Rendez-vous est pris le dimanche à 17 heures. Mais avant l’heure, le téléphone sonnera une dizaine de fois. «On va la faire cette interview ou pas ?» Demande-t-elle. «Bien sûr», répond-on. A un moment, Maïmouna Sao perdra même espoir de se faire interviewer, pensant rater l’occasion de sa vie de livrer sa part de vérité et de mettre en garde Cheikh Béthio Thioune, qu’elle considère comme le principal responsable de ses malheurs. «Là, j’ai quitté Touba, confie-t-elle, quelques secondes avant l’entretien téléphonique. Je suis dans un endroit sûr. Je suis prête à tout révéler. On peut y aller.» Et après les 20 minutes qu’a duré l’interview, Maïmouna Sao, qui est entrée en guerre totale avec son ex-époux, a demandé une dernière faveur : «S’il vous plaît, n’enlevez rien de ce que j’ai dit. N’en rajoutez pas, non plus.» On édulcorera juste quelques propos. De graves révélations que la déontologie journalistique et le statut de guide religieux de Cheikh Béthio ne permettent pas de mettre sur du papier. Pour autant, l’interview n’a pas été tronquée.
Maïmouna Sao, on a fait état dans notre édition du Week-end d’une information selon laquelle, on vous a surprise consommant de l’alcool et de la cigarette, alors que c’est interdit dans la cité religieuse de Cheikh Ahmadou Bamba, ce que vous contestez. Pouvez-vous revenir sur les événements qui ont motivé votre expulsion de Touba?
Je peux vous dire d’emblée que tout ce qui a été dit dans cette affaire est faux. J’avoue par contre que les gens de «Safinatoul Amane» ont débarqué chez moi, sans crier gare. Déjà, avant qu’ils ne viennent, quelqu’un a envoyé une personne chez moi pour voir s’il n’y avait pas de problème, je lui ai répondu que je n’en avais pas connaissance.
Qui a envoyé qui ?
Je vous le dirai plus tard. Donc, trente minutes après le passage de cette personne, trois agents de «Safinatoul Amane» débarquent chez moi. Ils m’ont trouvée en train de prendre un repas en compagnie de mon fils et d’un invité de la maison. Ils m’ont dit qu’ils avaient besoin de moi et avant même que je me lève, ils sont entrés dans ma chambre. L’homme, qui m’avait devancée dans ma chambre, commençait à la fouiller de fond en comble. Les autres avaient pris à partie mon invité, qui occupait une des autres chambres de la maison. Cet invité est venu chez moi pour le Magal et, quand mes autres invités sont partis, il est resté. Le jour, il occupait une «Hayma (une sorte de tente avec une simple natte et une couverture)» qu’il avait dressée dans la cour et le soir, il dormait dans la chambre avec toilette intérieure que j’avais préparée pour lui, parce qu’il disait être le fils d’un très respecté guide religieux. Donc, quand les éléments de «Safinatoul Amane» ont fini de fouiller la chambre qu’il occupait, ils m’ont appelée, en me disant de venir voir ce qu’ils ont trouvé. Quand je suis arrivée, j’ai failli tomber o la renverse. Ils m’ont montré un paquet de cigarettes et une bouteille d’alcool pour me demander ce que ça faisait là. Je leur ai répondu que je n’en savais rien. Quand ils ont demandé à celui que je considérais comme un fils de l’illustre marabout, il a dit que c’est moi qui avais acheté l’alcool et la cigarette la veille. Je lui ai alors dit qu’il ne racontait pas la vérité, alors que je l’avais accueilli tout ce temps chez moi. J’étais hors de moi, je ne savais plus quoi faire. J’ai longtemps vécu à Touba et je sais comment ça fonctionne, il y a des choses que je n’imagine pas faire à Touba, par respect à moi-même et par respect au fondateur du Mouridisme. Depuis des années, j’habite à Touba et on ne me connaît aucune incartade de ce genre. Ces gens-là savaient que j’étais perturbée, ils ont commencé à me faire subir toutes sortes d’humiliations : «Assieds-toi par là», «ils ont mis mes bagages sens dessus-dessous»… J’étais affolée. Par la suite, ils ont menotté le monsieur, dont je tairai le nom. Ils ont commencé à le frapper, à crier sur lui. Ils ont sorti des armes, des Tasers, tout l’arsenal des policiers. J’ai eu la grande peur de ma vie. Sur le coup, je me voyais à la place du gars. Je me disais qu’ils allaient me faire subir la même chose, me passer à tabac avec des menottes. Ils ont senti ma peur et en ont profité. D’ailleurs, avant même le début de la fouille, ils m’ont demandé si j’étais la propriétaire de la maison et si j’habitais seule ou avec un parent ? Je leur ai dit que certes la maison appartient à Cheikh Béthio, mais c’est le tribunal qui m’a donné le droit d’y rester et j’y vis seule avec mon fils. Cela a dû les rassurer. L’un des éléments m’a même prise en aparté, dans un coin de la maison, pour me dire ceci : «Je sais que t’es une «nandité (fille de son temps)» comme moi, dis moi la vérité». J’ai répliqué en lui demandant : «C’est quoi une «Nandité». Qu’est-ce qu’il voulait dire par-là ?» Comme ils ne parvenaient pas à me faire avouer les choses aussi facilement, ils ont commencé à me brutaliser. Là, j’ai eu honnêtement trop peur. Je ne tenais plus. Et ils m’ont tout fait avouer sous la contrainte. Ils ont commencé à me filmer en me posant toutes sortes de questions et comme unique réponse, je disais oui.
«C’est lui qui m’a appris tout ce qu’il me reproche»
Donc, vous avez avoué face caméra, que vous buvez de l’alcool et fumez de la cigarette. Est-ce que réellement vous n’en faites pas usage ?
Que voulez vous que je fasse face à trois gaillards armés, qui me menacent de me faire ma fête si jamais je n’avouais pas ? J’ai tout avoué. Ils m’ont demandé si je buvais de l’alcool et fumais de la cigarette ? J’ai dit : «Oui». Je ne pouvais pas dire autre chose. Je ne voulais pas qu’on me passe à tabac devant mon fils, qui était tétanisé de peur. En plus, ils menaçaient de me mettre les menottes et de m’emmener à la police. A ce moment-là, je me suis dit : «Ils vont kidnapper mon enfant.» Je leur ai même dit qu’avant de m’emmener à la police, j’ai une grande sœur qui vit à Touba, qu’ils me permettent de l’appeler pour qu’elle vienne chercher mon fils. Mais ils ne m’ont pas offert cette opportunité. D’ailleurs, après cela, ils ont abandonné l’option de me conduire à la police. Mais ce qui m’intrigue le plus dans cette affaire, c’est que ces éléments de «Safinatoul Amane» étaient en contact avec Cheikh Béthio et non avec leur chef. Je les ai même entendus dire à Cheikh Béthio : «Oui, Thioune. On va le faire, comme vous le voulez.» D’ailleurs, à la fin de leur opération, Cheikh Béthio a envoyé quelqu’un pour qu’il vienne m’aider à sortir mes bagages. Je connais bien le gars, mais ce n’est pas la peine que je cite son nom. Il est venu à bord d’une voiture de marque Hummer de Cheikh Béthio, mais comme ils parlaient avec les éléments de «Safinatoul Amane», je ne lui ai rien dit. J’ai gardé mon calme. Je n’ai rien sorti, aucun meuble. J’ai juste pris mes papiers et quelques affaires.
A vous suivre, on dirait que vous mettez tout cela sur le compte de Cheikh Béthio, qui aurait ourdi un complot contre vous ? Est-ce cela ?
Effectivement ! C’est Cheikh Béthio qui est derrière tout cela et personne d’autre. Parce que bien avant cette descente des éléments de «Safinatoul Amane» chez moi, il y a plus de trois mois de cela, Cheikh Béthio avait envoyé des gens chez moi pour récupérer la maison et mon fils. Mais j’avais refusé. D’ailleurs, avant cela, j’étais partie le voir à «Janatou Mahwa», sur demande d’un condisciple, pour aplanir les choses, mais il a mal pris le fait que je vienne le voir. Ce jour-là, j’avais une facture de courant qui s’élevait à 240000 Cfa et quand je lui ai présenté la facture, il s’est emporté en disant, tout haut : «Ce n’est pas sérieux qu’une personne squatte chez quelqu’un, en utilisant le courant jusqu’à un tel montant.» Il parlait de moi, mais je n’ai rien dit. J’ai gardé mon calme. Il m’a ensuite envoyé Serigne Moussa Niang pour qu’il me convainque à lui restituer sa maison et lui remettre son fils. J’ai dit à Serigne Moussa Niang qu’il ne devait accepter de venir à la rescousse de Cheikh Béthio. Parce qu’il le seul témoin, ou le principal acteur, de mon union avec Cheikh Béthio. Ce jour-là, nous étions ensemble quand Cheikh Béthio lui a confié qu’il voulait me prendre comme cinquième épouse, mais ne sait pas comment faire. Serigne Moussa Niang lui a dit : «T’en fais pas. Nous tous, nous avons plus de quatre femmes.» Cheikh Béthio lui a répondu : «Non, Moussa ! Je ne peux faire cela sans l’accord de Serigne Saliou. Et honnêtement, je n’ose pas aller le voir pour lui parler de cela.» Serigne Moussa Niang a rigolé, avant d’enchaîner, taquin : «T’as combien en commission ? Paie-moi et je file le dire au Khalife.» Sans hésiter, Cheikh Béthio lui a lancé : «Vas-y. J’ai un million pour toi.» De ce pas, Serigne Moussa Niang est allé directement voir Serigne Saliou pour l’entretenir de la volonté de Cheikh Béthio de me prendre comme cinquième épouse. C’était en 2007. Et il était parvenu à convaincre Serigne Saliou, qui a scellé notre mariage. C’est pourquoi quand Serigne Moussa Niang est venu chez moi, à Oumoul Khoura (Touba) après notre divorce, pour me faire part de la commission de Cheikh Béthio de lui remettre notre fils et de quitter sa maison, je lui ai dit : «Serigne Moussa, je n’aurais jamais cru que vous pourriez, un jour, venir chez moi pour me parler de pareilles choses. Que vous prendriez parti pour Cheikh Béthio, alors que c’est vous-même qui êtes parti convaincre Serigne Saliou pour qu’il nous unisse. Certes Serigne Saliou est parti, mais nous le retrouverons tous dans l’au-delà. Et nous reparlerons de tout cela devant Dieu, l’Unique Juge, qui est au courant de tout. Donc, il ne faut pas, pour de futiles intérêts, compromettre votre jugement devant le Tout-puissant.» Quand j’ai fini, il s’est tu un moment, avant de changer d’approche. Il a essayé de me convaincre, par les sentiments, de quitter la maison et de remettre les clés à Cheikh Béthio. Mais je lui ai dit que c’est le tribunal qui m’a donné le droit de vivre dans la maison avec mon fils et que pour rien au monde je ne la quitterai. Je lui ai aussi fait savoir que j’étais consciente que la maison appartenait à Cheikh Béthio et que peut-être, après délibéré, puisque nous sommes toujours en instance de divorce, je quitterai la maison pour aller vivre ailleurs. Mais pour l’instant, j’y reste avec mon fils, en attendant une décision contraire du tribunal. Il a répliqué en me disant : «Si tu avais de bons conseillers, tu n’allais pas partir au tribunal, puisque Serigne Béthio est ton marabout.» Je l’ai freiné, en lui demandant de ne pas s’engager dans ce débat-là, qu’il ne le maîtrise pas et que c’était une décision personnelle d’aller au tribunal. J’ai même poussé ma réponse plus loin, en lui disant que c’est Cheikh Béthio qui ne devrait pas m’attraire devant les tribunaux, parce qu’il a mille fois plus de problèmes que moi. Et je n’ai jamais été au tribunal avant qu’il ne m’y fasse convoquer.
Dans sa réaction à votre expulsion de Touba par des éléments de «Safinatoul Amane», l’agence de sécurité privée chargée de veiller sur les faits et pratiques dans la ville sainte, conformément aux recommandations de Bamba, Cheikh Béthio a déclaré que c’est pour les mêmes raisons, usage d’alcool et de cigarette, qu’il a divorcé avec vous. Qu’en est-il exactement ?
Cheikh Béthio devait éviter de parler de ces choses-là. Cela participe à ternir davantage son image. C’est lui qui m’a appris tout ce qu’il me reproche. Qui m’a initiée à tout cela, à Touba même. Et je ne suis pas la seule. Si vraiment c’est pour ces raisons-là qu’il s’est séparé de moi, comme il l’a clairement dit dans votre journal, pourquoi est-il toujours en mariage avec deux de mes ex coépouses, dont je ne citerai pas les noms ?
Madame, ce que vous dites est très grave. Mesurez-vous vos propos ?
C’est plus que grave, mais c’est lui, le premier, à porter l’accusation. Qu’est-ce que vous voulez ?
«Craindre pour ma sécurité, c’est ce qui m’a poussé à attendre à quitter Touba pour vous parler»
Selon des sources contactées par le correspondant de L’Obs, vous reveniez de la police de Touba, où vous avez passé la nuit pour cause d’ivresse publique manifeste (Ipm) quand les éléments de « Safinatoul Amane » sont venus perquisitionner votre domicile à Oumoul Khoura ?
C’est archi-faux ! Je n’ai jamais été arrêtée par la police et je n’ai jamais apporté de l’alcool ou de la cigarette chez moi à Oumoul Khoura. C’est une cabale. Un complot. Ma faute dans cette affaire, c’est d’avoir hébergé un homme qui se faisait passer pour le fils d’un illustre guide religieux de Touba. Je l’ai accepté chez moi grâce à son nom de famille et je ne pouvais pas le chasser de chez moi. Et c’est dans la chambre qu’il occupait qu’on a trouvé l’alcool et la cigarette. Encore une fois, je n’ai jamais été arrêtée par la police ni passé la nuit là-bas.
Vous parlez de cabale, de complot ourdi par Cheikh Béthio, que vous accusez publiquement d’être derrière vos malheurs, ne craignez-vous pas pour votre sécurité ?
Craindre pour ma sécurité, c’est ce qui m’a poussé à attendre à quitter Touba pour vous contacter et vous parler de tout cela. Depuis 2011, je me garde de parler de certaines choses, de répondre aux accusations de Cheikh Béthio. Mais, comme il persiste à vouloir me faire du mal, à vouloir entacher ma réputation, j’ai décidé de répondre. Moi, je suis née dans le mouridisme, c’est le vénéré Cheikh Marouba Guèye qui est mon grand-père. Aujourd’hui, tous mes parents et autres proches de la famille sont outrés par ma situation. Ce sont eux-mêmes qui m’ont demandé de briser le silence. Sinon, je n’allais jamais le faire. Parce que quoi qu’il en soit, j’ai un fils avec Cheikh Béthio et il va grandir. D’ailleurs, je le lui ai dit lors de notre dernière rencontre. Je lui ai dit que c’est toujours lui qui m’attaque, mais jamais je ne répondrai, parce qu’on a un garçon. Mais cette fois, c’en est trop. Comme il ne se prive jamais de m’attaquer ou de comploter contre moi, c’est désormais à la guerre comme à la guerre.
Si on comprend bien, c’est votre garçon que Cheikh Béthio veut récupérer. Pourquoi ne lui laissez-vous pas la garde de l’enfant, parce que quand même, il a les moyens de s’occuper de lui, et vous, vous vivriez en paix ?
Il n’en est pas question. Malgré qu’il ait eu à me menacer directement pour que je lui laisse la garde de l’enfant. Ce que vous ne savez pas, c’est que depuis plus d’un an, depuis octobre 2013, Cheikh Béthio ne s’occupe plus de son enfant. Il ne fait rien pour lui. Il a même coupé la pension. C’est moi qui fais tout pour l’enfant. Il n’y a que la maison que j’occupe encore et ce n’est pas de mon plein gré. C’est une décision du tribunal qu’il peine à respecter. Il souffre du fait que j’occupe cette maison. C’est pourquoi il est passé par «Safinatoul Amane» pour me faire sortir de Touba.
Aujourd’hui vous êtes sortie de votre domicile et de Touba, comptez-vous poursuivre en justice Cheikh Béthio, que vous indexez comme étant le commanditaire de tout cela ?
Bien sûr ! En plus, je n’arrêterai pas les démarches en justice déjà entreprises. J’irai jusqu’au bout. J’ai toujours évité de répondre à Cheikh Béthio, mais comme il insiste à m’appeler sur ce terrain, je vais dire ce que je sais. Je vais lui répondre. En plus du fait qu’il a trahi ma confiance, il veut me traîner dans la boue, mais je ne l’accepterai pas.
Avez-vous une chose à dire personnellement à Cheikh Béthio. Par exemple, un appel à la paix au nom de votre garçon, qui n’aimerait pas, à coup sûr, revivre tout cela, en lisant les archives de la presse, quand il sera grand ?
Je veux dire à Cheikh Béthio de me laisser tranquille, d’arrêter de m’envoyer des agents secrets et de comploter sur mon dos. S’il veut vraiment avoir la paix avec lui, qu’il me laisse tranquille. Comme vous dites, nous avons un garçon et, au nom de cet enfant-là, qu’il arrête de me calomnier. Parce que désormais, je répondrai à toutes ses attaques.
L’Observateur