Chers concitoyens américains, chers citoyens du monde,
L’immense espoir de changement d’une Amérique d’alors, essoufflée par une profonde crise économique et d’avènement d’un monde meilleur plus juste et plus sûr que l’élection du fils d’immigré d’origine africaine que je suis avait suscité, se mesurait à l’aune du contenu programmatique de mon slogan de campagne « Yes, we can ». Après deux mandants à la tête de la nation la plus puissante au monde, au moment de dire Bye-bye the world, je continue à faire mien, ce cri de guerre : « Yes we Can ».
En effet, le soir de mon élection, à la tête de ce grand pays que sont les USA, je disais devant des millions de personnes qui étaient venus m’applaudir : « hello Chicago…». Ce fut suivi d’une très grande salve d’applaudissements. Les populations de cet Etat venaient ainsi de voir leur Sénateur, élu président des Etats-Unis d’Amérique. Quelle grande responsabilité !
Au fil des semaines, puis des mois, le ton de mon discours prend de nouvelles orientations. Mon lexique s’élargit et prend aussi de l’envergure. Je ne pouvais et ne portais plus la voix d’un Etat ou d’une contrée. Désormais, j’incarnais la voix d’une superpuissance ; celle des Etats Unis d’Amérique.
Ce glissement sémantique dans le discours devait s’accompagner d’un nouveau comportement, de nouvelles règles, d’un nouveau protocole, déjà vieux de plusieurs siècles, respectés par plus d’une quarantaine d’hommes d’Etat comme moi. A la seule différence, que j’en étais le seul de couleur comme on le dit ici, en Amérique.
Toujours, selon ce protocole, je devais rejoindre Washington, ce haut lieu, symbole de la politique américaine à l’intérieur et à l’extérieur des USA. Ainsi, s’ouvraient pour moi les portes de la politique réelle ou de la realpolitik comme on dit dans le langage des analystes politiques.
Comme le premier soir de mon élection, je commençais à mesurer l’ampleur de la tâche qui reposait, désormais, sur mes épaules. Je découvre ce grand bâtiment blanc que j’avais eu l’opportunité de visiter en tant que Sénateur de l’Illinois, peu de temps avant mon élection.
Puis vinrent les cérémonies, aussi solennelles les unes que les autres, jusqu’à mon installation définitive en tant que Président des Usa. Fini l’euphorie de l’élection d’un membre de la communauté africaine-américaine, place maintenant au travail.
Je devenais, ainsi, le chef de la plus grande administration du monde avec ses réalités internes et externes. Mes talents d’orateur, qui avaient séduit, sans doute, l’Amérique ne tarderont pas à marquer le reste du monde. Arrivent, alors, les premiers voyages diplomatiques après les premiers briefings des conseillers qui les ont précédés.
Mon idéal. Toutes ces belles idées qui ont ponctué ma vie, mon engagement social et mon militantisme politique trouveront alors leur champ d’application, me disais-je.
Les premières réunions de crise s’enchainent ; sur la situation en Irak, en Afghanistan, en Palestine ou encore la base militaire de Guantanamo avec sa prison très décriée, la démocratie en Afrique, la lutte contre le terrorisme, ce sujet énorme, la promotion du leadership chez les jeunes, des libertés individuelles, collectives et celles des groupes minoritaires, entre autres questions.
L’avocat, défenseur des droits humains, l’humaniste que je suis, devais ainsi intervenir, non pas au nom de mon idéal, mais au nom de l’Amérique. Ce pays dont l’engagement ou le désengagement avait une valeur de légitimation ou de désapprobation d’une action à travers le monde.
Avec l’aide et la détermination de mon Cabinet, nous devrions prendre des décisions lourdes de conséquence. Je les appelle ainsi parce que c’est ce qu’elles l’étaient. Toutefois, il faut reconnaitre, que, comme toute autre décision, elles n’étaient pas toutes bonnes certes, mais elles devaient être prises. Ce qui fut fait.
Prendre une décision ne plaira pas à tout le monde. C’est un fait, on ne peut pas rendre tout le monde heureux ; mais on peut choisir de rendre heureux ceux qui le méritent à nos yeux. En fait, ici, il fallait la prendre pour celui qui nous avait mandatés : le peuple.
J’ai été confronté, vous disais-je à la réalité politique, il en fut ainsi jusqu’au dernier jour de mon second mandat. Mon idéal en prendra un sacré coup, je dois le confesser. Certains de mes amis m’en ont fait le reproche. Je les comprends, vu qu’ils n’étaient pas à ma place et n’avaient évidemment pas accès à toutes ces informations que je détenais.
A l’échelle du pays, comme à travers le monde, les sollicitations d’intervention se multiplient, les moments de prise de décisions s’impatientent. Nous en avons retardé certains afin d’y voir plus clair ou laisser le temps faire son effet. Mais à coup sûr, il fallait agir. Agir avec dextérité pour ne pas frustrer ou heurter les sensibilités des uns et toucher l’égo des autres sans pour autant écorner l’image de l’Amérique. Vous voyez que des talents d’équilibriste seraient un atout pour ce genre de métier.
Le poste de chef de la plus grande puissance est, sans conteste, le plus glorieux au monde. Mais, il est aussi celui qui vous expose le plus, à de multiples exigences d’ordre sécuritaire, protocolaire, de résultats et j’en passe…
Les années passent, emportant avec elles les succès diplomatiques, les performances économiques qui m’ont valu une réélection et les résultats mitigés de la politique sécuritaire interne. J’encaisse des coups, ceux-là que les analystes politiques qualifient de «bas», et de tous bords. Même dans mon propre camp, il a fallu par moment se protéger pour en éviter la frénésie que mon élection a suscitée auprès de la communauté noire d’Amérique et d’autres contrées du monde, s’effrite avec le temps, il faut le reconnaitre. L’enthousiasme que l’arrivée d’un homme noir à la Maison blanche a engendré, s’amenuise au fil des décisions et des crises. Cela surtout en Afrique, le continent d’origine d’une partie de ma famille.
Oui, en Afrique, mon élection avait suscité une grande joie, doublée d’un grand espoir. Je fis des visites dans des pays, vendant le mérite et la nécessité d’instaurer des régimes démocratiques, théorisant. Théoriser la limitation des mandats présidentiels et promouvoir le leadership des jeunes et des mouvements de la société civile. Je suis même arrivé à convaincre mes partisans démocrates de la nécessité de créer un fond de soutien à des Etats africains que se seraient illustrés dans la bonne gouvernance avec le Millenium Challenge Account ; le MCA.
Chez les jeunes, je crée le Mandela Fellowship ou Young Leaders African Initiative (Yali) pour encourager l’esprit d’entreprise et l’auto emploi chez les jeunes. Pourtant, pour bon nombre d’africains, cela était loin d’être suffisant. Mais, c’est juste que ceux-là, ignorent les réalités de la politique intérieure et extérieure américaine. Le système fonctionne ainsi pour tout le monde.
Pour d’autres africains, l’Amérique m’a surtout utilisé pour dire aux leaders africains ce qu’ils n’étaient pas prêts d’entendre de la part d’un chef d’Etat de couleur blanche. A chacun sa conviction. Mes voyages dans le continent africain étaient certes une tribune pour parler aux leaders africains qui avaient fini d’instaurer presque des monarchies dans leurs pays. Mais c’était aussi l’occasion de partager avec eux mon idéal. Bien évidemment, il y avait des sujets sur lesquels, certains pays ne voulaient faire aucune concession. Ce fut le cas de la question de l’homosexualité. Je le comprends. Cela était dû à des convictions cultuelles et culturelles. Je me voyais opposé des refus sommes toutes courtois mais absolument fermes. Comme ce fut le cas au Sénégal, avec le président Macky Sall, un pays qui pourtant peut être considéré comme une démocratie majeure dans le monde, au regard de ses alternances politiques pacifiques, de la vivacité de sa société civile, de la richesse du débat politique, de l’expression des libertés individuelles et collectives. Cela m’a d’ailleurs poussé à reconsidérer ma conception du modèle démocratique occidental qu’on a voulu universaliser.
L’Afrique commençait à douter, à l’intérieur des Usa aussi, d’autres communautés montraient des signes de désespoir. Certains ne se gênaient pas de me le signifier à travers des contributions dans les journaux américains, pendant que d’autres utilisaient les réseaux sociaux. Certains problèmes sociaux qui ont longtemps secoué les communautés noires, jaunes ou hispaniques et dont les victimes nourrissaient énormément d’espoir pour leur résolution à travers cette élection, ont parfois déchanté.
Je ne peux que m’en désoler, car la volonté ne m’a jamais fait défaut. En fait, il y avait une forte résistance d’une partie de la communauté blanche qui n’a toujours pas décidé de faire tomber le masque et de s’ouvrir aux autres, mais surtout du camp républicain qui a souvent utilisé la tribune du Sénat pour faire barrage à certaines de mes réformes. Vous avez tous suivi les péripéties de la réforme dénommée Obama Care qui devait garantir un accès plus équitable aux soins de santé ou encore mon combat contre le surarmement de mes concitoyens.
L’espoir de briser ces tabous ne m’a jamais quitté et ne me quittera jamais. Mais, je dois à la vérité de reconnaitre que ce ne fut point une mince affaire. Des fils de citoyens américains sont tombés sous les balles d’autres Américains comme eux et reconnaissons-le, la communauté afro-américaine en a payé le plus lourd tribut.
Je pense à tous ces jeunes africains-américains comme Trevor Martin ou encore Michael Brown, tous deux tombés sous les balles de la police, provoquant des manifestions de la communauté noire dans des villes comme Chicago ou Ferguson. Ou encore cette fusillade contre des policiers blancs à Dallas, dont le présumé responsable disait, vouloir venger la mort de jeunes américains noirs, tous tués par des policiers blancs, qui sont le plus souvent blanchis par la justice de leurs Etats. Ces multiples morts avaient fini de mettre les communautés noires dans une colère indescriptible avec en toile de fond, le sentiment, d’être des citoyens de seconde zone.
Naturellement, ma position était l’une des plus délicates. Même si politiquement, moi je ne risquais plus rien, il m’était difficile de prendre une position tranchée. Celle que mes concitoyens noirs attendaient de moi. C’est aussi cela, l’une des nombreuses difficultés de la position du chef de l’exécutif américain.
L’Amérique c’est aussi cela. Ce melting-pot, cette diversité qui fait sa richesse, cette démocratie sociale qui offre les mêmes chances à presque tout le monde. Ce pays est un réceptacle des rêves les plus fous.
C’est aussi le pays où on peut se rendre compte du caractère relatif de bon nombre de choses. Ici, il est évident que rien n’est définitivement acquis. Tout peut s’obtenir à force de persévérance, mais tout peut également disparaitre si on n’y met pas le sérieux et le suivi nécessaires.
Des familles entières, disais-je, ont été confrontées à la dure réalité de la vie. C’est un fait. L’Amérique, telle que je le voulais ne m’a pas suivi. J’ai eu à proposer une forme de solidarité basée sur un système de réforme de plusieurs politiques sociales, principalement dans le domaine de la santé mais hélas, je n’ai pas eu l’accompagnement ou du moins l’adhésion totale voulue.
Alors, à l’image de certaines décisions prises, les réformes aussi ne peuvent pas plaire à tout le monde.
L’Amérique s’ouvre au reste du monde, ses enfants sont envoyés à travers le monde pour apporter soutien et formation à d’autres enfants du monde, promouvoir la paix, la sécurité, la santé, l’esprit d’entreprise et d’autres bonnes choses que nous avons finies de nous apporter à nous-mêmes. Mais elle doit aussi, cette Amérique se poser des questions sur le modèle que nous voulons léguer à nos propres enfants.
La violence, le manque de tolérance, le repli sur soi, sont entre autres tares que nous devons combattre. J’ai bon espoir, qu’un jour, l’Amérique acceptera, enfin, de faire sa propre introspection pour soigner de sa société, ces fléaux qui le gangrènent.
Déjà que l’Amérique paie par la vie et malheureusement de certains de ses soldats engagés dans des guerres contre le terrorisme à travers le monde. Tuer encore ses propres enfants sur l’autel d’un obscurantisme irresponsable, est un autre sacrifice que nous ne sommes assurément pas prêts de faire.
J’ai rencontré plusieurs familles d’américains au cours de ces années. Certaines d’entre elles ont été meurtries par la perte d’un proche et d’autres toutes joyeuses du fait du sacre d’un des leurs. Ainsi va la vie.
Des Américains se sont illustrés à travers des disciplines sportives, des œuvres sociales ou encore des prouesses inventives. C’est cela mon pays. Un pays qui offre une chance de réussite à tout le monde, un pays où seul le talent est reconnu mais aussi un pays avec ses problèmes de ségrégation. Il faut un tout pour construire un pays.
Si d’un côté, nous avons été adulés parce que nous avons voulu changer le cours des choses, d’un autre côté, nous avons été à peine acceptés faute de compréhension. Mais, il faut reconnaître à l’Amérique, sa volonté de rendre le monde meilleur. Adossés à nos valeurs qui sont naturellement relatives, nous Américains, notre idéal reste indiscutable; c’est un monde juste.
Je n’aurai jamais la prétention de vous avoir laissé un monde meilleur qu’en 2008 quand j’accédais au pouvoir, mais j’ai la certitude, mes collaborateurs et moi, d’avoir fait de notre mieux pour que la paix et la liberté ne soient pas de vains mots ou encore des slogans creux.
Je ne peux pas dire non plus avec assurance qu’au bout de toutes ces années à la tête de l’Amérique, que tout a été fait, mais je peux absolument vous dire avec certitude que rien n’a été plus noble et plus important à mes yeux que la charge de présider aux destinées de l’Amérique.
Je redeviendrai bientôt un citoyen simple, déchargé de tout ce protocole. Je serai un homme libre à côté de milliards d’hommes et de femmes comme moi, épris de paix et de justice. Ensemble, je voudrais que nous continuions à lutter pour promouvoir la bonne gouvernance, la paix, la sécurité, la démocratie et le bienêtre des plus démunis à travers le monde.
En tant que Président des Usa, je me suis efforcé à encourager des pays dans la voie de la démocratie, en redevenant citoyen simple, je compte m’investir davantage pour que ce combat continue.
Le jour où je quitterai mes fonctions pour entrer dans ma nouvelle vie, je le pense sincèrement, j’espère pouvoir dire : ce n’est pas si mal que ça… We do it but we can do better. Comme quoi, la construction d’un monde meilleur est une œuvre de longue haleine qui ne finit jamais. Bonne chance à mon successeur, bonne chance au monde.
M. Ousseynou Ndiaye, Journaliste-Communicant.
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