Dans l’histoire du Djoloff, il y a une localité presque « omise » alors qu’elle était la première capitale islamique de l’empire. Il s’agit de Dakhar Seïkou, site situé au sud de Mbeuleukhé, non loin de Guillé, théâtre de la fameuse bataille du 6 juin 1886. Une page méconnue de l’histoire de ce royaume. Aujourd’hui, c’est un lieu de recueillement qui devrait être inscrit plus profondément dans la mémoire collective.

Par Samba Oumar FALL, Salla GUÈYE (textes) et Ndèye Seyni SAMB (photos)

Mbeuleukhé. Si Guillé Dakhar est devenu célèbre pour avoir été le théâtre de la bataille du 6 juin 1886 opposant le Damel du Cayor d’alors, Samba Laobé Fall, à Alboury Ndiaye, ce n’est pas le cas pour Dakhar Seïkou. Pourtant, bien avant cette date, ce site historique, situé à moins de deux kilomètres de là, a été la capitale islamique du Djoloff, nous apprend-on.

Jusqu’à un passé récent, on savait peu de choses sur Dakhar Seïkou, dont on parlait rarement quand on évoquait le Djoloff. C’est une histoire peu connue, peut-être même oubliée… fraîchement sortie de l’oubli grâce à Djiby Diaw, notable de la localité, le village de Mbeuleukhé. Ce passionné d’histoire nous plonge dans les méandres de ce pan de l’histoire méconnue du Djoloff ; une découverte qui met à mal nos connaissances sur la riche histoire de cette contrée.

Ce tamarinier est baptisé « Seïkou » pour symboliser le nom de Seïkou Ahmadou Mahdiyou Ba, fils aîné de Amadou Hamet Ba, appelé aussi Seydina Limamoul Mahdiyou, qui a fondé Ouro Mahdiyou (département de Podor) vers 1830. Venu de Souïma, un quartier de Podor, où il vit le jour vers 1782, Amadou Hamet Ba, selon la tradition orale, fut un condisciple d’El Hadji Oumar Tall avec qui il reçut en même temps l’initiation au « wird » tidiane à la mosquée de Thiofy. Véritable homme de Dieu, qui avait plein de savoir, Amadou Hamet Ba a fortement contribué à l’expansion de l’Islam dans les pays d’Afrique au sud du Sahara. Il a aussi réussi à propager la Tarikha tidjane dans le Fouta, le Walo, le Cayor, le Ndiambour, le long du fleuve Sénégal, jusqu’à Kayes au Mali. À sa mort, son fils aîné Cheikhou Ahmadou Ba avait pris le flambeau. Et a joué un rôle fondamental dans la propagation de l’islam. Originaire de Wouro Mahdiyou, dans le Podor, le saint homme est d’une dimension spirituelle hors du commun. Quand Lam Tooro Samb Oumou Khany et le capitaine de Frégate Vallon rasèrent son village et prirent sa femme ainsi que son bétail, Cheikhou Ahmadou entrepris, avec ses frères accompagnés de milliers de fidèles, de mener un « djihad » qui le conduira au Cayor, au Ndiambour, au Baol et surtout au Djoloff. Mesurant la gravité de cet acte du chef coutumier et du colon, il avait pris sa plume pour écrire à tous les Mouqadams affiliés à la Tarikha tidjane. Serigne Ahmadou Ndack Seck a reçu la lettre d’invitation du marabout Cheikhou Ahmadou Ba à défendre la cause de l’Islam. Après avoir prié ses épouses de retourner chez elles et les talibés d’aller dans les foyers religieux des environs pour poursuivre leurs études, il répondit à l’appel de Cheikh Ahmadou pour mener le « djihad ». Il alla à sa rencontre au Djoloff en 1871, accompagné de ses deux neveux, Daour et Madiodio Fady.  Il a ainsi livré de mémorables batailles auprès de Cheikhou Ahmadou qui avait réussi à fédérer, sous la bannière de l’islam, le Djoloff, le Cayor et une partie du Toro.

Après avoir conquis le Djoloff, explique Djiby Diaw, Cheikhou Ahmadou Ba avait décidé, pendant 5 ans, de s’installer à Dakhar Seïkou, devenue première capitale islamique de l’empire. C’est ainsi qu’il confia Yang-Yang à Toubé Sanor Ndiaye, arrière-grand-père de Aly Ngouille Ndiaye, actuel ministre maire de Linguère.

Cheikhou Ahmadou Ba opposa une résistance farouche à la conquête coloniale. Il fut tué le 11 février 1875 à Samba Sadio, par une vaste coalition dirigée par les Français, Lat Dior, Alboury Ndiaye, entre autres. Ses disciples fondèrent après lui de nombreux villages d’obédience madiyanké. Mais à la veille de cette bataille fatidique, il avait transmis à Ahmadou Ndack, l’imam du jihad, les secrets de la Tidjanya. Il lui avait confié qu’il retrouvera sept années plus tard un grand baobab appelé « Sabam », endroit où il s’installera pour continuer sa mission. C’est d’ailleurs à cet endroit précis qu’il créera Thiénaba en 1882. La grande mosquée de la cité religieuse est érigée sur l’emplacement du baobab. Ahmadou Ndack Seck, est le digne continuateur de l’héritage de Cheikhou Ahmadou Ba.

Hélas, la gloire de Dakhar Seïkou, première capitale islamique de l’empire du Djoloff, fut de courte durée. La capitale a été ensuite transférée à Ndiayène Kher, par le Sixième « Burba » Biram Ndiémé, ensuite à Warkhokh, puis à Yang-Yang par « Burba » Djoloff Bakane, Tam Khary Dialor, prédécesseur d’Alboury Ndiaye.

Mais, à Dakhar Seïkou, presque plus rien n’indique la présence humaine : des arbres « sump » ou balanites aegyptiaca sont superposés à perte de vue entre la Vallée des rois et une piste peu fréquentée menant vers le village de Mboynane.

Ici, il ne subsiste qu’une modeste et discrète stèle d’environ un mètre de hauteur, située au milieu d’une bande de sable accidentée et sur laquelle sont gravés les noms de figures de l’histoire du Djoloff qui ont marqué la localité. Il s’agit, en effet, de Seïkou Ahmadou Mahdiyou Ba, l’Imam Ahmadou Ndack Seck [de Thiénéba], Almamy Seïkou Amadou Ba et d’Imam Bara Mahdiyou Ba -finalement tombé en 1882 et inhumé à Thilla Warkhokh-, à une quinzaine de kilomètres de Linguère.

Un des plus célèbres combattants de ce dernier, en l’occurrence Thierno Baïla Ba, originaire du Fouta, alors qu’il était bébé, a été allaité par la mère de l’imam. C’est pourquoi, très attaché à la localité, « il revint très souvent à Mbeuleukhé notamment pendant la saison sèche et il y rendit l’âme », souffle notre guide du jour, qui révèle que chaque année, ses petits-fils, venus du Fouta et d’un peu partout dans le pays, y organisent un ziarra, généralement entre septembre et octobre.

Mbeuleukhé : À l’origine, le bruit de l’eau !

Dakhar Seïkou et Mbeuleukhé sont liés aussi bien par la géographie (distants d’environ un kilomètre) que par l’histoire : le Djoloff. D’après la tradition orale racontée par Djiby Diaw, notable de la localité, le village de Mbeuleukhé est fondé vers 1850 par Demba Khady Nar Niang, grand chasseur, plus connu sous le sobriquet de « Borom balle beneu » (unique balle). « Il ne ratait jamais sa cible. Avec une seule balle tirée, il abattait facilement sa proie, il avait ce don-là », confie ce vétérinaire à la retraite, le sourire aux lèvres. Selon lui, il venait très souvent au sud de Yang-Yang à la recherche de gibiers. C’est ainsi qu’un jour, il a creusé quelques centimètres et a pu avoir de l’eau en abondance. Du trou, l’eau a fait « beukh beukh » (bruit de l’eau). Un bruit sonore qui l’a inspiré pour donner le nom du village à « Mbeuleukhé ». Comme il trouvait de la viande et de l’eau, denrées primordiales pour une vie paisible à cette époque-là, Demba Khady Nar Niang a décidé de s’y installer. C’est par la suite qu’il amena sa famille avant d’appeler les habitants des localités environnantes à venir le rejoindre sur le site. C’est lui qui prenait en charge tout le monde.

Le chasseur sera finalement tué par un éléphant avant d’être inhumé non loin de la Vallée des rois et des Almamy. Son mausolée se situe dans l’endroit mythique dénommé « Baay déé » (là où repose le père), nous raconte-t-on.  Les Niang -sa famille- étaient jusque-là logés à l’entrée du village, en venant de Dahra. Mais ils seront rejoints par les Diaw, Thiam et Dia.

Aujourd’hui, Mbeuleukhé fait partie des sites religieux les plus connus au Sénégal. Ce, du fait de son Gamou annuel. Ici, de 1916 à nos jours, la tradition a été bien respectée et permet aux fidèles de se ressourcer devant l’actuel guide religieux, El Hadji Moussa Dia, originaire de Ndianène. C’est El Hadji Daouda Dia, un disciple et compagnon de El Hadji Malick Sy, qui a balisé ce chemin en organisant le premier Mawlid sur autorisation de ce dernier. Son père, Moctar Dia, était arrivé au Djoloff en compagnie d’Ahmadou Cheikhou pour prêcher la guerre sainte et islamiser le Djoloff. Il s’y implanta définitivement. El Hadji Daouda Dia est né en 1875 à Mbeuleukhé. Il était un fervent disciple de Mawdo, qui fit de lui un khalife de la Tarikha tidiane dans le Djoloff. De 1916 à son rappel à Dieu en 1949, il n’a jamais manqué à cette mission.

« Le premier Gamou dans le Djoloff s’est tenu en 1916, avec Daouda Dia de retour de Tivaouane. Cet événement qui réunissait tout le Djoloff était bien inscrit dans le calendrier des événements officiels depuis le temps colonial », explique Djiby Diaw.

Après El Hadji Daouda Dia, sa descendance a porté haut le flambeau. Un événement qui, nous dit-on, enregistre, d’année en année, des milliers de fidèles, toutes ethnies confondues.

Mais, Mbeuleukhé a longtemps été un pôle religieux. « Mbeuleukhé a joué un rôle très important dans l’histoire du Djoloff. C’est une métropole religieuse, de culte. Beaucoup d’érudits y ont fait leur formation coranique. C’est un grand centre religieux ». D’ailleurs, d’après toujours l’historien du village, Djiby Diaw, « un jour, Maba Diakhou Ba, Almamy du Rip, avait demandé 250 « Kangfory » (personnes ayant maitrisé parfaitement le Coran) du Djoloff pour les transporter au Saloum en vue d’y vulgariser l’islam et il les a tous trouvés à Mbeuleukhé », rapporte notre interlocuteur, également originaire de Ndianène.

À noter, par ailleurs, que beaucoup de hauts cadres du Djoloff ont été formés à Mbeuleukhé, parmi lesquels feu Daouda Sow, ancien président de l’Assemblée nationale, et le Général Daouda Niang, entre autres.

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