Situé à 37 km au nord-ouest de Linguère, la capitale départementale, Yang Yang est érigé chef-lieu de l’arrondissement éponyme en 1976. Capitale mythique qui a vu séjourner d’illustres figures princières du Sénégal féodal, d’érudits charismatiques de la résistance pacifique et d’administrateurs coloniaux, il est aujourd’hui un petit village de moins 500 âmes qui a perdu de sa superbe et dont on a beaucoup de mal à imaginer les fastes qu’y organisait la célèbre dynastie régnante. Retour vers le passé au cœur et dans la cour du royaume de Ndiadiane Ndiaye.

Le légendaire Ndiadiane Ndiaye est arrivé sur place au début du 14e siècle, ainsi que le raconte la tradition orale. Quand le prince walo-walo, aigri, s’exile des berges du fleuve Sénégal vers le sud, il découvre cette immense plaine où il rencontre un certain Jolof Mbengue, d’où le nom de la contrée. Séduit par cette terre hospitalière et prospère, il crée alors une nouvelle dynastie : celle des Ndiaye.

 

Le royaume devient prospère. Avec ses successeurs, l’empire atteint son apogée au 15e siècle et couvre désormais la majeure partie du Sénégal. Le Grand-Djolof domine alors le Fouta Toro, le Walo, le Cayor, le Baol, le Sine et le Saloum. Il avait pour vassales les cités de Mboul, Lambaye, Nder, Diakhao, Kahone qui payaient un tribut. Dans la foulée, l’ancienne capitale Thiengue est délocalisée à Ouarkhokh. Plus tard, elle est transférée à Yang Yang sous le règne du 38e Bourba Djolof, en l'occurrence Bakane Tam Khary Dialor. Cela se passe entre 1863 et 1871. Yang Yang est certainement la capitale la plus connue et peut-être la plus mythique. Mais d’où tient-elle cette célébrité ?

 

Peut-être des envolées lyriques des fouriés, sortes d’aubades entonnées pour réveiller le roi, ou bien des illustres batailles dont elle a été le théâtre. Ou encore des chevauchées fantastiques de Capitaine, l’un des coursiers préférés de Aly Saynabou, au galop singulier. Qui sait ?

 

En cette aube dominicale de fin de mai, votre serviteur quitte Dahra, le poumon économique du Djolof, pour Yang Yang, bourgade distante de 37 km vers le nord. Sur la piste latéritique rouge qui soulève la poussière et réduit la visibilité, c’est le chassé-croisé sans fin. En effet, plusieurs dizaines de «opouya» (NDLR : laisser-filer en pulaar) convergent vers le célèbre louma de Dahra.

 

Ces taxis-brousse, des véhicules 4×4 remplis à ras bord d’une vingtaine de passagers assis à même des bancs taillés sur des troncs d’arbres et d’un ensemble hétéroclite composé de bovins, ovins, caprins, de seaux de lait caillé, etc. Le chauffeur, Boy Diop, se montre très prudent. Après une heure de route, c'est l'arrivée à Yang Yang. Notre guide nous attend et décline vite le programme concocté pour la visite des lieux historiques. Le musée, le tata, le cimetière royal, le champ de bataille de Guilé, le site d’exploitation du calcaire. Pas de temps à perdre, il faut profiter de la fraîcheur avant la canicule de midi.

 

La résidence de Bouna Ndiaye, un musée qui croule sous le poids de l’âge

À son arrivée, le visiteur est frappé par la gigantesque résidence royale construite en 1899 pour le dernier Bourba Djolof, Bouna Ndiaye. Devant le mur d’enceinte, à droite, trônent des rails symbolisant le chemin de fer Louga-Dahra-Linguère long de 130 km. Pour la construction de ce chemin de fer à partir de 1927, premier chantier grandiose du terroir, il se dit que l'atypique Bourba Djolof a injecté une grande partie de sa solde. C'était une sorte de vision heureuse, dirait-on. Le bâtiment devenu «Musée d’Histoire du Djolof et de l’Amitié France-Sénégal» défie encore le temps malgré les balafres de l’Harmattan.

À l’intérieur, des armes à feu. Conservées dans une mallette couverte de vitrine cassée. Mais aussi visibles qu'impressionnantes, les amulettes du Bourba Alboury Ndiaye. Non loin, une pile de correspondances ainsi qu'une natte de prière appartenant à Bouna Ndiaye (voir photos).

À l’étage, se trouvent un vieux lavabo, un balcon aéré, des baignoires pour les bains rituels. «Ce site est classé patrimoine mondial de l’Unesco», explique fièrement Mame Aly Ndiaye, petit-fils de Bouna Ndiaye. Il faut dire que c’est l’historien et non moins fils du Bourba, Mansour Bouna qui a fondé et administré le musée. En tant que premier conservateur, il a rassemblé beaucoup d’objets et de reliques familiaux pour exhumer ce patrimoine immatériel.

Le «Tata», lieu de refuge

Le Tata d’Alboury Ndiaye, servant de palais royal, est une infrastructure militaire traditionnelle dont l’architecture est inspirée de celle qui faisait la fierté des Mansa mandingues et de Maba Diakhou BA du Rip. En effet, le prince Alboury et son jeune oncle maternel, Lat Dior Ngoné Latyr, ont fourbi leurs armes sous les ordres de l’Almamy.

Pour réaliser l’ouvrage, nous confie un habitant des lieux, «un contingent de 3000 hommes avait été mobilisé à travers tout le Djolof». Les attaques successives d’Ahmadou Cheikhou et de Samba Laobé Fall avaient pris par surprise Yang Yang. Ce dernier a livré sa dernière bataille au tamarinier de Guilé (1 km à l’ouest de Mbeuleukhé en allant vers Mboynane) en 1886.

Le Tata est bâti stratégiquement sur une butte afin que les combattants puissent apercevoir l’ennemi de loin et défendre avec succès la place. Long de 100 m et large de 80 m, le tata est une enceinte fortifiée dans laquelle vit un chef africain avec sa famille, sa cour et ses biens. Haut de 6 m et large de 2,5 m, avec deux barrages, le mur était percé de meurtrières sourcilières. Le tata accueillait la case du «Bourba», celle des femmes ainsi que celle de la reine mère.

En temps de guerre, le lieu servait de refuge pour les enfants, les vieillards et les infirmes. Cimenté à l’argile, le mur en état de délabrement très avancé garde encore les pierres blanches extraites de la vallée et de forme ovoïde, le fameux calcaire de Yang Yang qui va faire l’objet d’une exploitation industrielle (voir notre article paru dans EnQuête du 14 avril 2014. À 50 m du Tata, se trouvait la Poste coloniale, lieu de dépôt des missives venant du Gouverneur général de Saint-Louis.

La cité des Bourba a été le théâtre de plusieurs guerres dont celle dite de la surprise de Yang Yang.

 

La surprise de Yang Yang

 

Selon notre guide, Ndiombane Ba, enseignant de formation, «Alboury Seynabou, intronisé en 1875, eut soin de créer une mosquée à proximité de son Tata. Il ordonna le retour de tous les habitants peuls et wolofs qui avaient quitté le pays sous la domination «scandaleuse» de Amadou Cheikhou. À peine commence-t-il son installation que Tègne Tanor Gagne et Bara Dème, frère de Amadou Cheikhou, signalent de façon surprenante leur présence à Yang Yang qu’ils attaquent par des fusillades nourries, autour du Tata principalement.

 

Tègne Tanor Gagne, réputé pour sa bravoure comme son compagnon, le frère du marabout, cherchent alors à se mesurer au bras invaincu d’Alboury Seynabou pour accéder à la plus haute dignité héroïque en Afrique, mais aussi pour entrer en possession des richesses du Djolof dont le cheptel. Ils tendirent un guet-apens le long de la route Mboynane. Alboury, fin stratège, éventa le stratagème. Il vainquit Bara à la première bataille de Diamé Ndiaye (près de Ouarkhokh).

 

L’on rapporte que le vénéré Cheikh Ahmadou Bamba (de 1904 à 1912), fondateur du mouridisme, El hadji Malick Sy, Mame Mor Anta Saly, Ahmadou Cheikhou, Lat Dior Diop et Samba Yaya ont tous séjourné à Yang Yang. De l’autre côté du Tata, se trouvent des tombeaux dont ceux de la mère d’Alboury Ndiaye, la nommée Seynabou DIOP, la Linguère Madjiguène Bassine, Alboury Penda Mboyo, Samba Laobé Penda Toubé, Mbaba Ngouille, Ablaye Diégane…

 

La bataille de Guilé

 

À 1 km à l’ouest de Mbeuleukhé, sur le sentier de Mboynane, notre véhicule s’arrête sur un site à jamais gravé dans la mémoire des Djolof Djolof. Le guide, remuant et serviable, nous propose de descendre. Nous voilà à Guilé. Lieu de la terrible bataille de 1886 entre Alboury Ndiaye et Samba Laobé Fall.

Alboury Ndiaye effectuait une tournée dans la province de Pass Baxal, lorsqu’il fut rejoint par l’un de ses parents du Cayor. Celui-ci l’informa alors des préparatifs du Damel Samba Laobé Khourédja et de Samba Laobé Penda.

Prudent et méfiant, le «Bourba» rentra aussitôt à Yang Yang. Assane Niang, arrière-petit-fils du dernier Bourba Djolof, nous rapporte les propos tenus par Alboury sous l’arbre à palabres. «Samba Laobé n’a pas à en vouloir au royaume du Djolof. Nous sommes liés par Sakhéwar Fatma et Khourédja Mbodj. S’il se comporte en téméraire, en face à face ou par corps à corps, ce poignard que je porte l’éventrera.»

Certaines indiscrétions nous confient, sous le sceau de l'anonymat : «après l’exil d’Alboury Ndiaye, Bouna Ndiaye a été déporté en France.

 

Mais à son retour, il avait hypothéqué son salaire pour la construction du chemin de fer en 1927, l’aménagement du Lac de Guiers dont les eaux en saison des pluies s’écoulaient ; jusqu’à «quatre-vingts puits ont été forés par Bouna Ndiaye, un acte qui lui a valu une chanson dénommée «Bouna Ndiaye Madjiguène». Ses champs servaient de modèle eu égard à la diversification des cultures, leur étendue et leur propreté.

 

Incendié par le colonel Dodds

 

Pour l’heure, l’ancienne capitale du Djolof qui a vu naître outre des Bourba et princes, les Généraux Abdoulaye Niang et Abdoulaye Fall, se modernise peu à peu avec des infrastructures politiques et sociales modernes : une école (la première du Djolof créée en 1897), une sous-préfecture en 1976, un poste de santé, un poste avancé de gendarmerie, un collège d’enseignement moyen (CEM) en 2014. Sans oublier, pour le volet économique, l’exploitation du calcaire qui a démarré sa phase d’industrialisation en générant une centaine d’emplois. Mais à Yang-Yang, un souvenir demeure impérissable : la mise à feu de la contrée en 1890 par le colonel Alfred Dodds, métis franco-sénégalais né à Saint-Louis, commandant des troupes françaises au Sénégal.

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