La recrudescence des actes xénophobes notée en Afrique du Sud depuis quelques jours ne laisse personne indifférent. Le monde entier s’émeut de voir de tels actes inhumains, de la barbarie à l’état pur. Si l’on en est arrivé à des condamnations sans appel de la part de la communauté internationale c’est à juste raison parce qu’il s’agit de l’Afrique du Sud. Cette nation pour la liberté de laquelle toute une planète s’était levée pendant des décennies. Hélas, comme amnésique, le peuple sud-africain fait un voyage vers la case-départ. Et victime de l’apartheid, le voilà auteur d’actes xénophobes pour panser ses plaies socio-économiques.
En sacrifiant leurs vies pour la libération de la nation des joutes de l’apartheid, Nelson Mandela et ses amis ne s’attendaient pas à voir un pays où une partie du peuple est hostile à l’arrivée des étrangers. Ils ne s’y attendaient pas d’autant plus que ces gens venus d’ailleurs pour des raisons économiques avaient soutenu entièrement leur combat pour des raisons humanitaires. Le regain de violence à caractère xénophobe, ainsi constaté, nous présente un pays totalement aux antipodes de l’idéal de vie commune dont rêvaient les pères libérateurs.
L’Afrique du Sud, telle que rêvée par les libérateurs
Dans la vision de Mandela et alliés, la nation arc-en-ciel devrait renfermer non seulement toutes les sensibilités au sein de l’Afrique du Sud mais aussi celles de dehors. Tant que la dignité de l’homme était en jeu, comme c’est le cas aujourd’hui, les pères fondateurs de l’Afrique du Sud libre, portaient le combat et au prix de leurs vies. C’est la justesse de leur combat et la légitimité de leurs revendications qui leur ont valu le respect et l’estime de toutes parts. Libéré des goulots d’étranglement de l’apartheid, le pays était perçu par tous comme une seconde terre promise.
Aujourd’hui, on se rend compte que la fin de l’apartheid ne constitue pas en réalité la victoire finale de la lutte. D’ailleurs c’est ce que Madiba lui-même affirme à la fin de son livre, Un long chemin vers la liberté. Dans la toute dernière phrase de son autobiographie, Nelson Mandéla allègue: « avec la liberté viennent les responsabilités et je n’ose m’attarder car je ne suis pas arrivé au terme de mon long chemin ». En effet, les responsabilités dont le combattant en chef de la liberté parle peuvent être de tous ordres : politique, social, économique, sociétal, religieux, et j’en passe. Pourvu que les leaders politiques soient en mesure de les endosser avec tout le tact qu’il faut, il n’y a pas de raison que la nation ne prospère pas dans la paix et la cohésion.
C’est donc avec une désolation totale que l’on constate que ce pour quoi les Anciens ont remué ciel et terre est juste piétiné par les fils qui n’ont visiblement pas mérité qu’ils versassent leur sang. Combien de fois Nelson Mandela a-t-il été obligé de quitter les douceurs de son foyer pour la chaleur carcérale afin de libérer ce peuple ? De la clandestinité au procès de « haute trahison », sans compter les nombreuses fois où il est arrêté et jeté en prison comme un malpropre, lui et les libérateurs de l’Afrique du Sud n’ont pas accepté de payer le lourd tribut pour que leurs descendants viennent foutre tout en l’air. Les 27 ans de Mandela à la prison de Robben Island, ses 13 ans passés dans une carrière de chaux, méritent que plus jamais l’on n’associe à la violence le nom du pays pour lequel il a tout sacrifié pour venir à bout d’un système d’oppression vieux de 40 ans.
Lors de son discours d’investiture en tant que président de l’Afrique du Sud postapartheid, le 10 mai 1994, Nelson Mandela avait pourtant insisté sur les tares qu’ils ont combattues et qu’ils ne cesseront de combattre : « Nous avons enfin atteint notre émancipation politique. Nous nous engageons à libérer de notre peuple de la servitude, de la pauvreté, des privations, des souffrances, du sexisme et des autres discriminations. Que jamais, jamais, jamais plus, ce beau pays ne connaisse l’oppression d’un homme par un homme ». Selon lui, avec l’émancipation, une bataille est remportée mais cela ne signifie point que le défi est relevé. Autrement dit, à l’émancipation politique il faut greffer celle économique surtout pour mettre fin aux inégalités sociales et aux discriminations.
L’Afrique du Sud xénophobe, symbole de l’échec des politiques publiques
La xénophobie n’est pas chose nouvelle chez les Sud-Africains, elle semble y avoir élu domicile. En effet, les évènements notés depuis une semaine constituent la quatrième d’une série de violences à caractère xénophobes depuis plus d’une décennie. Par trois fois, le régime de Jacob Zuma a dû faire face à cette phobie de l’Autre en 2008, 2015 et 2017. Et à chaque fois, la colère des Sud-Africains s’exprime à travers les pillages des magasins tenus par des étrangers, le vol de leurs biens et parfois même le meurtre. Officiellement, le bilan présenté aujourd’hui par la présidence de la République sud-africaine fait état de 10 morts dont un étranger alors qu’en 2008 on en était à plus de 60 morts.
Les causes de cette barbarie, de ce regain de violence, sont à trouver dans les problèmes socio-économiques du pays. Le projet de société que voulurent bâtir les pères libérateurs s’est soldé par un échec total, avec un exécutif de moins en moins adulé et respecté. La faillite de l’Etat est quasi-certaine et la responsabilité des autorités largement constatée. Quoiqu’issu des rangs de l’African National Congress (ANC), les différents présidents depuis Thabo Mbéki n’ont plus ce charisme du leader vénéré et qui met en avant les intérêts de son peuple. Pendant ses 10 ans de règne, le président Jacob Zuma s’est surtout distingué par sa gestion opaque avec en toile de fond des scandales qui lui ont valu de la presse sud-africaine le surnom « Mister Scandal ».
C’est donc pour se rebeller contre leur « mal être » qu’une partie de ce peuple cherche refuge dans la violence. Pour ceux-ci, l’enfer c’est les autres. Ces autres qui ont tout laissé chez eux pour venir se faire un avenir dans un pays qui présente quand même des opportunités de travail enviables. Ces autres qui sont venus s’accaparer des minces opportunités de travail existantes. Mais aussi ces autres qui ont eu à s’indigner contre le système de l’apartheid, qui l’ont dénoncé et qui étaient prêts à mourir pour mettre fin à l’oppression de l’homme noir par l’homme blanc. Mais le problème qui se pose est qu’ils veulent prendre ces autres là pour souffre-douleur alors qu’ils ne sont pas la cause de leur malheur.
Un pays avancé, certes, mais avec des inégalités sociales accrues
En agissant de la sorte et en prenant les étrangers pour exutoire, les Sud-Africains sont malheureusement retournés à des décennies en arrière où l’oppression était monnaie courante. Le mal est le même, reproduit parfaitement, avec certes un petit changement dans la distribution des rôles. Bis repetita placent, l’opprimé est devenu oppresseur et commence à se complaire dans ses nouveaux habits. Cela n’est pas du goût de la communauté internationale et africaine qui expriment leur préoccupation face à cette situation extrêmement malheureuse. Il faut rappeler qu’en 2017, un conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine avait été tenu sur la demande du Nigéria pour mettre fin aux attaques et qu’aujourd’hui le Nigéria même, qui compte une forte présence de ces ressortissants dans ce pays, a décidé de rappeler son ambassadeur pour protester contre ces horreurs.
Pourtant, sur le plan économique l’Afrique du Sud présente un visage rayonnant malgré les nombreux scandales notés dans la gestion des affaires. C’est en effet fort de son économie que la nation arc-en-ciel se dispute avec le Nigéria la place de Champion dans le continent africain. Cependant si sa bonne santé peut être constatée à travers sa présence parmi les pays du BRICS et du G20, deux facteurs plombent son émergence : son taux de chômage élevé estimé à 27,1% en 2018 et son taux de pauvreté avec 55% qui vivent sous le seuil de pauvreté (estimation 2017). Voilà ce qui pourrait expliquer les scènes de violences notées ces derniers jours.
Les efforts entrepris par les différents régimes n’ont pu pas résoudre le problème des jeunes face aux difficultés sociales et économiques. Avec la corruption érigée en modus operandibeaucoup se sentent exclus des politiques publiques qui ne leur offrent plus aucune perspective. Se trouvant dans une situation socialement difficile, cette partie de la population, désemparée, voit la source de leur malheur dans la présence des émigrés africains. Voilà pourquoi ils s’attaquent à leurs lieux de travail et détruisent leurs biens, travail et bien derrière lesquels eux, Sud-Africains courent sans succès.
Par Ababacar Gaye/SeneNews