Le chef de l’Etat a visité en grande pompe les avions airbus A330 néo de la compagnie nationale Air Sénégal, en construction dans les ateliers de Lyon. Une visite de chantier au plus haut sommet, qui atteste de l’implication des autorités sénégalaises pour faire voler à tout prix Air Sénégal vers la France. «Il faut à tout prix qu’Air Sénégal vole sur Paris en février 2019», telle est l’obsession des autorités et de la Direction de la compagnie, qui a encore les ailes très fragiles.
Une précipitation qui risque de mener Air Sénégal dans la même impasse qui a perdu Sénégal Airlines. Déjà, les signes des problèmes qui ont eu raison des deux précédentes compagnies nationales sont visibles à Air Sénégal. Comment une si jeune et petite compagnie (6 mois d’activités), qui n’assure qu’un vol national (Dakar-Ziguinchor), soit 3 heures d’activités par jour, peut du jour au lendemain vouloir voler vers Paris ? Une compagnie qui a déjà du mal à recruter son personnel, à faire valider son code Iata et à développer sa politique commerciale encore embryonnaire. Ce n’est pas en acquérant deux avions que le tour est joué pour le vol sur Paris. Comment remplir ces avions ? Avec quel personnel vont-ils voler ? Des questions loin d’être simples, vu les incidences financières qui peuvent être en défaveur de la compagnie, selon les choix faits.
Équipage en leasing avec des coûts énormes
A défaut d’avoir ses propres pilotes et personnel technique, Air Sénégal a des équipages en leasing (location). Ce qui, pour les experts du secteur, coûte très cher à la compagnie, qui est loin d’être assise sur une manne financière pour se permettre certaines folies. Surtout que ce système de leasing risque de durer, si l’on sait que les pilotes ne courent pas les rues au Sénégal. Sur les 30 candidats au programme de sélection et de formation, seuls 2 seraient encore en course.
Comment une compagnie en gestation, et dont le système de vente de billets n’est même pas opérationnel, peut se lancer tête baissée dans le long courrier ? En réalité, le code Iata d’Air Sénégal, qui doit permettre d’identifier toutes ses opérations commerciales, est encore provisoire. Et par conséquent, il n’est pas actif dans le logiciel de réservation informatique de billets utilisé à travers le monde par les voyagistes. Il s’y ajoute que le système de représentation commerciale de la compagnie est nul en France, où ses avions doivent se poser en février prochain.
Une jeune compagnie qui dépense énormément pour des miettes de recettes
Si Air Sénégal qui a lancé ses opérations il y a 6 mois tient toujours, ce n’est pas à cause de ses performances. Avec un vol sur Ziguinchor, des avions sérieusement endommagés (l’un lors d’une collision avec un oiseau et l’autre lors d’intempéries) dont seul un a été réparé et fonctionnel, à ce jour, on n’a pas besoin qu’on nous fasse un dessin pour comprendre que l’équipe de Bohn ne fait pas bonne recette. Pire, le taux de remplissage sur Ziguinchor est très faible. Pour un aussi gros avion, il arrive qu’il n’y ait que 20 passagers, et parfois moins, sur l’axe Dakar-Ziguinchor-Dakar. Pendant ce temps, les dépenses sont énormes. Si la compagnie n’est pas mort-née, c’est parce que les autorités ont voulu en faire leur bébé personnel. Ce sont elles qui la font vivre, en mettant sur la table des dizaines de milliards de francs Cfa. Mais, malgré cela, la jeune compagnie n’est pas loin du danger. Son capital n’est toujours pas bouclé, du fait du retard du versement des 17 milliards restants par le ministère de l’Economie, des Finances et du Plan. D’ailleurs, cet impair a fait que la Société générale a été mise à contribution, pour payer 7 milliards de F Cfa à Airbus pour les deux A330-990 néo que le constructeur français doit livrer à la compagnie nationale.
Une alliance avec Air France pour se maintenir en vol
En fonçant tête baissée, les dirigeants de la compagnie, qui ont embarqué avec eux les autorités, pour ne pas aller droit au mûr sont en train de trouver une porte de sortie, en concoctant une alliance stratégique avec Air France. Un partenariat en négociations depuis plusieurs mois et qui devrait être annoncé officiellement durant le mois de novembre. Avec cet accord, Air France devrait «héberger» les vols d’Air Sénégal dans son terminal à Roissy et s’occuper de la représentation de la compagnie «verte-jaune-rouge» en France, à travers son réseau. De même les avions d’Air Sénégal devraient battre pavillon d’un autre pays européen, dépendant donc de l’Agence européenne de l’aviation civile. Cela pour donner plus de crédit à notre «inconnue» compagnie et rassurer les Européens et les Américains. Car, après Paris, Air Sénégal envisage de lancer une ligne sur les Etats-Unis.
Mais espérons que cette alliance ne soit pas comme celle de la défunte Sénégal Airlines avec Royal Air Maroc. Sans quoi, Macky Sall, qui ne rêve que de mettre ce premier vol Dakar-Paris de la compagnie nationale dans son bilan, sera tombé dans le même piège de la précipitation et du nationalisme aveugle que Wade.
Jotaay.net