et acteurs du fret, quelques-uns d’entre eux n’ont toujours pas rallié le nouvel aéroport. En effet, quelques semaines avant et des jours précédant le transfert des activités à Diass, les transitaires dénonçaient ouvertement des difficultés notoires et des conditions de vie et de travail inadaptées à l’AIBD. Interrogé par SeneNews, Omar Mollah Kane, le porte-parole des transitaires, dans un langage imagé parle d’assassinat de Léopold Sédar Senghor. «Vous l’avez vu, cet aéroport est devenu un véritable cimetière. Les autorités devraient avoir honte de tuer une seconde fois Léopold Sédar Senghor. L’homme est mort le 20 décembre 2001, mais ils l’ont encore tué le 8 décembre 2017 », a lancé le quinquagénaire, en courroux. En vérité, M. Kane comme d’autres transitaires auraient voulu que l’AIBD et LSS, tous les deux aéroports fonctionnent en même temps pour que les voyageurs puissent avoir un choix. Encore qu’à l’AIBD beaucoup reste à faire pour que tout fonctionne normalement.
«Là-bas (à Diass), il n’y a ni nourriture, ni condition adéquate de vie. Il n’y a même pas d’internet, ce qui est grave pour un aéroport international. En plus de ça, ils ont triplé les loyers et remises de documents» s’offusque Omar Mollah Kane. Abondant dans le même sens, son confrère Pape Mamadou Ndiaye, qui est par ailleurs homme politique, décrie la cherté de la vie à Diass. Les prix ont quadruplé comparé à Léopold Sédar Senghor. Malgré les contestations des transitaires pour faire diminuer les charges de transfert de dossiers, leurs doléances sont restées lettre morte. «On s’était toujours battu pour faire diminuer le prix des transferts de documents qui étaient de 22 000 FCFA à LSS. A Diass, ils sont compris entre 100 000 et 200 000 FCFA », confesse-t-il, l’air triste et perplexe.
Côté loyers, c’est le même renchérissement des prix. Selon Omar Kane, à l’aéroport international Blaise Diagne de Diass (AIBD), pour avoir un bureau de 15 m², il faudrait débourser 147 000 FCFA, à raison de 10 000 Fcfa le m² dont 18% de TVA ainsi que d’autres taxes subsidiaires. Pire, à partir du mois de janvier, pour 15 m² à l’AIBD, il faudra débourser 300 000 FCFA par mois. Il s’agit en effet d’un contrat évolutif sans préavis, c’est-à-dire que les sommes convenues pour la location peuvent augmenter sans pour autant nécessiter l’avis de l’autre partie contractante. Les conséquences de la délocalisation de l’aéroport à Diass ont désormais dépassé les limites de LSS.
Bon débarras pour les habitants de Yoff
La nature a horreur du vide. Les activités de LSS délocalisées à Diass, c’est une véritable industrie qui s’effondre. La pléthore d’hôtels, de restaurants et de boutiques jalonnent l’aéroport tournent au ralenti. S’ils pouvaient se considérer comme privilégiés en étant à quelques mètres d’un lieu qui voit en moyenne plusieurs millions de personnes arpentés leurs locaux, ils sont aujourd’hui ceux qui ressentent le plus effets de la délocalisation des activités de l’aéroport LSS. Rencontré aux alentours du site, cette hôtesse d’un hôtel prestigieux de la place qui a requis l’anonymat, a confirmé une baisse considérable des visites. Auparavant, chaque jour, aux heures de repas, l’endroit était plein à craquer. Désormais, il n’y a que quelques écoliers qui y viennent se restaurer ici.
Pour le transfèrement de Diass, à côté de ceux qui sont mécontents, il y a aussi ceux qui se réjouissent. Ce sont les riverains, habitants du quartier de Yoff. Avec un nombre incalculable d’avions qui atterrissaient et décollaient chaque jour, dans cet ancien village de pêcheurs où est établit l’aéroport LSS, le vacarme, ce bruit assourdissant faisait partie du quotidien des habitants depuis des années. Aujourd’hui, l’environnement semble beaucoup plus calme et paisible. «Il y avait un grand boum quasiment à chaque heure. C’était vraiment assourdissant», note Fatima, une femme mariée et habitante de Yoff, la quarantaine bien bouclée. Même son de cloche pour Fama, qui loge dans les environs depuis quelques mois seulement. Cette délocalisation vient à point nommée, d’après elle. «J’avais beaucoup de problèmes pour dormir à mon arrivée. Mais depuis le 8 décembre, j’y arrive plus facilement», se félicite, la jeune dame.