La Bourse régionale des valeurs mobilières (Brvm), créée en 1996, n’a accueilli que trois entreprises sénégalaises. Il a fallu près d’une quinzaine d’années pour que Total Sénégal et Bank of Africa Sénégal rejoignent la Sonatel à la place d’Abidjan. Et pourtant, être coté à la Bourse donne de la notoriété, assure un accès à des ressources financières à long terme. Mais, il faut au préalable que l’entreprise fasse preuve de transparence.
Le contact timide avec le marché financier régional
Il fallait attendre seize ans pour voir deux autres entreprises sénégalaises – Bank of Africa Sénégal et le groupe Total – s’introduire en bourse après la Sonatel. Un rythme très lent, comparée à celui de la Côte d’Ivoire qui, aujourd’hui, détient, à elle seule, près de 90 % des entreprises cotées. Plusieurs raisons sont souvent avancées pour expliquer cette situation : Manque de culture boursière ou méfiance des dirigeants d’entreprises du monde de la bourse ? Coup de projecteur sur l’univers boursier.
Nos entreprises ont-elles peur de la cotation en bourse ? Cette question mérite d’être posée si l’on regarde la faible présence des entreprises sénégalaise sur le marché financier de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa). Depuis sa création en 1996, la Bourse régionale des valeurs mobilières (Brvm) n’a accueilli qu’une entreprise de droit sénégalais, la Sonatel en 1998. Il a fallu attendre près d’une quinzaine d’années pour voir d’autres sociétés rejoindre l’opérateur de téléphonie. Aujourd’hui, avec la cotation de nouvelles entreprises à la bourse, c’est un autre pas important qui vient d’être franchi. Pour l’expert en finances Mamadou Touré, directeur général de la Société d’investissement de manufacture et d’expertise (Simex), la nouvelle cotation du group Total Sénégal et de la Bank of Africa (Boa Sénégal) montre qu’il existe une marge de progrès et que les enjeux financiers commencent à devenir intéressants. « C’est un bon signal du point de vue économique. Cela signifie qu’il y a une confiance dans l’avenir face au potentiel économique de la sous-région», indique-t-il. A son avis, ces opérations de cotation prouvent que le Sénégal a des entreprises qui sont des champions et qui peuvent avoir un effet d’entrainement sur l’économie nationale. L’introduction en bourse de ces deux entreprises montre aussi que celles-ci s’intéressent à d’autres formes de mobilisation de capitaux.
Pour le directeur général de l’Agence Umoa-titres, Adrien Diouf, à l’instar de nos Etats et des entreprises en général, nos concitoyens deviennent de plus en plus familiers avec le fonctionnement des marchés financiers. Des actions phares comme l’introduction en bourse d’acteurs majeurs de nos économies tels que Total Sénégal et Boa Sénégal, participent à dynamiser le marché financier de l’Uemoa mais aussi à bâtir sa notoriété et sa crédibilité. Dans la même lancée, le directeur général de la Brvm, Edoh Kossi Amenounve, déclarait, lors de la première cotation de Total Sénégal, le 20 février 2015, que l’institution a besoin d’accueillir des privatisations, des admissions volontaires des Pme ainsi que des entreprises à fort potentiel de croissance. A l’en croire, les bourses africaines se modernisent, se développent et entreprennent de nouvelles perspectives via des plateformes d’intégration pour mieux jouer leur partition dans l’accélération de la croissance de notre continent.
Ces avantages qu’offre la cotation aux entreprises
En se faisant coter à la bourse, les entreprises peuvent ainsi diversifier leurs sources de financement. Pendant plusieurs décennies, les entreprises faisaient recours aux établissements de crédits classiques tels que les banques, les institutions de micro finance pour mobiliser des ressources financières. Le hic, c’est que la majorité de ces banques mettent à la disposition de ces entreprises des fonds à court terme. Ce qui constitue une limite pour les sociétés qui souhaitent réaliser des projets de longue durée. Par contre, explique Mamadou Touré de la Simex, une cotation permet aux entreprises nationales de faire appel à l’épargne intérieure de l’Uemoa et de changer progressivement leur structure d’actionnariat. L’introduction en bourse encourage également les sociétés, surtout celles familiales, à évoluer vers des normes de gestion universelles. En élargissant leur champ d’actionnariat, les entreprises peuvent ainsi augmenter leur capital ou effectuer des levées de capitaux à travers des émissions de titres. D’après Adrien Diouf de l’Aut, d’une manière indirecte, un marché financier mature et développé est une alternative crédible pour le financement des acteurs économiques que sont les petites, moyennes ou grandes entreprises et institutions, avec les avantages en termes de montant, de coût et type de financement (actions, obligations).
Entre méfiance et ignorance de la bourse
Plusieurs raisons sont souvent évoquées pour expliquer le manque de rush des entreprises sénégalaises à la Brvm. Le patron de cette place boursière, Edoh Kossi Amenounve, soulignait, lors de la cotation de Total Sénégal, que les dirigeants d’entreprises avancent comme arguments la « prise de contrôle, l’excès de transparence, les contraintes de diffusions d’informations ». Des idées qui, pense-t-il, doivent être dépassées. Si ces craintes étaient fondées, les autres bourses régionales du monde ne se renforceraient pas pour accompagner le développement, ajoutait M. Amenounve. Malgré l’effet d’attraction de la Brvm qui inspire de plus en plus confiance, le nombre d’entreprises nationales cotées reste faible, constate Mamadou Touré, directeur général de la Société d’investissement de manufacture et d’expertise (Simex). Dans le secteur formel, poursuit-il, les grands groupes internationaux se font coter par le biais de leur société d’origine sur les marchés européens, du coup, leurs filiales ne sont pas assez cotées. Selon lui, si les entreprises nationales disposent d’une certaine autosuffisance en capitaux, elles n’ont pas besoin de faire recours au marché financier. « Quand on a une croissance interne de l’entreprise pour financer son développement, les actionnaires font appel aux banques classiques », relève-t-il.
Obligations de transparence et d’audit
D’après le patron de la Simex, il peut y avoir une méfiance, car lorsque les entreprises sont cotées, elles ont des obligations de transparence et d’audit. N’entre pas en bourse n’importe quelle société. Pour y accéder, l’entreprise doit d’abord respecter des préalables comme la certification de ses comptes, la publication d’informations financières crédibles afin de rassurer les investisseurs. Le directeur général de l’Umoa-titres reconnaît qu’il y a une faiblesse de la culture boursière dans nos pays mais, à l’en croire, la situation va s’améliorer avec des opérations de référence qui sont mises en place et qui participent à faire connaître ce secteur et les opportunités qu’il offre. Au-delà de la culture, il y a l’absence de certains types d’acteurs institutionnels comme les gestionnaires de fonds qui ne favorisent pas l’éclosion d’un marché secondaire dynamique, fait savoir le directeur général de l’Agence Umoa-titres, Adrien Diouf. Mais ceci a été identifié par les acteurs du marché et des actions sont en train d’être prises pour y remédier, soutient-il.
Promouvoir davantage la culture boursière
La bourse, c’est pour les autres. C’est l’étiquette qu’on peut coller au milieu boursier qui semble réservée à un cercle d’individus initiés en la matière. Même s’il s’avère difficile d’avancer un chiffre sur les personnes détenant des comptes-titres au Sénégal, le constat est que la bourse demeure méconnue du grand public. C’est pourquoi il apparaît nécessaire de voir quels mécanismes mettre en place afin de promouvoir la culture boursière auprès des agents économiques. D’abord, le premier pas devrait consister à mener des activités de communication et de sensibilisation sur la bourse à l’endroit des chefs d’entreprises, à promouvoir les formules d’actionnariat populaire. Pour le consultant en finances, Mamadou Touré, il faut que les entreprises distribuent des actions à leurs employés qui vont, par conséquent, contribuer au renforcement de leur participation dans l’entreprise.
De son côté, Adrien Diouf, directeur général d’Umoa-Titres, estime que les stratégies à mettre en place pour encourager la culture boursière sont articulées autour de deux axes. Le premier consiste à vulgariser voire à démocratiser le secteur boursier en bâtissant cette culture boursière et en facilitant l’accès aux marchés pour les investisseurs. C’est le cas des opérations de road-shows que l’Aut organise dans la zone Uemoa et en dehors. Le deuxième axe est relatif à la réforme du secteur afin de le rendre plus compétitif, plus dynamique. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre la création de l’Agence Umoa-Titres, la réforme de la règlementation intervenue, il y a quelques années, effectuée par la Bceao et les travaux de réflexion entamés par le Conseil régional de l’épargne publique et des marchés financiers. Des initiatives telles que le Teranga investissement club (Tic) lancé en 2013 par la Brvm mérite d’être vulgarisées. Le président de ce club, Mouhamed Soumaré, qualifiait le Tic d’une «auto-école de la bourse », à bord duquel les concitoyens pourront acquérir ou compléter leur formation économique, financière et boursière et apporter chacun sa modeste contribution à l’édification d’un espace économique viable et diversifié.
BESOIN DE FINANCEMENT DES ETATS : Le marché financier, la voie du salut
Outre l’aide publique au développement reçue de l’étranger, les dons, prêts des institutions financières (Banque mondiale, Fmi, Bad, Boad…) ou autres fonds d’investissement, la plupart des Etats de l’Uemoa sollicitent également le marché financier pour mobiliser des ressources financières, à travers l’émission de titres publics. En effet, si l’on revient à notre marché régional, celui-ci a financé les Etats à hauteur de 3071,36 milliards de FCfa. « C’est pour dire que les Etats participent pleinement au dynamisme de notre marché en offrant à tous les acteurs économiques de la sous-région et internationaux, des véhicules d’investissement leur permettant de faire fructifier leurs ressources à tout moment », explique Adrien Diouf, directeur général d’Umoa-Titres.
Il confie que pour l’année 2015, ces mêmes Etats comptent faire appel aux marchés financiers sous-régionaux pour un montant total de 2412 milliards de FCfa.
Pour rappel, le recours des Etats aux marchés financiers remonte à 1998, année durant laquelle le Conseil des ministres de l’Uemoa a décidé du dépérissement des concours directs apportés par la Bceao aux Etats ou avances statutaires. Pour remplacer ce moyen de financement du déficit, les autorités de l’Union ont décidé de mettre en place un compartiment de notre marché financier spécifique et réservé aux émetteurs souverains. C’est de cette manière que les premières émissions ont débuté avec 43 milliards de FCfa levés en 2001 jusqu’à atteindre des montants plus importants en 2014.
Total Sénégal et la Boa, les dernières entreprises cotées
Après quatre années d’attente, la Brvm a accueilli, en décembre 2014, la Bank of Africa (Boa), la 38ème société à sa cote, la deuxième société sénégalaise admise après la Sonatel en 1998. Cette opération s’inscrit dans une politique d’admettre progressivement ses filiales à la Brvm. La dernière offre publique de vente des actions de Boa-Sénégal porte sur la création de 200.000 actions nouvelles dont 170.000 offertes au grand public, 20.000 offertes au personnel de l’émetteur et 10.000 destinées au personnel des autres entités du Groupe Boa. De son côté, Total Sénégal a lancé, en octobre 2014, son Offre publique de vente (Opv) de 290.000 actions avec une valeur nominale fixée à 10.000 FCfa l’action et un prix d’émission (prix de vente de l’action) à 12.000 FCfa. Le montant global de cette opération, ouverte à toute personne physique ou morale, se chiffrait à 3,480 milliards de FCfa et le nombre minimum d’actions pour une souscription était arrêté à cinq. Le Groupe Total souhaite, à travers cette introduction en bourse, consolider son ancrage local par un rééquilibrage de son actionnaire individuel.
OUSMANE DIAKHATE, DIRECTEUR DE BOUNAMZA FINANCES : « Le frein majeur à l’entrée en bourse de nos sociétés est l’obligation de transparence »
Directeur du cabinet de conseil en financement et investissement en bourse, Bounamza finances, Ousmane Diakhaté estime que la faible présence des entreprises sénégalaise à la Brvm est liée à l’exigence de transparence nécessitant la publication des chiffres d’affaires.
En 2014, nous avons assisté à l’entrée en bourse de deux sociétés sénégalaises (Total et Bank of Africa).
Quelle lecture faites-vous de ces opérations ?
Ces deux sociétés sénégalaises, Total Sénégal et Boa Sénégal, sont surtout des filiales de grandes multinationales qui ont une bonne culture boursière et comprennent les avantages qu’elles peuvent tirer d’une introduction en bourse. Bien que la bourse offre beaucoup d’avantages, nos entreprises rechignent à dévoiler au public leur chiffre d’affaires et bénéfices, puisque la transparence y est obligatoire bien qu’un manque de culture boursière y est pour quelque chose aussi.
Comment ces entreprises peuvent tirer profit de leur cotation en bourse ?
Les opportunités attendues par une entreprise qui se fait coter en bourse sont nombreuses. D’abord, il y a la notoriété, puisque la bourse lui permet de se faire connaître sur le plan international, de financer sa croissance par une augmentation de capital en créant de nouvelles actions vendues aux investisseurs, ce qui génère de l’argent pour faire face à ses investissements. La bourse permet également aux entreprises cotées d’emprunter de l’argent sur le marché financier sous forme d’emprunt obligataire à des taux d’intérêts incomparables à ceux du marché bancaire…
De 1998 à 2014, il n’y a que la Sonatel qui a fait son entrée en bourse. A votre avis, qu’est-ce qui explique cette situation?
Jusqu’à une date récente, sur les 37 sociétés cotées à la Brvm, seule une société était sénégalaise. La Sonatel a osé plonger en 1998 et elle ne le regrette pas aujourd’hui, avec une évolution de son cours des plus spectaculaires et une notoriété incontestable sur le plan international dans le milieu des télécommunications. Mais le frein majeur à l’entrée en bourse de nos sociétés est la transparence. Nos entreprises hésitent à dévoiler au public leur chiffre d’affaires et bénéfices. Mais la Brvm devrait étudier les moyens d’attirer plus d’entreprises en mettant en place des mesures incitatives, telles que la réduction des tickets d’entrée, l’exonération de certaines commissions sur une période de deux à cinq ans. Cela permettra d’attirer plus de sociétés en bourse comme le font les bourses maghrébines.
Quelles stratégies mettre en place pour inviter les agents économiques, particulièrement les chefs d’entreprise, à s’intéresser davantage à la bourse ?
Il faut des campagnes de sensibilisation des épargnants par les antennes nationales de bourse et les intervenants commerciaux tels que les Sociétés de gestion et d’intermédiation (Sgi) ; rendre effectif et accessible le système de notation qui pourrait remplacer la garantie pour lever des fonds sur le marché financier régional. Avec le projet de création d’un troisième compartiment dédié aux Pme et aux entreprises à fort potentiel de croissance, la bourse faciliterait l’introduction d’une bonne partie des Pme en quête permanente de financement pour développer leur croissance et qui se heurtent le plus souvent aux exigences de garanties et aux taux d’intérêts bancaires prohibitifs.
Aujourd’hui, comment se porte le marché financier de l’Uemoa?
Le marché financier régional de l’Uemoa est en pleine progression. Il se caractérise par un bilan boursier en nette progression de plus de 10 % en 2014, une capitalisation du marché obligataire au 5 mars 2015 de plus de 1 196 milliards de FCfa pour plus de 32 lignes obligataires, une capitalisation boursière du marché des actions qui est passée d’environ 1000 milliards en 1998 à plus de 6 433 milliards de FCfa au 5 mars 2015 et qui place la Brvm en sixième position dans le classement des bourses africaines en termes de capitalisation. Contrairement aux dépôts à terme dans les banques et l’immobilier qui sont ses principaux concurrents, le marché financier régional offre des opportunités incomparables (des taux d’intérêt moyens de plus de 6,5 %). Il reste à sensibiliser les épargnants dont les actifs financiers sont énormes et leur immobilisation en deçà de 2 %. Une étude des Nations Unies démontre que l’Afrique a transféré entre 1976 et 2001 pas moins de 130.000 milliards de FCfa vers les marchés financiers occidentaux, faute d’opportunités sur le continent.
Outre les entreprises, les Etats font recours également au marché financier pour lever des fonds. Quelle lecture vous faites de ce mécanisme de financement?
Les Etats qui sont les entités éligibles d’office sur le marché financier puisque que n’ayant pas besoin de garantie pour émettre un emprunt obligataire (un Etat n’étant jamais défaillant), peuvent bien profiter du marché financier régional pour résoudre leurs problèmes de financement à des taux d’intérêt défiant toute concurrence. C’est ainsi qu’à la date du 5 mars 2015, nous constatons que presque la moitié des 31 lignes obligataires qui se chiffrent à plus de 1 196 milliards de FCfa provient des Etats ou de leur démembrement.
Pouvez-vous revenir sur les grandes étapes qui ont marqué l’évolution de la Brvm depuis sa création?
Les structures de marché que sont la Bourse régionale des valeurs mobilières (Brvm) et le Dépositaire central banque de règlement (Dcbr) ont démarré leurs activités en septembre 1996. D’un marché moribond avec peu de volumes transigés par séance de cotation au début, la bourse est aujourd’hui en nette progression aussi bien dans le compartiment primaire (marché des obligations) que dans le compartiment secondaire (marché des actions). De plus en plus, des introductions en bourse se font (deux au Sénégal en 2014 : Total Sénégal et Boa Sénégal) ; d’autres sociétés sont attendues telles que Matforce et la Banque internationale pour l’Afrique occidentale (Biao) qui devraient permettre à la Brvm de se hisser, en 2016, à la cinquième place au classement des Bourses africaines, au détriment de la Bourse kenyane de Nairobi. De plus en plus, s’effectuent des levées de fonds sur le marché financier avec une majorité de souscriptions lors des différentes opérations qui permettent d’être optimiste. L’introduction de la notation financière dans la réglementation devrait permettre aux acteurs de faire évaluer leur qualité de crédit et apporter un dynamisme au marché. De deux heures de cotation quotidienne, la bourse est passée maintenant à une cotation continue.
Un dossier de Abdou DIAW