Face aux promesses mirobolantes de l’agrobusiness et à l’avancée des terres agricoles sur celle consacrées aux pâturages, les éleveurs donnent de la voix et indexent l’Etat et ses démembrements. Ils s’étaient déjà retrouvés à Doli(Département de Linguère), les 25 et 26 novembre 2011, autour de la problématique de la sécurisation foncière et de la vocation pastorale du ranch le plus célèbre de la sous région ouest africaine.
Au mois de novembre dernier, au lieu de rester dans leurs villages et ruminer leur désespoir, les populations d’éleveurs, formateurs et associations ont convergé vers Dakar, pour dire oui au renforcement de la vocation pastorale du ranch de Doli (Département de Linguère) et non à la cession des terres aux promoteurs de l’agriculture extensive et de l’agrobusiness. Hommes et femmes, présidents de communautés rurales, simples chefs de villages ont fait le déplacement pour exprimer la volonté de dialoguer fermement avec l’Etat sur l’avenir et la place du ranch.
Question épineuse, car Doli et son ranch sont dans un espace de convoitises où se pratiquent comme un peu partout au Sénégal, des activités d’élevage et d’agriculture. Alors quand, à la suite de la déclaration de Doli, à l’initiative du Cerfla*, éleveurs et techniciens se sont retrouvés à Dakar, c’était pour relire les grandes lignes du plan d’action et consolider les actes de fondation d’un processus résolument destiné à la relance de l’élevage. Ce qui, disent les éleveurs, devrait passer avant tout par le renforcement de la vocation pastorale du ranch de Doli et la modernisation de son matériel.
C’est en 1963 que Doli et sa zone ont bénéficié du statut de réserve sylvopastorale sur une surface estimée à quelque 110.900 hectares. L’unique souci était de préserver la végétation herbacée et arbustive en vue de favoriser le développement de l’élevage. Sans pour autant compromettre, lit-on dans les textes, « la possibilité de régénération de la diversité végétale et de préservation d’une faune sauvage composée principalement de reptiles…»
Ce premier geste ne résoudra pas pour autant tous les problèmes. 5 ans plus tard, en 1968, une partie du domaine sous protection va faire l’objet d’un premier réaménagement destiné à en faire une zone d’accueil pour les éleveurs. C’est la période où l’on a mis des barbelés en guise de clôture pour ceinturer le ranch et créer les conditions de la sécurisation des infrastructures pastorales.
Il s’agissait par cette mesure de promouvoir l’élevage des ruminants domestiques dans le souci de réguler l’approvisionnement en viande de la ville de Dakar et des autres centres urbains du Sénégal. Et d’autre part, de favoriser la préservation de la diversité biologique dans la zone. De 1968 à l’année 1999, Doli, entend-t-on dire du côté de la recherche, fonctionnera comme une zone d’engraissement du gros bétail destiné à approvisionner le marché de la grande ville de Dakar. Ville de toutes les folies, l’approvisionnement seul de la capitale ne saurait exprimer l’importance d’un tel espace dans le développement de l’élevage. Et c’est ce qu’ont fini par comprendre les éleveurs sénégalais.
La suite de l’histoire, enseigne ainsi que la gestion du domaine va être confiée par la suite à la Société d’exploitation des ressources animales du Sénégal (Seras).
Défense de la vocation pastorale du ranch de Doli
A la fin de la convention qui liait l’Etat et la Seras, (nous sommes en 1976), la gestion a été assurée de façon intérimaire par la Direction de l’élevage jusqu’en 1979. La nouveauté est que le gouvernement a signé une nouvelle convention avec la société de Développement de l’élevage dans la zone sylvopastorale (Sodesp). Elle a fait du ranch une zone de "réélevage" des veaux mâles.
Avec la clôture de la Sodesp, en juillet 1999, un nouveau tournant moins glorieux se dessine à nouveau pour Doli rattaché cette fois au nouveau ministère chargé de l’Elevage. C’est le début d’un déclin qui va s’aggraver avec la mort subite et voulue de la forêt classée de Khelcom située au nord du ranch, entre les départements de Kaffrine, Fatick, Louga, Diourbel. La suite est une longue descente dans l’enfer du désert. Doli devient avec son ranch une sorte de no man’s land au cœur d’un « Kalahari » sénégalais aux environs d’un autre finage géographique longtemps méprisé par l’Etat et ses gouvernements : le Ferlo.
Ce qui a fait dire aux sociologues spécialistes du pastoralisme que : «en dépit de l’existence de la tutelle administrative, le ranch a été quasiment délaissé par les pouvoirs publics. Et cet état de fait a suscité des convoitises qui sont le fait des grands agriculteurs à la recherche de nouvelles terres de cultures, mais aussi d’entrepreneurs agricoles qui ont investi dans l’élevage… »
C’est le cas de la société Emap dont le cheptel présent dans le ranch va s’élever jusqu’à près d’un millier de bovins. Et en 2003, les pouvoirs publics vont décider d’attribuer les deux tiers des quelque 51 000 ha du domaine à un marabout. Voilà pour l’histoire et les vraies raisons de la vigilance des populations d’éleveurs au Sénégal.
Un an après le forum sur le renforcement de la vocation pastorale du ranch de Doli qui s’est tenu les 25 et 26 novembre 2011, un atelier national sur la préservation du Ranch a encore réuni tous les éleveurs du Sénégal pour attirer l’attention des nouvelles autorités sur leur désir de lutter encore pour cet objectif.
En partenariat avec l’Use, les associations nationales d’éleveurs réunis autour du Cerfla, ont de nouveau tiré la sonnette d’alarme avec à l’esprit, la volonté de bâtir un consensus sur la vocation du ranch.
Pour Oussoubi Touré, sociologue et pastoraliste, « Notre préoccupation principale est de mettre sur pied une coalition pour la défense de la vocation pastorale du ranch de Doli et de maintenir les pâturages. Et tout cela n’a pas été pris en compte dans les législations depuis une trentaine d’années. Le Mali, la Mauritanie, le Niger ont un code. Nous, non ». Et de remarquer : « La loi est vieille et il faudra des actions. Dans la loi sur le domaine national, rien n’est dit sur l’élevage. Du coup ajoute le spécialiste, on a une notion restrictive qui ne prend en compte que les aspects agricoles. Il y a une prise de contrôle par l’agriculture qui pose le premier problème. Il faut donc adapter la gestion au contexte de la décentralisation… »
Oussoubi Touré n’arrête pas son regard prospectif sur ces points. A l’en croire, « en plus de l’inadaptation des textes, on note un déficit de réformes pour le développement du pastoralisme. On note aussi un mépris des systèmes pastoraux qui est très dégradant» Selon lui, « si on remet en cause la vocation pastorale de Doli, c’est le germe de conflits permanents ; à commencer par le bassin arachidier. Il faudra donc éteindre le feu pour éviter que cela ne gagne d’autres foyers…» Le plaidoyer devrait donc permettre définitivement selon lui, « de clarifier le statut du ranch.
Les femmes au cœur du combat
Présente au forum de novembre 2011 sur l’avenir du ranch, Mme Souadou SOW est une éleveuse de bétail très active et très respectée au sein des groupements qu’elle dirige. «Nous sommes venus à Dakar pour conforter la volonté des éleveurs de défendre et d’organiser avec l’Etat ce qui reste du ranch de Doli. La vocation pastorale de cet espace, selon nous, ne doit faire l’objet d’aucune autre forme de négociation ou d’affectation qui ne servirait pas avant tout l’intérêt des éleveurs». Le ton est donné. Bien qu’il soit marqué par la vétusté des quelques infrastructures encore debout, le ranch reçoit pendant la période sèche des animaux venant de tous horizons. Mais, le principal problème pendant cette période, déplorent les éleveurs, est dans la disponibilité en eau pour le bétail mais aussi pour les populations du ranch et de ses environs. Parce qu’un seul forage ne saurait abreuver et alimenter cette population mélangée et venant de partout. Le souci est aujourd’hui de voir l’agrobusiness faire disparaître le ranch après l’ancienne promesse du président Wade de céder cet espace à une famille maraboutique.
C’est la crainte de Souadou, d’autant plus que Doli et son environnement sont cernés de part et d’autre par les communautés rurales de Thiel et de Gassane. A l’en croire, « la communauté rurale de Thiel a cédé beaucoup de terres aux paysans agriculteurs jusqu’aux portes du ranch. Celle de Gassane aussi a fait la même chose. Que nous reste-t-il finalement pour faire de l’élevage extensif ?», s’interroge la brave dame. A côté de Souadou Sow, ce sont toutes les femmes qui travaillent dans l’élevage qui sont au cœur de ce combat. Parmi elles, Dieynaba Sidibé, de la région de Tambacounda. Anciennement agent technique de l’animation rurale, l’actrice de développement, et spécialiste d’élevage pose un regard assez désespéré sur l’avenir de l’élevage au Sénégal.
Depuis près de 30 ans, la dame qui a débuté sa carrière au début de la grande sécheresse des années 1973-74 et des dégâts énormes sur le cheptel (maladies et mort importantes du bétail), parle avec emphase et un brin de nostalgie des années fastes de l’animation rurale. «J’estime que le ranch, au vu de son importance devrait être érigé au patrimoine mondial de l’Unesco pour les éleveurs. Pas seulement du Sénégal mais pour toute la sous-région. Parce que même la Mauritanie a un pied jusque dans le ranch de Doli. Ma vision est aujourd’hui de demander aux éleveurs du Sénégal de se mobiliser comme une seule personne, d’élever la voix auprès des autorités, de l’Etat, afin qu’on puisse quand même régulariser la vie du ranch comme le président Senghor l’avait fait à l’époque. Et je pense que jusqu’à présent, ce rôle doit être respecté comme il l’a été», souligne Dieynaba Sidibé.
Urgences et priorités au cœur d’un débat
Aujourd’hui, l’urgence voudrait, selon Dieynaba Sidibé, « qu’on délimite le ranch, qu’on essaye de réaménager les espaces et de moderniser les ouvrages qui sont à l’intérieur et qui pourrissent. Parce que Doli a été inauguré en 1969. » Or , si on laisse cet espace de vie dans son état actuel, le risque à l’en croire, au niveau de la région de Tambacounda, est de voir cette partie du pays recevoir plus de bétail. Aujourd’hui, avertit-elle, « il faut préciser que cette région reçoit les 2/3 du bétail en période difficile. Et, cela ne ferait que renforcer les problèmes de la transhumance et des querelles entre éleveurs et agriculteurs, mais aussi avec les forestiers. Parce qu’à la moindre alerte au feu de brousse et quand des arbres sont coupés, on accuse tout de suite les transhumants. »
Sur le plan social, les femmes souffrent beaucoup de la transhumance, regrette Dieynaba Sidibé. Et de souligner : « elles doivent traîner avec leurs maris, leurs enfants qui sont privés d’école et d’éducation, avec des jeunes femmes en état de grossesse qui accouchent souvent sous l’arbre à palabre sans extrait de naissance pour leur enfant, avec le risque de ne pas donner la vie à la fin… ».
« Je pense aussi, poursuit Mme Sidibé, qu’au niveau économique, si le mari voyage souvent en laissant seule sa femme, il lui laisse la charge de la famille, (la nourriture et l’entretien des enfants). Ce qui fait qu’elle ne pense plus à amener l’enfant à l’école, ni à se soigner elle-même ni à l’habitat. Le mari peut rester de six à huit mois en transhumance et au retour, il ne fait que réceptionner certains abris pour que sa femme puisse être relogée. Certaines d’entre elles qui voyagent avec leurs maris logent dans des huttes. Ce qui fait que ma région (Tambacounda) est une zone d’accueil de la transhumance. C’est dire que les conséquences de la disparition de Doli reposeront surtout sur les femmes qui vont en souffrir…»
Aujourd’hui, présidente nationale du Directoire des femmes pour l’élevage, Dieynaba Sidibé lance ainsi un cri d’alarme. Elle veut que l’Etat puisse appuyer le secteur de l’élevage, la réorganisation de la transhumance nationale et interrégionale, afin qu’une solution puisse être trouvée pour le ranch de Doli. «Nous sommes des leaders interpellés, déplore Mme Sidibé, entre la gendarmerie et la police; et entre la prison et les lieux d’habitation.»
Khelcom et les rêves brisés du Pdso
Le regret de certains éleveurs aujourd’hui est d’avoir vu le Plan de développement du Sénégal oriental (Pdso) disparaître, avant même d’avoir réalisé ses objectifs. C’est dans le cadre de ce plan qu’une partie de la forêt de Khelcom devrait servir de refuge définitif pour le ranch de Doli pour pérenniser la vie de cette institution. Malheureusement, elle ne dépassera pas ses dix années d’existence.
La particularité du Pdso était qu’il devait couvrir l’immense région du Sénégal Oriental jusqu’à la périphérie du département lointain de Matam et la région de Kolda. Mais malheureusement, Dieynaba Sidibé regrette le fait « qu’après avoir confectionné le document, la Banque mondiale était d’accord pour financer le projet, et l’affectation de la zone au Pdso, ensuite le financement de l’aménagement de la zone de Khelcom en ranch, pour qu’après la réalisation du projet, on puisse pérenniser les activités qui ont été bien menées. A savoir les techniques d’élevage, les connaissances sur la santé animale, l’alimentation, l’embouche, l’amélioration des races locales, le programme laitier, la formation des acteurs etc.»
« La méconnaissance des éleveurs sur la faisabilité du projet sera un de ses freins principaux. Et le projet ne verra pas le jour jusqu’au jour où des rumeurs suivis d’effets annoncent, selon Mme Sidibé, l’affectation de Khelcom au marabout de Touba. » Le Pdso est un organisme mort-né dont la non réalisation va avoir des impacts graves sur l’avenir de Doli. Ce qui est le cas aujourd’hui. Le projet définitivement rangé, « les éleveurs, comme le dit Dieynaba Sidibé, ont été en rade de presque tous les programmes de développement.
Un oubli dans les plans de développement
Dans une étude du Programme pastoralisme et environnement au Sahel (Pesah) datée de mars 2005, et intitulée, « La circulation de l’information dans les projets d’élevage » (Burkina, Niger, Sénégal, Tchad, Mauritanie) », la méprise est telle que les révélations semblent assez effarantes, vu du côté des administrations ouest africaines sur l’élevage. Ainsi, il apparaît dans l’étude que « les pasteurs sont presque toujours considérés comme à côté de la société rurale, peu impliqués dans les instances locales de décision et de gestion. Les enjeux d’une meilleure information sont présentés par les projets comme le rééquilibrage entre les niveaux de pouvoirs et de compétences : pour les éleveurs il s’agirait de se concerter pour gérer les ressources à l’échelle locale et faire valoir leurs droits à l’échelle nationale.»
Les études de cas au Sénégal concernaient des projets de développement situés en plusieurs endroits de la zone pastorale : au nord du Ferlo en zone de départ de grandes transhumance avec le Projet d’Autopromotion du Pastoralisme dans le Ferlo, (Papf), en région méridionale (Kaolack ) et orientale (Tambacounda) d’accueil des transhumants, (Projet d’Appui à la gestion intégrée des Ressources naturelles, (Pagerna), et Projet de gestion durable et participative des énergies traditionnelles et de leur substitution, Progede) dans des terroirs agro-pastoraux ou agricoles proches de la saturation. Ainsi, le centre du Ferlo, (autour de Thieul et Dahra) voit passer et s’installer de nombreux transhumants, venus du nord en saison sèche, ou du Sud en période de cultures (régions du Sine et du Saloum).
Dans cette zone, l’étude a été menée en parallèle auprès d’un projet national phare dans le domaine du pastoralisme (Projet d’Appui à l’Elevage, (Papel), et auprès de la firme Nestlé qui avait installé localement en 1992 dix centres de collecte de lait. Aujourd’hui, même si la firme Dolima a suivi, la question de l’avenir de l’élevage sénégalais et la transformation rapide de ses produits se pose avec acuité.
Absence de code pastoral, montée des terres de cultures
Une mobilisation de toutes les forces vives ne suffira pas sans doute à faire du secteur de l’élevage l’une des priorités de la politique de l’Etat au Sénégal. Le retard de plus de quarante cinq ans dont se plaignent aujourd’hui tous les acteurs du secteur primaire (élevage, pêche, agriculture, extraction des mines), devrait faire l’objet d’un débat de fond. Débat autour duquel les premiers à être interpellés restent le président de la République Macky Sall et son gouvernement.
Au cœur de ce combat, animé par le Cerfla, un autre homme se débat. Il est député à l’Assemblée nationale, fils d’éleveurs et habitant de cette vaste région du Ferlo. Adama Sow, c’est son nom, ses gamous Dia auraient dit que c’est sa gourmandise du lait de vache et du couscous qui l’aurait poussé dans ce combat. Que non leur aurait-il sans doute répondu, tant par la « vigueur » et la sincérité de la voix avec des mots dits dans la langue du terroir a fini de convaincre les défenseurs de Doli qu’il est de leur côté. Fatigué de ce débat et du manque d’écoute des autorités politiques, il pense qu’au Sénégal, on n’accorde pas vraiment la priorité à certains aspects de la vie des gens.
«Ma conviction, explique le député, est que dans ce pays, le pastoralisme n’est pas considéré comme une forme de mise en valeur des terres. Depuis l’indépendance, sinon bien avant encore, à chaque fois qu’on parle de terre, on ne pense qu’aux agriculteurs et jamais aux éleveurs. Et pourtant, nous, nous estimons qu’au Sénégal, ce sont les pasteurs qui font vivre surtout dans le domaine de l’élevage, le pays. Prenons simplement l’exemple de la célébration de la fête de la Tabaski, des Magal, et de toutes les activités concernant les familles, ce sont les pasteurs qui sont en première ligne. »
Malheureusement, au niveau national, constate Adama Sow, « même avec la loi agro-sylvopastorale, le pastoralisme n’est pas considéré comme une forme de mise en valeur des terres. » Et c’est là le premier problème auquel reste confiné l’activité d’éleveurs. Le secteur de l’élevage déplore aussi qu’on n’ait jamais entendu parler de terres allouées aux pasteurs.
Pour Adama Sow, « cette anomalie vient du fait qu’au niveau national et du côté des décideurs, on n’a pas encore compris l’enjeu. Et le jour où au niveau national, il n’y aura plus d’espaces pour ces pasteurs, on ira vers de sérieux problèmes sociaux entre les populations. On a vu ce qui se passe à Doli surtout pendant l’hivernage, période pendant laquelle tout le bétail qui vient du Sine se retrouve dans ce territoire.» Ainsi, poursuit Adama Sow, «Tout le bétail provenant du Djoloff de tout le département de Linguère y séjourne également. Imaginons s’il n’y avait pas cet espace de refuge, ce qui se passerait entre les agriculteurs et les éleveurs ? Donc, moi, je pense que l’Etat doit être conscient de cet enjeu. Conscient que le jour où la négligence le poussera à attribuer les terres à l’ensemble des agriculteurs, et qu’on laisse les éleveurs sans espace ; ce jour-là, les difficultés qui vont survenir au niveau national, seront de son entière responsabilité.»
Tout le sens du combat pour le renforcement des prérogatives du ranch et de son environnement sont ainsi campés dans ces paroles sous forme d’alerte. Adama Sow qui s’émeut encore que les énormes investissements réalisés sous le président Wade n’aient pas touché le secteur de l’élevage ajoute : «Vous savez que moi avant d’être devenu député, j’étais dans un cabinet ministériel, et j’étais au ministère de l’Agriculture. Et, j’ai longtemps travaillé avec le ministre d’Etat Habib Sy. Pour dire que je connais les faveurs qu’on donne aux agriculteurs.
Quand je suis devenu député, poursuit le passionné d’élevage, j’ai vu ce que l’Etat était entrain de faire pour façonner les autres activités dans le pays. Même cette année (en 2012) au niveau du budget du ministère de la jeunesse, quatre milliards de Fcfa ont été dégagés, pour réfectionner les stades et pour en faire des nouveaux. Mais un seul franc n’a pas décaissé, pour réhabiliter le ranch de Doli. Et pourtant ceux qui pensent que c’est aux éleveurs de le faire, se trompent ; et c’est de cela dont je ne suis pas d’accord. Mon avis, ajoute-t-il enfin, est que ce n’est pas aux éleveurs de réhabiliter ce ranch. Ils n’en ont ni les possibilités, encore moins la capacité financière. Ça doit être l’œuvre de l’Etat. Parce que c’est le président Senghor qui avait mis en place ce joyau. Aujourd’hui, presque tous les fils de fer barbelés ont été arrachés. Mais, pourquoi l’Etat ne les réhabilite t-il pas ? Alors qu’il n’a pas arrêté de le faire pour les autres infrastructures», s’impatiente le député.
Regarder l’avenir pour refaire un Doli nouveau, voilà tout l’enjeu de toutes ces réunions, forums et concertations auxquels les éleveurs ne cessent d’inviter l’Etat et ses autorités, à commencer par le Président Macky Sall. Adama Sow jette un regard assez optimiste dessus en invoquant la nécessité de l’unité et la mobilisation de tous les éleveurs sénégalais autour de l’avenir même de l’élevage sénégalais. A l’en croire, « Il faut que tous les éleveurs du Sénégal acceptent de se réunir. Qu’ils arrivent à avoir le même mot d’ordre.
C'est-à-dire défendre leurs intérêts qui sont aussi ceux du Sénégal. Parce que si demain, ils ne peuvent plus produire des moutons en quantité suffisante pour les fêtes et les manifestations, cela finira par devenir un problème national. Ce n’est pas un problème qui les affectera eux et leur famille. Chaque année, le Sénégal a besoin de 700.000 moutons, mais le plus souvent déplore le fils d’éleveurs, les 400 000 doivent provenir de la Mauritanie et du Mali. Imaginez 400.000 moutons, et si chacune de ses bêtes est estimée à un prix de 50.000 Fcfa, en moyenne, cela fera 20 milliards de Fcfa qui sortent de ce pays. Ce n’est pas négligeable. J’estime que les gens doivent être conscients que la bataille que nous menons, nous la menons également pour tous les autres. Puisque chaque jour il y a des naissances et des décès ; et à chaque fois, il faut sacrifier une bête à l’occasion des cérémonies familiales. La tabaski aussi se fête tous les ans.» Et voilà pour l’avertissement.
Face à l’intrusion de l’agrobusiness et des autres formes d’occupation des espaces utiles du Sénégal, la question est pour demain, de commencer dès à présent à réfléchir sur la gouvernance foncière. Elle ne devra pas se faire pour certains au détriment du foncier pastoral. Le prochain débat est là campé. Adama Sow de conclure, «qu’il faut trouver un équilibre. Et c’est inéluctable, selon lui. Mais si l’Etat refuse de le faire, quelle que soit la loi qui sera votée, nous la rejetterons et nous ne l’accepterons pas…»
*Le Centre d'études de Recherche, de formation en langues africaines
MAK
sudquotidien via djoloffweb