Derrière le paravent de la Gendarmerie Nationale – dont l’une des missions dans la ville située au nord-est du Sénégal est tournée vers le vol de bétail -, se dresse le commandant de brigade qui a à cœur de faire de Dahra, le coin le plus sécurisé du pays. Ferloo et Djoloffactu se sont intéressés au personnage de « C.B. ». Récit de la vie de « Cissé », gendarme dès l’âge de…quatre ans.
Samedi. Jour d’été. Les rayons de soleil réverbèrent avec peu d’intensité sur les rues. De gros nuages chargés d’eau se fixent à l’horizon. Quatre tours d’horloge séparent Dahra de l’heure à laquelle l’astre lumineux va s’abîmer au couchant. La ville caresse l’espoir d’un après-midi pluvieux…
Des pluies intermittentes s’abattent sur Dahra. L’eau évacue la chaleur suffocante. Dans le bureau du commandant de la brigade de gendarmerie, le temps semble s’arrêter. Une horloge aux aiguilles statiques affiche « dix-neuf heures quarante minutes ». Un ventilo au-dessus de nos têtes brasse de l’air frais. Il est 22 H passé.
« Le délinquant investit un lieu en fonction du coût, du gain et du risque ; si le risque est élevé par rapport au coût et au gain, il disparaît », Commandant Cissé dresse ainsi le profil psychologique du voleur/cambrioleur. « Si les risques sont faibles, il (le délinquant) investit les lieux », ajoute-t-il.
Un cambriolage constaté le lendemain, au petit matin, confirme l’analyse du commandant Cissé. L’infraction aurait été commise pendant la pluie, qui plus est dans un quartier mal éclairé, Diambor. Il semble que le ou les voleur(s) ont brisé la lampe à l’entrée de l’échoppe avant de « faire sauter le verrou ». Les malfaiteurs ont attendu, pour ainsi dire, le moment opportun…
« Boy Nar » imagine les dégâts causés derrière la porte mal refermée : des étagères vidées. Il décide de ne toucher à rien et préfère d’abord faire sa déposition à la gendarmerie. La foule de curieux grossit : chacun y va de son commentaire. Le boutiquier n’a pas passé la nuit dans la boutique, sa recette journalière, non plus, ne dormait dans les tiroirs.
Commandant Cissé se présente sur les lieux avec un de ses collaborateurs. Constat : des biscuits, du lait, quelques sachets de sucre en poudre, de l’huile, une pâte alimentaire… ont été emportés. « La gendarmerie ne peut pas être partout à la fois », dit le chef de la brigade de Dahra avant de lâcher un commentaire : « Des cas pareils n’étaient plus signalés depuis bientôt des années ». Selon une habitante du quartier, le dernier cambriolage concernant la même boutique remonte à plus de trois ans. La victime à l’époque approuve de la tête. « On m’avait volé mes parures en or », indique Anta.
Un paquet de cure-dents posé sur une table basse. Certainement, un indice de perception de son attachement au terroir. Des machettes dans leur fourreau accrochées au mur côtoient l’image d’un grand bœuf. D’autres, rouillées, sont posées par terre. Le décor est bruissant de parole. La brigade de Dahra à la tête de laquelle se trouve l’adjudant-chef Oumar Cissé effectue « toutes les missions transversales de la gendarmerie ». Elle met particulièrement l’emphase, dans son action, sur la restauration de l’autorité de l’Etat. Après un état des lieux (juillet 2009, date de sa prise de fonction), Commandant Cissé et ses hommes ont comme priorité : la traque des voleurs de bétail. Ils entendent par ailleurs lutter contre les coups et blessures graves. « Beaucoup de personnes ont été amputées, balafrées à cause de la gravité des blessures », fait observer Cissé qui a de l’énergie à confisquer l’arme de prédilection des bergers. Il reconnaît cependant que « délester le Peul de ce qui semble être culturel chez lui – le port de l’arme blanche – est extrêmement pénible ».
« L’efficacité d’une brigade ne se mesure pas par le nombre d’infractions ou d’arrestations, mais par la rareté des infractions constatées du fait de l’anticipation », dit-il pour insister sur le rôle de prévention et le travail de dissuasion de la gendarmerie. A ce sujet, un conflit ouvert entre un marabout et des baye fall (*) a été évité de justesse du fait de ses capacités de négociation. Commandant Cissé aide au recyclage de dealers tout en ayant un œil sur eux, précise-t-il.
Il reçut de l’Inspection d’Académie (IA) un diplôme d’honneur et de civisme. Il était à la tête d’une campagne de souscription volontaire pour l’électrification du lycée de Dahra. Montrant l’exemple, il mit la main à la poche et invita les autorités politiques du Djoloff comme Aly Ngouille Ndiaye et Djibo à en faire autant. L’objectif de quatre millions de francs Cfa a été largement dépassé : 5.530.000 F ont été recueillis. Ainsi, le lycée a été équipé de deux climatiseurs de trois chevaux. Deux salles de classe ont été aussi réfectionnées au Collège d’enseignement moyen (CEM).
«Le cercle des intellectuels du Djoloff nous a élevés deux fois de suite, en 2009 et 2010, au rang de Diambar », indique Commandant Cissé qui associe à cette marque de reconnaissance toute son équipe et le Haut commandement de la gendarmerie.
Comme s’il se faisait contrôler volontiers par le Général Ablaye Fall, il garde dans ses bureaux deux portraits du Directeur de la gendarmerie qu’il admire « de par son humilité, son discours direct ». Et de la compréhension qu’il a de ses hommes. Autre officier de la gendarmerie qui a eu une grande influence sur sa carrière : le général de corps d’armée Waly Faye (avril 1977 – juin 1990).
On est en 1974. Comme tous les enfants de son âge auxquels on demandait quel métier ils voulaient faire, le jeune Oumar servit au Général Faye : « Je veux devenir gendarme ». Douze ans plus tard, leurs chemins se croisent, sur les escaliers, à la caserne Samba Diéry Diallo. « J’ai eu une forte émotion », se souvient-il. « Je suis gendarme dès l’âge de quatre ans », lâche Oumar Cissé élevé par son frère aîné, commandant de brigade.
Absorbé par les multiples tâches quotidiennes et pris dans les patrouilles nocturnes, Cissé comme l’appellent les populations de Dahra, n’a pas de « vie de famille ». « Les enfants nous voient rarement », nous confie-t-il d’une voix chuchotante. A défaut d’un contact physique permanent avec sa famille, il a recours à l’une des passerelles de communication les plus efficaces de notre époque : le téléphone portable. Avec cet outil moderne de communication, le lien avec les siens est rétabli chaque jour, du moins virtuellement, avant qu’il ne rentrât tardivement, au petit matin. Sa femme, sans doute résignée et fataliste, aurait déjà « bu » cette vérité comme antidote à l’absence de son conjoint : « on épouse l’homme et on épouse son métier ».
« Quand quelqu’un est extrêmement engagé, il oublie sa famille », pense Commandant Cissé. Les yeux plantés sur l’écran de son portable, il déniche dans sa « boîte de réception » le short message service (sms) que sa fille lui a envoyé il y a peu : «Bsr papa j’ai eu mon examen avec mention je passe en 3ème année ». Il veille sur la scolarité de ses enfants comme il se soucie de l’avenir des jeunes filles données précocement en mariage. Il intervient souvent, dit-il, pour faire casser des mariages précoces. « La dernière fille – en faveur de qui il a intercédé – a eu son Bfem (Brevet de fin d’études moyennes) », déclare-t-il, le regard lancé par-dessus la fenêtre de son bureau.
Son violon d’Ingres ? La gendarmerie ! Demandez-lui ce qu’il serait devenu s’il n’était pas gendarme. « Rien du tout », répond-il avec fierté.
Un goût pour la lecture ? Affirmatif. « Je n’ai pas le temps de lire ; je lis tout ce que font mes hommes », Cissé est plus occupé à lire et corriger des P.V. qu’à se donner à la littérature classique. Il aime citer le Dalaï Lama et le Général de Gaulle.
« Mon Commandant » est tout de même éleveur à ses heures… perdues.
Au foirail de Dahra, les éleveurs louent l’action de la gendarmerie. Les pickpockets qui écumaient le louma (marché hebdomadaire) ont dû quitter pour explorer d’autres cieux plus cléments pour leur « métier ». « On se sent en sécurité grâce à Cissé Ngary et ses hommes », nous confie Salim, 22 ans, habitant de Dahra. Quant à Samba, un septuagénaire venu d’un village proche, « n’eut été la gendarmerie, personne ne s’aventurerait à venir ici avec d’importantes sommes d’argent ».
La gendarmerie surveille la transaction dans l’espace du marché. « Il y a cinq ans, si vous aviez cinq cent mille ou un million, ça disparaît rapidement », rappelle Cissé.
Ancien footballeur, Oumar Cissé a joué au Ndiambour de Louga, à l’Association sportive des forces armées (Asfa) en passant par la Linguère de Saint-Louis des Samba Fall, Ibrahima Guissé, Insa Ngom…
La brigade de gendarmerie s’est illustrée récemment dans l’affaire du viol suivi de meurtre d’une jeune bergère en transhumance avec sa famille. Beaucoup de choses ont été dites dans cette affaire. Commandant Cissé dit ne pas comprendre que dans une affaire en instruction qu’une télé de la place se soit déplacée pour interroger la mère et la sœur de la défunte qui ont « inculqué » quelqu’un. Celui qui se définit comme un « technicien en investigation criminelle » voudrait que soit privilégiée la logique de la présomption d’innocence. Il commente au demeurant le fait que la transhumance soit un facteur de criminalité : « Pour quelqu’un qui séjourne en brousse, l’isolement fait naître chez lui le désir de violer, de commettre un crime ».
Quelques mots déroulés sur papier à l’entrée des cellules pour femme et pour homme exhalent le souci de respect des droits de l’Homme. « La personne gardée à vue est un être humain comme vous et moi, elle repartira vers d’autres cieux avec en mémoire l’image qu’elle aura de notre institution ». Signé C.B. (pour Commandant de Brigade).
Commandant Cissé a pour devise de transformer les nuits en jours. Il se veut « dur comme l’acier et souple comme le ressort ». Nous avons recueilli le témoignage du Capitaine Sambou, commandant la compagnie de Louga, qui déclare qu’au-delà de la personne du commandant de brigade, il y a des militaires dévoués pour la mission de sécurité publique à eux assignés. Il a par ailleurs reconnu qu’Oumar Cissé fait partie des excellents commandants de brigade. C’est un homme « discipliné, engagé, loyal avec une capacité de travail avérée et volontaire dans l’exercice de son service à la grande satisfaction de ses supérieurs».
(*) branche de la confrérie mouride
P.S. : La brigade de gendarmerie de Dahra lutte efficacement contre l’occupation anarchique de l’espace public. Plus d’étals sur la chaussée. La route est laissée aux automobilistes : les calèches roulent sur le sable. Les cas de tapages nocturnes ont été sensiblement réduits.
Réalisé par El Hadji Daouda DIAW (djoloffactu.sn) et Abdourahmane SY (Ferloo.com)