C’est un… intrus dans l’arène politique. Aly Ngouille Ndiaye, minis­tre de l’Energie et des Mines, est resté à l’écart de ce monde jusqu’en 2006. Excédé par la succession de scandales et une gestion des affaires publiques peu catholiques, il a fait finalement le grand saut en allant militer dans son terroir de Linguère. Dans la deuxième partie de cet entretien, il livre la recette gagnante face à Djibo Kâ, Habib Sy et Aliou Dia.

M. le ministre, du jour au lendemain, on vous retrouve dans l’arène politique. Qu’est-ce qui s’est passé ?

J’ai été le premier surpris. Pour être franc et sincère, jusqu’en 2006, je ne pensais pas que j’allais militer. C’est vraiment en 2007 que j’ai pensé à militer, compte tenu de beaucoup de choses que j’ai vues dans ce pays…

En vous lançant, aviez-vous pensé à votre terroir ou à votre pays ?

J’ai pensé forcément au pays. L’essentiel de ce que je faisais touchait tout le pays. A la limite, j’étais beaucoup plus en rapport avec les Sénégalais de l’extérieur. Je pense que tous les succès en politique commencent par ça : il faut d’abord avoir une base. J’habite (le quartier des) Maristes depuis 2000, je fais partie de ses premiers habitants. Mieux, il est aussi plus peuplé que le département de Linguère. J’au­rais pu commencer à Maristes com­me beaucoup, qui militent à Dakar, sans être originaires d’ici. Mais j’ai une base naturelle, qui est Linguère. C’est pourquoi j’ai commencé là-bas. J’ai tenté la chose la plus compliquée. Celle de me taper 300 km aller-retour toutes les semaines ou toutes les deux semaines.

Vous aviez deux «baobabs» en face de vous. Comment avez-vous fait ?

Aujourd’hui, ils sont déracinés. Personnellement, j’ai été toujours proche des populations, bien avant de faire la politique. J’ai toujours passé mes vacances à Linguère, et toujours contribué au développement de ma ville. J’ai pratiquement autant de biens à Linguère qu’à Dakar, pour ne pas dire, même plus, parce que j’ai des vergers là-bas. C’était donc naturel pour moi d’aller là-bas.

Ce n’était pas gagné d’avance. Vous aviez en face de vous, un pouvoir financier appuyé sur le pouvoir politique…

Diouf (Abdou) est parti en 2000, alors qu’il avait beaucoup d’argent. Wade (Abdoulaye) est parti en 2012, alors qu’il a beaucoup d’argent. Les gens connaissent qui est qui. Ils vous soutiennent aujourd’hui, et une fois au pouvoir vous les oubliez, ils vous tourneront le dos, quelle que soit la manne financière que vous avez quand vous aurez besoin d’eux. Moi aussi, je ne suis pas partie en campagne les mains vides, je ne pouvais pas avoir des résultats avec les mains vides. Là-bas, c’est la base rurale, les gens vivent dans des conditions difficiles. Linguère est un département qui est très grand. Vous ne pouvez pas, dans un département qui fait près de 8% du territoire national, aller faire campagne sans de l’argent. Chaque jour que Dieu fait, si je me déplace avec 5 ou 6 véhicules, pour faire 100 à 200 km, c’est du carburant ! Il fallait dépenser beaucoup de moyens pour être en face de ces gens que vous appelez baobabs.

Etait-ce vos propres mo­yens ?


Absolument !

Quelle leçon avez-vous tiré de votre échec aux Mu­ni­ci­pa­les en 2009 avant d’engager la ba­taille de la Pré­si­den­tielle ?

Aux Municipales, le maire Habib Sy avait senti le roussi bien en avant leur report en 2008. Malgré un transfert massif d’électeurs, au finish, le soir (du 22 mars 2009), il nous a devancés de 198 voix. La Prési­den­tielle est beaucoup plus compliquée. Car là, ce n’est plus la commune. C’est en ce moment-là que l’argumentaire de ce que vous apportez aux populations devient intéressant. On avait le candidat Wade que Habib Sy, Djibo Kâ et Aliou Dia défendaient, et qui a un bilan. Moi, je défendais quelqu’un en qui, le Sénégal avait espoir. Ils ne pouvaient pas déplacer tout le Sénégal pour aller voter à Linguère même s’ils en ont déplacé. Aupara­vant, nous avions eu à faire beaucoup de choses pour les populations. Je ne parle pas d’argent que l’on distribue. C’est de l’assistance, des projets que l’on donne. J’ai mis une unité de trans­formation des céréales à Lin­guère. On produit beaucoup de mil au sud de Linguère alors que pour manger du lakh, il fallait se contenter du mil manufacturé à Dakar.

Il fallait inverser les choses, et mettre les femmes au travail avec cet investissement. Lors des dernières élections, j’ai fait la même chose, en mettant en place une unité de production de savon. Depuis la Prési­dentielle, je me lave avec du savon à base de soump, made in Linguère. Parce que le soump (Ndlr : Bala­nites aegyp­tiaca), le dattier du désert, est en quantité suffisante là-bas. Il fallait juste un concasseur, un broyeur, un peu de soude caustique, et les femmes se mettent au travail, produisent du savon, que tout le monde achète. Cela donne de l’emploi et réduit la pauvreté.
Par ailleurs, je me suis rendu compte aussi que certains mécaniciens ont abandonné l’école très tôt. Actuellement, l’essentiel des véhicules, c’est de l’électronique. Je courrais derrière eux depuis 2009, pour les envoyer à l’école, j’ai négocié avec eux avant qu’ils n’acceptent en 2012. Les enseignants de Linguère ont accepté bé­névole­ment de les former. Au­jour­d’hui, on a ouvert deux classes. Les autres métiers sont intéressés. Nous pensons que ce sont des projets pareils qu’il faut soutenir.

En 1999, il n’y avait pas un seul guichet de banque à Linguère. Nous nous sommes battus pour mettre en place une mutuelle d’épargne qui a aujourd’hui plus de 12.000 adhérents. Au moment où je vous parle, nous avons construit au moins 7 agences.

Comment s’est créé le lien avec l’Alliance pour la Ré­pu­blique (Apr) ?


Cela a été un long processus. En 2009, Linguère a été la première ville où la coalition Bennoo siggil senegaal a fait sa liste aux Com­munales, sans aucun bruit. Nous étions tous d’accord que je devais diriger la liste. Après les élections, je suis parti travailler parce que je ne suis pas un politicien professionnel. Avant la Présidentielle, nous avons été contactés par beaucoup de leaders. Avec le Mou­ve­ment pour la renaissance du Djolof, j’ai dit que nous souhaitions que la coalition ait son propre candidat. Lorsque la coalition a éclaté, j’ai demandé qu’on con­vo­que en Assem­blée gé­nérale les membres du mouvement alors que j’étais à Libreville. Ce jour-là aussi, Macky Sall tenait son congrès d’investiture. Entre-temps, j’ai rencontré tous les leaders sans exceptions. Pour préparer les élections, j’avais engagé un cabinet, pour faire une étude socio-économique sur la base de laquelle je devais faire le programme que je souhaitais pour le Djolof. Ce programme devait aussi être sur la table de tous les leaders. En majorité, les populations m’ont dit : «Si vous pouvez vous entendre avec Macky Sall, c’est notre choix du cœur. Quel que soit cependant votre choix, on vous suit.» Cela ne m’a poussé à courir derrière Macky Sall. On s’est vu, nous avons discuté sur le programme. Ensuite, il m’a dit qu’il a passé onze nuits dans le département de Linguère entre 2010 et 2011. Il m’a dit qu’il connaît bien les problèmes du département.

Nous avons signé le protocole d’accord le 4 janvier 2012 pour aller en­semble aux élections. On a dit qu’on va aller ensemble à la Prési­den­tielle, aux Législatives et aussi aux Lo­cales de 2014. Nous avons voulu être cohérents. Nous sommes dans la coalition Macky2012. A l’époque, ce n’était pas évident, nous avions décliné beaucoup de propositions. Nous étions convaincus que s’il n’était pas deuxième, il allait être troisième. Roi ou faiseur de roi ? Naturellement, le deu­xième allait gagner en cas de second tour. Et le troisième allait se retrouver en position de faiseur de roi. A tous les coups, nous étions gagnants.

Aujourd’hui, il vous reste une étape : la conquête de la mairie…

Je pense qu’on va prendre la mairie bien avant. On va mettre le maire (Habib Sy) en minorité bien avant 2014.

Voulez-vous une délégation spéciale à la mairie ?

Ce n’est pas ce que l’on veut. Ce sont les conseillers qui le voudront. La majorité ne sera pas d’accord avec le maire. Déjà, il ne lui en reste pas beaucoup.

Apparemment, vous êtes en train de débaucher tout le monde…

Non ! Je suis en train de massifier la coalition dans la zone (rires).

Quel genre d’homme est Ma­cky Sall ?

Nous avons des similitudes de techniciens : le pragmatisme. Dans son comportement, j’ai constaté une chose qui contraste avec l’attitude des politiciens qui font trop de calculs. Je l’ai entendu dire à tout le monde qu’il est là pour une mission. Et quelle que soit l’opposition, il fera face. Cela veut dire que, dans l’intérêt du pays, je ne le vois pas négocier certaines choses. Il sait ce que l’on peut faire et ce que l’on ne peut pas faire. Il sent qu’il a une mission que les Séné­galais lui ont confiée -pas des lobbies- et il fera face. Nous sommes dans une coalition. Mais, vous ne sentez pas, dans la gestion des dossiers, que tel est de tel parti ou de tel mouvement. En Con­seil des ministres, les mêmes instructions sont données à tout le monde, les expressions sont libres pour tout le monde. Au­jourd’hui, il considère que l’on ne peut plus gouverner tout seul. Quand vous regardez la composition du gouvernement, et de l’As­semblée, vous vous rendez compte qu’il est quelqu’un qui respecte ses engagements. C’est important. Quel­les pressions n’a-t-il pas subi ces derniers jours ? Mais il a tenu à respecter ses engagements. Vu son attitude, je sais qu’il tiendra parole.
 

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