Oui, on peut le dire maintenant, le gouvernement a été très léger dans cette affaire de demande de report de la CAN 2015 à une date ultérieure, pour cause de risque de propagation du virus Ebola. Fidèle à son habitude, il vante continuellement les capacités du Maroc, et se vante d’être fin prêt pour recevoir la compétition… et puis il en demande le report, avant de se montrer apeuré, sur ses propres terres, face à un Hayatou dont le moins que l’on puisse en dire est qu’il s’est montré fort arrogant.
Relecture des arguments de la CAF
1/ Le Maroc a reçu chez lui des matches de pays touchés par Ebola et a maintenu ses liaisons aériennes avec ces pays. C’est là un acte de solidarité avec ces pays, le Maroc ayant continué à assurer ses liaisons aériennes à un moment où les autres compagnies les ont suspendues, isolant les trois pays touchés, Guinée, Sierra Leone et Libéria. Médecins sans Frontières a dit et redit, sur tous les tons et même avec des trémolos, que mettre de fait ces pays en quarantaine les plaçait devant le danger d’une avancée de la pandémie sans possibilité de recevoir les soins et les personnels soignants. Le Maroc a agi humainement, solidairement, avec un zeste de calcul politique aussi, il faut le reconnaître. Et il en va de même pour l’accueil d’un match avec l’équipe guinéenne. Accueillir une équipe n’est pas la même chose qu’en recevoir plusieurs.
2/ Le Maroc avance l’argument du risque, et donc s’appuie sur le principe de précaution. La CAF, quant à elle, insiste sur les calendriers, sur l’enchevêtrement des dates et des compétitions, et aurait été plus honnête en parlant fric. Reporter ou annuler la CAN est coûteux pour les annonceurs et les télés. C’est là la vraie raison du refus d’ajournement de la CAN. Le Maroc ne peut prendre un risque, même minime, pour sécuriser les chiffres d’affaires déjà gros d’entreprises prospères…
3/ Le communiqué de la CAF est tellement long et précis qu’il est impossible qu’il ait été rédigé après la réunion d’Issa Hayatou avec les responsables marocains. La CAF est donc venue au Maroc avec sa décision en poche. Issa Hayatou a bien mangé, bien bu, fait sa dialyse, rencontré des gens, beaucoup ri, avant d’asséner sa claque au Maroc. C’est indélicat.
4/ Dans cette affaire, la CAF risque un manque à gagner et recherche une autorité sur les gouvernements. Elle n’est qu’une simple organisation, volatile, à cheval sur plusieurs pays… Le Maroc, lui, s’expose à un risque qui, répétons-le, même minime, ne doit pas être pris. Quand on met en balance un spectacle sportif et la santé publique d’une société, il semble évident que c’est ce dernier élément qui doit primer.
5/ Sans retomber dans le sempiternel conflit entre Rabat et Alger, force est tout de même de constater que le numéro 2 de la CAF est l’Algérien Raouraoua, et que cet homme tire les ficelles à la CAF du fait de sa position de challenger d’Issa Hayatou pour la présidence de la Confédération. La force de l’Algérie, sur l’échiquier international, est de toujours faire passer ses intérêts avant ceux des autres ; la faiblesse du Maroc est de toujours appréhender les réactions des autres, de se regarder dans les yeux des autres, et de toujours craindre pour sa réputation. Il est temps de changer cela.
6/ Les Marocains, à en croire les commentaires et discussions sur les réseaux sociaux, sont majoritairement opposés à l’organisation de la CAN à ses dates prévues. Une page a été créée sur Facebook, intitulée « Tous pour le maintien de l’organisation de la CAN 2015 au Maroc ». Les fans sont très vite montés à 10.000, en 24 heures. Trois jours après, ils sont seulement 14.000 ; l’initiative était louable, mais les gens n’ont pas suivi…
Ils ont dit…
Aziz Daouda*: « La décision de la CAF est insultante »
*Ancien athlète, ancien directeur technique de l’athlétisme national
Je suis franchement déçu. La demande marocaine de report de la CAN 2015 est légitime et justifiée. Nul n’est sans savoir qu’aujourd’hui aucun pays en Afrique ne peut lutter contre une pandémie. En abritant cette compétition sportive, le Maroc risque de servir de plateforme de relance de l’épidémie d’Ebola. Je pense qu’il faut arrêter de parler de l’OMS car celle ci n’a pas bougé le petit doigt. Avec cette décision, la CAF nous lance un ultimatum et c’est une insulte pour le Maroc. Si j’étais le ministre de la Jeunesse et des Sports j’aurais envoyé une lettre a la CAF pour leur dire merci mais on ne veut pas organiser cette coupe. De quoi aurait-on peur? D’être sanctionné et de ne plus faire partie de la CAF? Et alors? On ne va pas mourir.
Fakreddine Rajhi*, « Huit jours pour donner une réponse définitive c’est court »
*ancien joueur international, ancien entraîneur du Raja
Cette décision de la CAF du refus de report de la CAN était prévisible. Ce n’est pas facile de reporter un événement sportif comme celui ci. Il y a plusieurs sponsors qui ont donné de l’argent et décider de reporter ou d’annuler, ce n’est pas tolérable pour les bailleurs de fonds. Mais cela ne signifie pas pour autant que la Confédération a raison de réagir de la sorte. Avec sa décision, la CAF a mis le Maroc dans une situation embarrassante. Ni vous ni moi ne pouvons savoir quelle sera la réaction du Maroc durant cet ultimatum de huit jours. Mais si le Maroc accepte d’organiser cette coupe aux dates fixées par la CAF, c’est toute la santé d’un peuple qui est en jeu.
Krimou* : « Nous sommes capables d’organiser cet événement sportif, mais avec cette maladie ça ne rigole pas »
*ancien joueur international
Avec sa décision, Issa Hayatou jette la balle dans le camp du ministère de la Santé. A présent, c’est le département d’Hussein el Ouardi qui doit trancher, en concertation avec les hautes autorités de l’Etat bien entendu, et nous dire si le Maroc peut cadrer cette épidémie d’Ebola. Moi j’ai vu à la télé ce que les gens endurent dans les pays touchés par la maladie. C’est vraiment terrible et je ne souhaite nullement cela pour le Maroc. Nous sommes capables d’organiser cet événement sportif, nous sommes prêts, il n’y a aucun problème. Mais avec cette maladie ça ne rigole pas. On ne doit pas s’amuser avec ça.
Aussi, le Maroc devrait faire montre de rigueur et de fermeté. Il ne doit pas craindre une organisation qui souhaite se donner plus de puissance qu’elle n’en a, et peser avec plus de force qu’elle n’en dispose. Une exclusion du Maroc de la CAF ? Le Maroc est bien en dehors de l’Union africaine depuis 30 ans, cela ne l’empêche pas de réussir un retour sur la scène africaine par la puissance de ses banques, de ses entreprises, de sa diplomatie royale et de son impact spirituel. Des sanctions ? Le Maroc ne doit pas craindre d’engager un bras de fer avec la CAN, en allant au tribunal arbitral sportif et en arguant du cas de force majeure : 10.000 cas d’Ebola, 5.000 morts, des chiffres éloquents, des statistiques effrayantes, une réalité incontournable, un risque indiscutable…
Alors que le ministre Ouzzine et que le président de la Fédé Lakjaâ cessent d’agiter des chiffres, légèrement (des dizaines de milliers de spectateurs pour le premier, un million de supporteurs pour les econd !!), qu’ils cessent de craindre Hayatou (regardez les images de ces gens avec le Camerounais, on dirait des élèves devant leur maître…), et qu’ils agissent en responsables, si cela leur est possible…
Le Maroc doit maintenir sa décision, et gérer le reste.