On ne nait pas émigré, on le devient.et émigrer c’est quitter un lieu A pour se rendre à un lieu B pour une raison ou une autre. A et B bien entendu représentant respectivement le pays d’origine et celui d’accueil .donc on peut en déduire aisément que chaque émigré a eu une vie antérieure à celle qu’il est en train de mener dans son pays d’accueil. Et qui dit vie sous-entend relations humaines .car comme le disait Marx dans sa onzième thèse sur Feuerbach « l’être humain n’est pas une abstraction inhérente à l’individu dans sa réalité il est l’ensemble de ses rapports sociaux » .donc ayant appartenu à une société, il est normal et naturel qu’il noue des rapports avec les autres. Parfois des amitiés solides voire des amours .mais quand soudain survint le voyage et ses corolaires, le désormais émigré se trouve du jour au lendemain confronté à d’autres réalités qui le plus souvent n’ont rien à voir avec celles qu’il a connues jusqu’ici. Il se trouve donc étranger à une nouvelle situation qu’il est obligé d’appréhender avec tact. Ses premiers mois le plus souvent sont rythmés par le stress de devoir franchir la barrière linguistique. Car la langue est l’outil sans laquelle il est quasi impossible d’entreprendre  quoi que ce soit dans son pays d’accueil. Dans la même foulée, c’est-à-dire au moment où le pauvre émigré fraichement débarqué se démène pour apprendre les trois ou quatre mots vitaux dans la langue d’arrivée, il est en train le plus souvent de susciter de vives inquiétudes, au niveau de son pays d’origine.  En effet peut être à tort ou à raison les parents et amis qu’il a laissés derrière sont en train d’interpréter le mutisme et le plus souvent, rares sont ceux qui chercheront à comprendre. Presque  tous mettront l’absence de communication dans le compte d’un changement de comportement. Et ainsi s’installe une crise au sein des rapports, crise qui, pourtant aurait pu être évitée avec un peu de patience .car le sénégalais qui débarque dans un pays étranger où le plus souvent la « lingua franca » est autre que le français a un double challenge .d’abord d’être en mesure de communiquer  ensuite de chercher à gagner son pain et éventuellement boucher les nombreux trous qu’il a laissés derrière, au pays. Et les   premiers mois comme tout début, s’annoncent difficile au point qu’il commence à douter de son choix et même à regretter d’avoir voyagè.si maintenant en plus de ce sentiment amer, il reçoit des diatribes de la part de gens qui devraient constituer un soutien. L’incompréhension s’installe et parfois de manière définitive.  Beaucoup de sénégalais de l’extérieur ont perdu des amis avec qui ils n’auraient jamais imaginé de rompre. Que de relations se sont détériorées à cause de préjugés et incompréhensions .et hélas l’autre resté au pays lâche son ami expatrié au moment où il avait plus que jamais besoin de lui.

Outre les amitiés qui s’effritent au fil des ans, beaucoup relations amoureuses ficelées depuis des années se sont écroulées comme des châteaux de carte toujours ou presque pour les mêmes raisons. 

Le sénégalais de l’extérieur demeure donc un sujet incompris et cette situation lui fait vivre un double chagrin .car il est suffisamment incompris, sous-estimé et maltraité par la communauté qui l’a accueilli qu’il manquera surement la force et les arguments pour convaincre ses parents et amis. Ses tentatives d’explication et de justification se heurtent alors à une bâtisse conçues de préjugés et de suppositions infondés.  au fil des ans les uns perdent des amis alors que les autres ne s’entendent plus du tout avec leur douce moitié avec qui pourtant il avaient ficelé des projets d’avenir alléchants.de toutes les façons c’aurait était acceptable si cela se limitait aux seuls amis et autres .mais quand la crise atterrit au sein de la cellule familiale cela devient grave. Elle franchit du coup le Rubicon  et  indispose l’émigré qui le plus souvent a choisi de s’expatrier dans l’espoir d’aider toute une famille. Il vit ainsi un chagrin au quotidien et, plus passent les années, plus il se résigne et décide de tourner une page importante de sa vie ,non parce qu’il a voulu mais parce qu’il n’a plus le choix on ne lui laisse aucune chance d’expliquer son attitude .   

Cependant si beaucoup d’entre nous n’ont aucune espèce de responsabilité dans ce qu’il en est advenu de nos relations avec  les autres, il n’en demeure pas moins que certains émigrés aient volontairement coupé  les ponts avec ceux qui ont participé de manière active dans leur  histoire. Histoire qui le plus souvent les dérange de sorte qu’ils finissent par se comporter à l’image du personnage de Ben Okri dans « FLOWERS AND SHADOWS » qui rejetait et refoulait tout qui dans son quotidien lui rappelait son vécu antérieur.

Réfléchissant à fond  sur l’émigration ,je n’ai  pu m’empêcher de me poser presque la même question que s’est posée le personnage de  Cheikh Amidou Kane dans « l’aventure ambiguë »  ,qui quand il s’est agi de discuter sur l’opportunité ou non d’envoyer leurs enfants à l’école des blancs ,dixit »ce qu’ils apprendront vaut il ce qu’ils oublieront » ; moi aussi je suis en train de me demander si ce que nous gagnons en émigrant vaut mieux que ce que nous sommes en train de perdre. Quand on sait ce que valent les parents et amis dans la vie de tout être humain.

                                    Malick Sakho   (BERGAMO,Italie).       

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