Sénégal, Côte d’Ivoire, Bénin, Burkina Faso, Togo, Mauritanie, Sierra Leone, Nigeria, etc, presque aucun pays de la sous-région n’est épargné par la fuite des capitaux et le placement dans les banques étrangères d’énormes sommes d’argent, qui se chiffrent en millions de dollars pour certains pays, et en centaines de millions de dollars pour d’autres (un million de dollars, au taux actuel, équivaut à plus d’un demi-milliard FCFA). Dans ce cas-ci, la planque s’appelle HSBC, via sa filiale en Suisse.
Selon des documents obtenus par le journal français Le Monde, corroborés par une enquête de plusieurs mois à laquelle ont pris part plusieurs grands médias dont Ouestaf News, en collaboration avec le Consortium international du Journalisme d’Investigation (ICIJ basé à Washington), plusieurs personnalités ouest africaines, sont concernées par ses mouvements financiers, en ayant placé d’énormes sommes auprès de la filiale suisse de la banque anglaise HSBC (HSBC Private Bank).
Cette banque a connu dernièrement une série de déboires dans plusieurs pays pour avoir aidé de grosses fortunes partout dans le monde à dissimuler leurs revenus aux services fiscaux de leurs pays respectifs.
Si certains (une minorité) ont recours à ces placements sans arrière-pensée, visant à sécuriser des biens légitimement acquis, il arrive (et c’est plus fréquent) que l’on recourt au système du placement dans les banques suisses ou d’autres paradis fiscaux, soit pour dissimuler des fonds mal acquis, soit pour contourner les administrations fiscales des pays concernés.
Plus de 50 milliards de dollars perdus par l’Afrique
Quelle que soit la raison, la saignée reste importante pour des pays africains qui ont besoin de ces fonds pour se construire. En Afrique, les experts estiment que les flux illicites de capitaux font perdre au continent environ 50 milliards de dollars par an. Un montant qui reste « sous-évalué », mais dépasse déjà celui de l’aide au développement, comme l’a révélé un récent rapport commandité par l’Union africaine, publiée sous la direction de l’ancien président sud-africain Thabo Mbeki.
Les comptes de la HSBC, passés en revue dans le cadre de cette vaste enquête journalistique, livre une partie du secret de ces comptes suisses.
Au Sénégal par exemple, pays où pourtant règne une relative stabilité politique et une certaines sécurité bancaire, la filiale suisse de HSBC a compté pas moins de 310 gros clients, pour un montant total qui dépasse les 188,5 millions de dollars, selon les documents consultés par Ouestafnews.
La liste de clients compte des hommes d’affaires ou chefs d’entreprises connus, à qui on ne peut rien reprocher à côté des gens qui ont eu maille à partir avec la justice, à l’image du fameux Adel Korban, qui avait été au milieu des années 90 mêlé à une rocambolesque affaire de « fraude douanière » qui en son temps avait largement défrayé la chronique.
Même l’icône de la musique sénégalaise Youssou Ndour, n’a pas échappé à la tentation de placer un moment son argent en « lieu sûr » chez HSBC. Interrogé dans le cadre de ce projet par le Consortium, il n’a pas jugé utile de répondre aux questions qui lui avaient étaient soumises. A sa décharge, son compte a été fermé depuis.
En Côte d’Ivoire, les clients sont au nombre de 382 qui détenaient au total plus de 190 millions de dollars. Parmi ses clients, figurent Patrick Thomas Klolou Bédié, le fils de l’ex-président Henry Kona Bédié, qui a détenu au moins deux comptes entre 1992 et 2000. Interrogé dans le cadre de cette enquête, il a indiqué ne pas vouloir revenir sur des faits qu’il estime dépassés.
« Je ne souhaite pas apporter des éléments de réponse à ces questions auxquelles j’ai largement répondu depuis plus d’une dizaine d’années, et notamment à la justice Suisse en 2000 », s’est-il contenté de dire en réponse à l’équipe de journalistes qui ont travaillé sur le projet.
La piste libano-syrienne
Mais en Côte d’ivoire comme au Sénégal, ce qui reste frappant, c’est le nombre de ressortissants libano-syriens dans ces deux pays à détenir des comptes chez HSBC. Environ deux tiers des clients de HSBC en provenance de ces deux pays ouest africains sont des Libano-syriens, parmi lesquels figurent des noms de familles connues dans le secteur industriel, manufacturier ou dans l’import-export.
Au total, ils sont plus de 220 sur 380 clients en Côte d’Ivoire et plus de 180 sur 310 au Sénégal, selon les documents de HSBC. Nombre d’entre eux jouissent de la double nationalité, et parfois de la nationalité française.
Curieusement, le Nigeria, connu pour ses nombreux milliardaires et leur frénésie à placer leur argent à l’étranger comptait 236 clients, soit moins de clients que le Sénégal et la Côte d’ivoire, mais pour des montants plus importants : 266 million de dollars.
D’autres pays ouest africains comptent aussi des dizaines de ressortissants parmi les clients de HSBC, mais avec des chiffres peu significatifs : ils sont en tout 68 clients au Mali et 34 au Ghana. Le Bénin en compte 20, la Mauritanie 21 et la Guinée Conakry 12.
Certains pays sont moins touchés par le phénomène et le nombre de clients y est quasi négligeable : un seul client du Cap vert, deux du Niger, trois du Burkina et sept de la Gambie.
Au plan continental, l’Afrique du Sud et le Maroc sont les deux pays africains avec le plus gros contingent de clients et des sommes qui se chiffrent en milliards de dollars : 1787 clients pour l’Afrique du Sud (pour un montant de près de 3 milliards de dollars) et 1068 clients pour le Maroc pour un montant qui dépasse le milliard et demi de dollars. Suit ensuite le Kenya avec 742 clients pour un montant de plus d’un demi-milliard de dollars.
S’il est difficile de lier toutes ces transactions et placements à des flux illicites de capitaux (blanchiment d’argent, évasion fiscale, etc.), la France avait en 2013 (sur la base de documents similaires) indiqué que plus de 98 % de ses ressortissants qui avaient leurs noms dans ces comptes « pratiquaient l’évasion fiscale ».
Dans une synthèse réalisée par le ICIJ, des liens ont été découverts entre certains des détenteurs de comptes et « les diamants du sang » ou encore le trafic de drogue ou d’armes.
Ouestaf.com