Le ministre d’État, ministre de l’Environnement, Djibo Leyti Kâ, s’est exprimé sur la situation politique au Sénégal, marquée par le débat sur la candidature du président Wade, les attentes de la décision du Conseil constitutionnel, de même que les événements en Libye.
Le leader de l’Union pour le Renouveau démocratique (URD) a également abordé certaines questions concernant son parti, sans occulter le bilan de son Ministère, entre autres. Le sénégalais.net vous livre, en exclusivité, les détails de cet entretien.
La validité de la candidature du président Wade est au centre des débats depuis quelques mois. Quel est la position de l’Urd en tant que parti allié ?
C’est un faux débat parce qu’il y a une instance compétente en la matière, et il faut qu’on l’a laisse se prononcer le moment venu. On perd du temps dans ce débat qui installe la polémique et toute polémique est stérile, surtout. Tout le monde doit l’attendre. Mais, à priori, on pense que le Conseil constitutionnel va approuver et on n’a aucun doute sur ça. J’ai peur de la polémique, moi, surtout quand elle est stérile comme celle-ci.
Croyez-vous réellement à la candidature du président Wade ?
J’y crois parce que le président l’avait annoncé depuis plus d’un an. Il y croit, c’est pourquoi il l’a fait et on travaille pour qu’il se présente. Il n’y a que Dieu qui sait de quoi demain sera fait, mais il pense pouvoir se présenter, il le fera.
Pour certains observateurs, le président Wade se présente parce qu’il a un problème de successeur. Partagez-vous cet avis ?
Il n’a que lui qui peut répondre à cette question, pas moi. Il faut aller le voir pour qu’il réponde à cette question.
Pensez-vous que l’opposition va accepter le verdict du Conseil constitutionnel, si la candidature de Wade est validée ?
Tout le monde est tenu d’accepter, quel que soit l’avis du Conseil constitutionnel. En tout cas, nous allons accepter toute décision du Conseil, le moment venu. Le Sénégal est un peuple majeur et personne ne souhaite que le pays s’embrase après la décision du Conseil. Nous, de notre côté, nous travaillons pour que la paix règne dans ce pays qui nous est cher. Personne n’a le droit de le brûler, tout le monde doit attendre la décision du Conseil en qui le peuple tout entier fait confiance.
Que pensez-vous du mouvement «Y’en a marre» ?
«Y’en a marre», c’est un mouvement nouveau. A l’époque, c’était un ras le bol général, un cri du cœur, un ralliement, et il jouait un aspect positif. Pour moi, c’est un cri citoyen. Avant «Y’en a marre», on avait fait le même travail, parce qu’on avait appelé à une nouvelle citoyenneté au Sénégal. Les politiques veulent récupérer ce mouvement qui n’est ni politique, ni membre d’aucune formation politique. Je pense que les Sénégalais sont friands de ces genres de manipulations. Je fais confiance à ces jeunes du mouvement, qui sont des patriotes comme nous tous. Ils mènent un combat citoyen et compréhensible, qui a fortement contribué à relancer la démocratie au Sénégal. Mais, c’est dans un cadre légal et ces jeunes ne sortent jamais de la légalité républicaine.
Le M23 est né après les événements du 23 juin 2011. Que vous inspire ce mouvement ?
Ce mouvement est un fourre-tout qui a des partis politiques, la société civile, bref, c’est un mouvement qui espère capitaliser toutes les frustrations au Sénégal, mais ces gens se trompent lourdement. J’observe, j’analyse, j’entends, je tire les conséquences, chaque fois que possible, et je ne pense pas que le M23 puisse capitaliser toutes les frustrations sénégalaises. C’est un mouvement qui veut s’approprier les acquis du 23 juin, qui consituent un acquis démocratique national dont personne ne doit se déclarer d’être l’instigateur. Je fais confiance aux Sénégalais de tout bord, mais dans le respect de la loi.
On assiste à une floraison de candidatures pour la Présidentielle de 2012. Est-ce une bonne idée ?
C’est une bonne chose, à mon avis. C’est la sève nourricière de la démocratie sénégalaise, dynamique, vivace et palpitante. Je salue cette floraison de candidatures. Le landerneau politique est agité et je prie Dieu pour qu’il protège notre pays de cette agitation débordante. Il y a beaucoup de candidatures indépendantes, car les ambitions nationales se font jour, puisque le Sénégal a beaucoup changé. Il y a une nouvelle mentalité avec l’internet on a une jeunesse branchée ; il faut qu’on en tienne compte à l’avenir. C’est ce qui explique cette floraison et ce n’est pas fini.
«Je résiste encore à ceux qui me demandent de me présenter…»
Votre parti, l’URD, va-t-il présenter un candidat en 2012 ?
Pour l’instant, on pense à autre chose. En tout cas, je reçois beaucoup de demandes et la pression est énorme, mais j’ai déjà donné ma parole à maître Abdoulaye Wade. S’il se présente, je ne serais pas candidat. Je respecte ma parole. Mais, si le Pds présente un candidat autre qu’Abdoulaye Wade, je vais me présenter, parce que Djibo Kâ ne votera plus jamais pour quelqu’un d’autre que maître Wade. S’il ne participe pas aux élections, vous me verrez déclarer ma candidature. Mais ça se prépare lentement, mais sûrement. Je résiste encore à ceux qui me demandent de me présenter, mais je tiens parole.
Comment analysez-vous l’implication des religieux dans la politique ?
C’est un phénomène qui n’est pas nouveau et qui existait depuis la période coloniale. Ce qui est nouveau maintenant, c’est que les politiques font la cour plus que de raison. En somme, une course-poursuite. Et, à mon avis, c’est plus que de la politique ou faire autrement la politique. En ce qui me concerne, je veux avoir des rapports sains avec les religieux pour qu’il y ait beaucoup de respect, car ils jouent un rôle important dans ce pays ; ils gèrent des milliers de personnes, des citoyens électeurs et aussi des hommes politiques. Je préfère avoir des rapports normaux avec tout le monde, quel que soit les confréries, mais j’ai mes préférences et mes sensibilités personnelles que je ne révèle pas. Je garde mes secrets.
Est-ce que Djibo Leyti Kâ croit au «Ndiguel» ?
Non, je n’y crois pas. Parce que cela ne se passera pas comme dans le passé. Mais, s’il s’agit de suggérer par des gestes, des faits concrets, suggestifs, si c’est pour ça, j’y crois.
Avez-vous une fois regretté votre compagnonnage avec le président Abdoulaye Wade ?
Regrets, Non ! Je n’en ai jamais eu avec lui. Mais, par contre, j’ai beaucoup de souci et de considération particulière par rapport aux dossiers importants du pays. Et maintenant, c’est chose faite. C’est pourquoi je me suis démarqué nettement à l’occasion du ticket présidentiel, mais dans les règles de l’art. J’ai appelé à une large concertation pour dire «écoutons mieux, entendons mieux et agissons vite», et on est sur la bonne voie. Le président me demande mon point de vue et on échange beaucoup. Mon rêve avec lui, c’est que pour aller aux élections. Et pour cela, il faut que l’on puisse avoir un bon bilan, géré de façon très sérieuse et calme pour parler aux Sénégalais et les faire rêver. C’est le rêve qui fait élire les gens et entrer dans le cœur des gens, ce qui est le nœud gordien pour gagner une élection. Mais, ce ne sont pas seulement des chiffres qui n’ont aucun sens pour le Sénégalais lambda. Convaincre les Sénégalais, leur montrer la bonne voie sur laquelle on s’est engagé. Tout le reste est secondaire.
Sur le plan international, on annonce la fin du régime du colonel Kadhafi. Est-ce votre avis ?
Ce dossier libyen m’a beaucoup intéressé et je le suis depuis le début. Kadhafi, quand il prenait le pouvoir en septembre 1969, j’étais en classe de Terminale, et cela fait 42 ans qu’il est là-bas. Ça fait trop ! La Libye de Kadhafi n’est pas une République, mais une Jamahiriya, un fourre-tout qui veut dire ce que cela veut dire. Le colonel Kadhafi n’est pas un Président normal, c’est un guide, un indicateur de voie, la lumière en quelque sorte. Mais moi, il n’a jamais été ma lumière. Il a fait son temps, à mon avis, il était très fort et brillant dans le monde entier. Mais les pertes en vies humaines n’étaient pas inévitables pour son départ. Il y a actuellement une guerre civile dans ce pays et je le déplore. J’appelle le peuple libyen à se réconcilier inclusivement et à mettre en place un système politique démocratique viable. La Libye est un pays qui a été victime de sa richesse, son potentiel énergétique.
«L’Union Africaine a raté le coche, encore une fois»
Pensez-vous que l’Union Africaine a joué son rôle dans ce dossier ?
L’Union Africaine a raté le coche, encore une fois. Elle pouvait avoir un beau rôle en appelant à la négociation, dès le départ, aller sur place, les mettre autour d’une place, car on sait que toute guerre finit dans des négociations. Mais, c’est trop tard pour l’Union Africaine, qui a manqué le train de l’histoire. C’est dommage pour mon ami Jean Ping, un homme de valeur, d’expérience diplomatique. Le monde étant ce qu’il est, avec les États qui n’ont que des intérêts, l’UA devait agir plus vite et mieux que ça. Espérons que la guerre civile qui s’est installé en Libye se termine le plus rapidement possible.
Et la position du président Wade dans ce dossier Libyen, qu’est-ce qu’elle vous inspire ?
C’est une position courageuse que je salue. Il a dit beaucoup de vérité à Kadhafi lors de sa visite à Benghazi, devant le monde entier, et il n’y a qu’un ami qui peut le faire. Si j’étais à sa place, j’aurais fait la même chose, et l’Union Africaine aurait dû faire la même chose pour éviter cette guerre civile et sauver Kadhafi. Mais c’est trop tard, pour lui. C’est un acte fort et le colonel devait écouter le président Wade. S’il l’avait fait, son pays ne serait pas dans cette situation de chaos…