S’il existe un compagnon de la première heure de Serigne Abass dont les conseils et l’assistance constante ont été toujours utiles à ce dernier, c’est bien Serigne Cheikh Tidiane Wade, mieux connu sous le nom de Pape Cheikh Wade.
Cousin de Mara de par son père Serigne Lamine Wade, lui-même fils de El Hadji Ahmadou Wade, il est charismatique pour avoir été imam pendant quarante ans (années d’imâmats ratib et principal inclus) dans la zawiya-mère faisant face à sa demeure. Son imâmat, il l’a rempli, et brillamment. Par non seulement la maîtrise des sciences islamiques apprises au côté de son oncle Serigne Dame Wade et le défrichage authentique des leviers de jurisprudence, mais aussi et surtout par la ponctualité à diriger la prière et à divulguer incessamment la bonne parole. Oui ! Cet érudit observait une ponctualité déroutante dans son rôle. Pour avoir une idée de cela, illustration ne peut être plus frappante que ce témoignage de Cheikh Tidiane Gaye sur celui qui avait toujours préféré d’habiter prés d’une mosquée et qui a pu réaliser ce vœu. En effet, un jour de Louga, à la surprise de tous, Serigne Cheikh manqua à la prière de soubh sans que son absence ne fût préalablement annoncée. Les fidèles furent gagnés par une inquiétude atroce : c’est la première fois que Imam s’absente sans aviser. Dans l’esprit de tous, toujours selon Cheikh Tidiane Gaye, c’est le pire qui régnait. Mais quelques minutes plus tard, l’affaire fut tirée au clair : il affirma avoir souffert d’une insomnie qui ne l’a quittée que tardivement. « Voilà bien ce qui pouvait retenir Imam ! », disait la mosquée. « Voici quelqu’un qui ne s’absentait de la mosquée qu’en cas de maladie ou de voyage ». Ce témoignage de Oustaz Djibril Gaye à l’endroit de Imam El Hadji Lamine Wade de Saint-Louis n’est-il pas aussi légitime pour son collègue de Louga ? Ainsi, parmi les rares voyages d’absence de celui qui a reçu le wird des mains de Mara, on citera sûrement celui de son pèlerinage à La Mecque en 1985.
Soucieux de se nourrir légalement et d’en faire autant pour sa famille, il suivait à la lettre la recommandation de son guide consistant à conseiller à ses fidèles de « veiller scrupuleusement à l’acquisition licite des moyens de subsistance ». Pour preuve, écoutons ce que Pape Cheikh avait dit à un de ses visiteurs du soir qu’il avait invité à diner, et qui s’empressait de rentrer : « Je doute fort que tu puisses manger un couscous plus licite que le mien qui est des plus sains, car le mil comme l’arachide ont été cultivés dans mes champs ». Par le rappel ému de cet acte, l’honnêteté de cet homme de Dieu à la connexion divine manifeste est bien saisie.
Référence morale de qualité, il conseillait dans le sens du meilleur au plus fort de chacun des embarras que subissait son guide. « Je ne pourrais remercier Serigne Cheikh Wade jamais assez, car il est de ses conseils qui m’ont beaucoup sorti de situations désavantageuses », reconnaissait ainsi Serigne Abass à propos de la sagesse de son Moqadem, l’un des premiers fidèles auquel il a affilié à la voie tidiane.
Toute âme goutera à la mort. L’après-midi du 31 décembre 1999, alors que l’année amorçait sa courbe finale pour donner le relais aux premières lueurs du troisième millénaire, Serigne Cheikh quitte ce monde qui l’accueillit en 1914. Ce jour, saint pour être un vendredi, dégageait une tranquillité hors norme, comme pour rendre hommage à un homme doux et dont l’amabilité servait à tous ceux qui l’ont connu. Il fut enterré le jour suivant dans les cimetières de Nguick, son village de naissance où sa sépulture est très fréquentée, surtout aux moments de la Ziaara. Ce fils de Sokhna Ndiaya Diop, enseignant de la première heure pour avoir ouvert un grand "Daara" à son domicile, est parti certes, mais son œuvre résonnera partout, encore et encore. Cette œuvre ô combien riche retentira au plus loin comme ses appels à la prière du temps de sa jeunesse, quand sa voix impressionnante de muezzin sans micro s’entendait jusqu’aux villages environnants de Louga.
Mansour Gaye