Depuis son accession à la souveraineté internationale, le Sénégal a entrepris une politique de décentralisation administrative dont le dernier acte, appelé «Acte III» par le gouvernement de Macky Sall sera mis en œuvre après les élections locales de juin 2014.
Pour l’histoire, il faut rappeler avec Jean Claude Gautron et Michel Rougevin Baville dans leur manuel de «Droit Public au Sénégal», Editions A. Pedone 1970, que «le premier mouvement de décentralisation est très ancien au Sénégal. Le premier maire de Saint Louis fut nommé en 1778» Les communes de Saint Louis et de Gorée furent créées en 1872 et celles de Rufisque et de Dakar verront le jour respectivement en 1880 et 1887.
L’indépendance acquise en 1960, le Sénégal entame une réforme de son organisation administrative par des études réalisées sous la direction du père Lebret.
Depuis, la tendance est à la décentralisation ou à la déconcentration autour de régions, de départements, de communes et de communautés rurales. Les réformes les plus marquantes auront été celles de 1972 et de 1996. Nul besoin de s’appesantir sur leur contenu et leurs objectifs.
Ce mouvement, accompagné par une administration centrale plus ou moins bien organisée, et des institutions à un niveau supérieur stables, fait penser que le Sénégal n’a pas de problème d’institutions.
En ce qui concerne l’administration territoriale, cette assertion du professeur Alain Bockel, dans son manuel de «Droit Administratif du Sénégal», Nouvelles éditions africaines, 1978, bat en brèche une telle idée et pourrait en même temps illustrer les développements qui vont suivre. En effet, écrit l’éminent spécialiste de droit administratif, «L’inefficacité de l’administration territoriale paralyse l’Etat, enfermé dans ses ministères, d’où le souci constant d’améliorer cet appareil qui se traduit par de fréquentes reformes.»
Aussi, nous pouvons penser que l’Acte III de la décentralisation risque de n’être qu’une reforme de plus, aussi inefficace que celles qui l’ont précédée.
C’est avoir une vue courte et une conception réductrice des institutions que de penser que leur rôle essentiel est d’organiser des élections jugées transparentes, d’assurer la consolidation de la démocratie et la stabilité du pays. Un Etat peut réunir toutes ces conditions et ne pas se développer.
La vision doit aller au-delà. Les institutions doivent être conçues comme support d’un développement économique, social et culturel équilibré. L’équilibre ne voulant pas dire égalité, mais plutôt prise en charge des problèmes essentiels et des besoins exprimés par les différentes circonscriptions.
L’on était en droit de s’attendre à ce que la Commission nationale de réforme des institutions s’inscrivît dans cette perspective, en se référant à notre fonds culturel. Dans la partie «élément diagnostic» de son rapport, elle dit pourtant ceci : «On constate une tendance à l’instrumentalisation de la religion et de l’Etat pour des intérêts personnels ; les citoyens tendent également à un recours abusif à l’Etat providence.» Mais la commission ne semble pas en tirer les conséquences que l’on pouvait attendre.
Il est constant que la forme d’organisation institutionnelle de notre pays n’est qu’une pâle copie de celle de l’ancienne puissance coloniale.
Nous n’avons pas fait l’effort d’imagination nécessaire pour créer des institutions et une organisation administrative qui intègrent notre sociologie, notre histoire, notre culture et nos systèmes éducatifs.
Aux plans sociologique, culturel et éducatif, il apparaît que le Sénégal repose sur six composantes essentielles.
– Les citoyens formés à l’école occidentale ;
– Les citoyens formés dans les daara et les pays arabes ;
– Les paysans, cultivateurs, éleveurs et pécheurs ;
– Les femmes ;
– Les jeunes ;
– Le secteur informel.
Mais dans la trame d’organisation des institutions et de l’administration, ceux qui sont formés à l’école occidentale et qui constituent une minorité, accaparent l’essentiel de l’appareil d’Etat. Les autres composantes en sont pratiquement exclues. Notre imaginaire collectif veut que seuls ceux qui sont formés à l’école occidentale soient dotés de capacités et pensées de développement pour traiter des affaires de l’Etat. Pourtant, c’est une évidence, le développement, c’est l’affaire de tous et non d’une classe quelle qu’elle puisse être. C’est en cela que cette formule choc des autres composantes pour qui on prétend penser le développement, sonne comme une diffuse mais ferme remise en cause d’un système que veut perpétuer une classe qui pêche par excès de narcissisme : «Gisuma si sama bopp» ; traduisez : «Je ne me reconnais pas dans ce que fait la classe dirigeante».
Or, il est quasi impossible de développer un pays à un rythme soutenu et rapide si la majorité de la population ne se reconnaît pas dans ses institutions. C’est en cela que nous affirmons que le premier problème du Sénégal à régler est un problème institutionnel. L’exemple du Conseil économique et social (devenu Cese) me sert de référence.
Pendant dix années que j’ai siégé dans le gouvernement, c’est rarement que des instructions ont été données pour l’exploitation des rapports du Conseil économique et Social. Il paraît qu’il en était ainsi sous les régimes des Présidents Senghor et Abdou Diouf. Et pourtant le Conseil économique et social engloutit chaque année des milliards de francs du contribuable sénégalais.
Aussi, nous pensons que pour un Sénégal nouveau, qui marche à pas accélérés vers le progrès, il faudrait d’abord des institutions dans lesquelles les différentes composantes de la société se reconnaissent.
Il s’agira de créer, pour ces composantes porteuses d’idées et de pensées de développement, des espaces institutionnels où elles pourront se retrouver, donner leurs avis et participer à la mise en œuvre des décisions majeures pour l’émergence et le progrès de leur pays.
En tout état de cause, le Conseil économique, social et environnemental devrait être supprimé et le nombre de députés sensiblement réduit.
Il sera crée un Conseil supérieur religieux auprès du président de la République, constitué essentiellement par des représentants des différents foyers religieux musulmans et chrétiens.
Ce Conseil directement rattaché au président de la République émettra des avis consultatifs sur les questions qu’il lui soumettra et pourra aussi s’autosaisir.
Le mode de désignation de ses membres ainsi que son organisation feront l’objet d’un décret.
A la place du Conseil économique, social et environnemental, une Assemblée des Conseillers de la Nation sera instituée. Elle sera essentiellement composée des représentants des paysans, des éleveurs, des pêcheurs, du secteur informel et des femmes.
Ce conseil fera partie des institutions de l’Etat. Sa composition, son organisation et son mode de fonctionnement feront l’objet d’une loi.
Le Conseil national de la jeunesse sera remplacé par l’Assemblée des jeunes conseillers de la République. Elle sera composée par les représentants des différentes organisations de jeunesse.
Entre autres missions, elle devra œuvrer pour ancrer et perpétuer les valeurs républicaines au sein de la jeunesse.
Son organisation et son mode de fonctionnement se feront par décret.
Les membres de ces institutions seront rémunérés selon le système des jetons de présence. Une partie de leur budget proviendra des salaires et autres avantages des postes budgétaires supprimés à l’Assemblée nationale.
Gouverner, c’est parfois prendre des mesures impopulaires. Mais souvent, les mesures ne sont perçues comme impopulaires que quand les institutions qui les prennent excluent la grande majorité dans leur conception, leur formulation et leur mise en œuvre.
Toutefois, le changement de paradigme, loin de devoir s’arrêter au niveau central, doit se prolonger par un maillage (je n’ai pas dit maquillage) organisationnel décentralisé et déconcentré. Pour cela, la suppression des régions par l’actuel gouvernement me semble une aberration. Il faudrait plutôt maintenir les régions ou les réduire et ensuite supprimer les départements et les conseils départementaux. La politique de communalisation universelle rend superfétatoires ces dernières collectivités.
En conséquence, il faudrait créer des régions économiquement viables et placer à leur tête des ministres délégués auprès du Premier ministre, chargés de leur développement. En même temps, un ou des ministres chargés du développement de la banlieue ou des banlieues seraient créés en fonction du découpage administratif qui serait retenu.
Le budget d’investissement, sous l’arbitrage du président de la République serait réparti en fonction de projets et programmes présentés par ces ministres délégués qui participeraient aux conseils des ministres deux fois par mois, en raison de l’éloignement de certaines régions.
Ainsi, les populations au niveau local, informées des projets et programmes de leurs régions pourraient exercer un contrôle sur leur mise en œuvre et le président de la République pourrait suivre de façon plus efficiente le travail de ses ministres.
Il s’y ajoute, qu’une telle formule induirait une réduction du nombre de ministres pleins et partant, du train de vie de l’Etat.
Les gouvernances pourraient être supprimées et les gouverneurs nommés ministres délégués des régions pour éviter toute politisation de la fonction.
Pour «boucler la boucle», le président de la République devrait avoir des résidences secondaires sommaires dans certaines régions périphériques telles que Saint Louis, Matam, Ziguinchor, Bakel et Kédougou.
A Saint Louis il s’agira tout juste de rénover l’ancien palais du gouverneur de l’Aof.
Le président de la République séjournera périodiquement dans ces résidences en y recevant au besoin certains de ses hôtes étrangers, particulièrement des investisseurs.
Une telle politique devrait favoriser l’équilibre dans les investissements et faire comprendre aux Sénégalais qu’ils sont d’égale dignité vis-à-vis de nos institutions, quel que soit leur lieu d’habitation.
Ce seraient là les premiers pas vers un Sénégal nouveau et de bonheur partagé.
HABIB SY
Président du mouvement «Vision pour un Sénégal nouveau»
«Yeesal Sénégal»
Membre du Comité directeur du Pds