Wade découpe et coupe à sa guise. Autrement dit, après avoir procédé à de nouveaux découpages administratifs, le président de la République ampute en même temps aux collectivités locales quelques unes de leurs prérogatives. En atteste la création d’agences et des sociétés nationales prenant en charge des secteurs dévolus aux collectivités locales dans le cadre des compétences transférées. La dernière est date est la création de la société pour la propreté du Sénégal (Soprosen). Ce choix du gouvernement porte sans doute un coup dur à la politique de décentralisation tant chantée par les pouvoirs publics.

La déconcentration des pouvoirs matérialisée en 1996 à travers une Loi sur la décentralisation consacre la libre administration des collectivités locales. Elle confère aux mairies le droit et ou le devoir de prendre en charge des secteurs clés dont l’aménagement du territoire, l’urbanisme, l’habitat, l’éducation, la santé. Les collectivités locales prennent en charge ces secteurs par le canal de leurs propres moyens ou des fonds injectés par l’Etat et ses partenaires. Mais l’Etat semble aujourd’hui opter pour le recul par rapport à son devoir d’aider les collectivités locales. Il préfère porter sur les fonts baptismaux des structures parallèles qui interviennent dans les mêmes secteurs ciblés par les mairies. La Soprosen va ainsi désormais gérer les ordures.

Justifiant le choix du gouvernement, le ministre de la Décentralisation et des Collectivités locales, Aliou Sow soutient que les "villes sénégalaises sont très sales". "Le Sénégal avec la dimension qu’il a acquise ne peut pas se permettre d’avoir les villes les plus sales" , insiste-t-il. Pour le ministre, "les mairies n’ont pas les moyens financiers pour faire face aux problèmes des ordures, alors qu’à côté, il y a d’autres charges qui pèsent sur elles comme le paiement de l’éclairage public et des bâtiments administratifs."

Certes les collectivités locales n’ont pas les moyens, mais il est évident que l’Etat a des canaux par lesquels il peut bien accompagner les mairies à prendre en charge la gestion des ordures. Le transfert de compétences implique un transfert de moyens. Ce qui ne semble pas être le cas, du moins si on se fie aux récriminations des représentants des collectivités locales qui ne cessent de décrier "le refus" du pouvoir central de libérer les moyens pour le développement des collectivités locales.

Avant la Sopresen, l’Agence nationale pour l’aménagement du territoire ainsi que l’Agence pour le développement local avaient été créées. Ces structures prennent en charge des domaines conférés aux collectivités locales par la loi sur la décentralisation. La démarche du gouvernement semble avoir des visées politiques. Les grandes villes sénégalaises sont dirigées par des maires issus des rangs de l’opposition. Ceux-ci n’ont pas manqué de crier leur ras-le-bol face à ce qui ressemble à une volonté de porter atteinte à la souveraineté des collectivités locales. Ils jugent également "impertinente" la démarche de l’Etat.

"Le projet de loi organise le transfert de la gestion de toute la filière déchet ainsi que toutes les ressources financières et matérielles y afférentes à la Soprosen", déplore Khalifa Sall, le maire de Dakar. Le premier magistrat de la ville de Dakar ajoute : "au surplus, nous avons toujours pensé qu’une société chargée de gérer la question des ordures sur toute l’étendue du territoire national est une option impertinente et totalement contre- productive."

Le maire de Dakar ne s’est pas arrêté dans la dénonciation des options du gouvernement. Il a apporté un démenti aux propos du ministre de la Culture, du Genre et du cadre de vie, Mme Awa Ndiaye qui a déclaré devant les députés qu’il y a eu des concertations avec les collectivités locales avant la création de la société. Le malaise entre les collectivités locales et l’Etat semble réel. La politique de décentralisation va en souffrir. Les populations risquent aussi de se perdre dans les prérogatives des deux camps. Des difficultés pour situer les responsabilités qui vont surgir vont sûrement voir le jour. Cet cul-de-sac entraînera immanquablement la l’anarchie. Et la paix sociale pourrait en pâtir…

Samba Ndiaye et Lamine Sène

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