Manque d’électrification, faiblesse d’un personnel non qualifié, guéguerre dans la gestion. Ce sont les principales difficultés que traverse l’abattoir de Dahra, une ville réputée être une zone d’élevage par excellence, en raison de la diversité de son cheptel. En dépit de tous ces handicaps, cette infrastructure fait entrer des recettes.
Accéder aux locaux de l’abattoir de Dahra relève d’un véritable casse-tête. En ce dimanche, jour de marché hebdomadaire, la ville grouille déjà de monde. Il est 9h15, lorsque nous nous apprêtons à aller sur les lieux. Une aventure nous attend. Une fois monté sur le siège de la moto « Jakarta » qui nous conduit à destination, notre conducteur, un génie du guidon, emprunte une piste sinueuse, longue de 2km et parsemée d’obstacles, dans une fraîcheur indescriptible. Après près d’une dizaine de minutes de course, nous aperçûmes les toits en tôle de l’abattoir. Sur place, un silence de cathédrale se fait sentir, rompu par le chant des oiseaux et le bruissement du vent dans les branches. Les locaux de l’abattoir, peints en vert blanc, sont construits sur un périmètre de 35 mètres sur 15, dans un site de cinq hectares octroyé par la communauté rurale de Thiamène. Dans la grande cour, la décoration est toute autre. Des peaux de bovin séchées en plein air, des cornes et des déchets solides des animaux jonchent le sol. A ce décor peu reluisant, s’ajoutent les quelques charrettes immobilisées de part et d’autres des bâtiments. De l’autre côté, est implanté le parc de stabulation pour les bovins avant leur atterrissage au poste de saignée.
Après les salamalecs d’usage, le motif de notre visite est exposé. Amadou Ndongo, agent technique d’élevage et maître des lieux, nous accompagne à l’intérieur des coins et recoins de l’abattoir construit sous forme de hangar. Il a été inauguré en juillet 2008, par Cheikh Hadjibou Soumaré, à l’époque Premier ministre. Il est composé de plusieurs entités. Juste à l’entrée, à droite, se trouve la chambre froide, ayant une capacité de conservation très importante, mais non fonctionnelle du fait du manque d’électricité. Non loin de là, sont installés les bureaux des agents. Tout à fait de l’autre côté du hangar, sont implantés des compartiments dont certains sont réservés, pêle-mêle, aux opérations d’abattage et de dépeçage. Tandis que d’autres font office de lieu de découpage et d’étalage de la viande. Les déchets solides et liquides recouvrant la véranda du hangar dégagent une odeur nauséabonde. Des bouchers, engoncés dans leur tenue tachetée de sang et armés de sabre et autres accessoires, s’activent à maîtriser une bête pour l’égorger. Une véritable course contre la montre.
Ici, le travail se déroule à la chaine, les tâches sont divisées. De l’abattage au découpage de la carcasse en morceaux, c’est toute une procédure à respecter, non sans oublier les contrôles médicaux préalables que doit effectuer le vétérinaire sur l’animal. Ce dernier, après être égorgé, dépecé, éviscéré, passe au poste de fente pour être séparé en deux carcasses. Il est ensuite douché par jet d’eau. « Malgré le non fonctionnement normal des machines de l’abattoir, nous nous évertuerons pour que le travail puisse se passer dans de bonnes conditions d’hygiène », rassure Amadou Ndongo.
Une infrastructure d’un coût de plus de 200 millions de FCfa
Cette infrastructure, construite à plus de 200 millions de francs Cfa, peine toujours à décoller, en raison d’une panoplie de difficultés qui l’assaillent. Le problème majeur demeure l’absence d’électrification des locaux qui freine les élans. En dépit du matériel sophistiqué dont dispose cet abattoir, les employés continuent toujours à travailler, selon les techniques rudimentaires : à la main. « Si nous avions de l’électricité nous n’aurions même pas besoin de faire intervenir les bouchers dans certaines tâches », dit Amadou Ndongo, indiquant que cet abattoir est loin de fonctionner en plein régime. « Nous ne disposons pas d’équipements informatiques qui pourraient nous aider à une meilleure exécution de notre travail quotidien », se plaint-il. L’agent technique d’élevage affirme avoir soumis ce problème aux autorités compétentes et à d’autres partenaires, mais c’est toujours des promesses qu’on lui sert. Pour sa part, le premier adjoint au maire déclare que, lors d’un conseil interministériel décentralisé tenu à Louga, le ministre de l’Elevage, Aminata Mbengue Ndiaye, avait promis d’effectuer une visite aux abattoirs, dans le but de leur apporter son concours dans l’électrification. L’autre grande difficulté à laquelle est confrontée cette structure, c’est la faiblesse du personnel qui y officie. On a dénombré dix bouchers dont sept permanents et trois temporaires. Pis, personne d’entre eux n’a subi une formation en boucherie. « Ce sont des gens qui ont longtemps évolué dans l’informel, ils auront du mal à s’adapter aux techniques imposées par les services de l’abattoir », fait remarquer M. Ndongo. Il a également mis en exergue le manque de moyens techniques pour l’évacuation des déchets solides et liquides qui font partie du décor austère de cet abattoir. En lieu et place, les déchets sont incinérés dans un espace aménagé. Le dimanche, jour du marché hebdomadaire de Dahra, et le mois du ramadan constituent des périodes fastes, au cours desquelles l’abattoir enregistre ses plus grandes capacités de production, relève M. Ndongo. Mais avec, parfois, des variations. « Par exemple, le dimanche, nous abattons jusqu’à 15 bovins et une soixantaine de petits ruminants. Pour le ramadan ou autres grands évènements religieux, nous pouvons aller jusqu’à 200 petits ruminants et 25 bovins. Concernant les taxes sur les animaux, pour chaque carcasse de petits ruminants, son propriétaire paie 500 FCfa, et 1000 FCfa pour les bovins », explique M. Ndongo. Un montant que le responsable des lieux juge « modique », par rapport à l’effort fourni par les bouchers pour accomplir tout ce travail. « Les abattoirs ne sont pas là pour faire des bénéfices, mais juste pour assurer le minimum comme le paiement de son personnel et d’autres dépenses de fonctionnement », soutient M. Ndongo. Même si ce dernier estime que les recettes encaissées sont faibles, cependant, révèle Gallo Sow, président du Gie Professionnels du bétail et de la viande, en charge de la gestion de l’abattoir, l’infrastructure dispose d’un chiffres d’affaire de près de cinq millions de FCfa en banque. Une manne financière qui semble passer sous le nez des autorités municipales de Dahra, si l’on en croit le premier adjoint au maire, Ada Coumba Ndiaye. Il martèle que, depuis des années, le Gie qui gère l’exploitation de l’abattoir ne verse plus de redevance à la mairie. Les responsables de l’abattoir refusent toujours de continuer à s’acquitter de la redevance communale, alors qu’il y a la taxe de l’abattage qui est prévue par les textes de la mairie et sur lequel le conseil municipal a délibéré, justifie M. Ndiaye. Au départ, l’abattoir avait commencé à payer mais quelques temps après, il a arrêté, ajoute-t-il.
Discorde autour de la gestion de l’infrastructure
entre le Conseil régional de Louga, la commune de Dahra et le concours de la province italienne de Pise, l’abattoir de Dahra, construit avec une enveloppe d’un peu plus de 200 millions de FCfa, fait l’objet de vives polémique pour ce qui est de sa gestion. L’ « élaboration du projet s’était bien passée, par contre, dans la mise en œuvre, il y a eu quelques difficultés du fait qu’il y avait une incompréhension entre les promoteurs de l’abattoir et l’ancien maire de Dahra, Aly Saleh », a relevé Ada Coumba Ndiaye, premier adjoint au maire de Dahra. Selon lui, l’ex-édile avait souhaité l’implication de la municipalité dans la gestion de l’abattoir. Ce que les bailleurs avaient refusé, car, explique M. Ndiaye, ils voulaient que cette infrastructure soit entre les mains des professionnels évoluant dans le bétail et la viande. Selon Gallo Sow, président du Gie des professionnels du bétail et de la viande, la mairie voulait, dès le départ, accaparer la gestion de l’abattoir, ce que nous avons refusé ».
Ce Gie compte 85 membres, venus des 15 communautés rurales et des deux communes du département de Linguère. Revenant sur l’importance de l’installation de cette infrastructure, Amadou Ndongo, agent technique de l’élevage, indique que l’ancien abattoir était non seulement vétuste, mais aussi représentait une réelle menace pour les populations qui habitaient aux environs. Du fait du boom démographique et de l’extension des lieux d’habitation, il était nécessaire de chercher un autre lieu plus adéquat. Sur un autre registre, M. Ndongo estime que cet abattoir permettra de faire face au récurrent problème du vol de bétail et à l’abattage clandestin.
Abdou DIAW