Malgré l’implication sincère de toutes les forces vives de la nation dans ce combat contre le Covid-19, des questions ne manquent pas de se poser quant à la stratégie adoptée par les autorités étatiques. Des décisions récentes, pour répondre au caractère de l’urgence dans laquelle les populations sont confinées sur le plan alimentaire, ont découlé des polémiques de toutes sortes sapant même l’unité longtemps constatée au sein du Front anti-Coronavirus. Les démons de la division resurgissent certes mais ce débat a toute sa pertinence parce qu’il ne faudrait pas nous faire croire que l’aide d’urgence ne peut pas être adossée à la transparence, pilier fondamental dans un Etat de droit. S’il nous faut choisir l’un ou l’autre, alors nous choisirons en toute responsabilité l’un et l’autre.
L’urgence de sauver des vies, peut-elle s’accommoder à toutes les lourdeurs qu’exigerait la transparence dans une situation telle que celle que nous vivons ? Voilà où se situe tout le débat sur le marché du riz confié au ministère de l’Equité sociale ; ce qui n’aurait pas été le cas en temps normal. En vérité, entre la transparence dans le procédé et l’urgence dans l’action- même si on parle de sauver des vies- on ne devrait pas être amené à choisir. La vérité est que l’un n’exclut pas forcément l’autre, pour ceux désireux d’y sacrifier convenablement.
Prendre la pleine mesure de l’urgence
Pour éviter que la distribution de l’aide alimentaire n’ait un effet de boomerang contre le gouvernement, il faut vraiment que cela se fasse avec toute la transparence requise. Transparence non pas en amont seulement, c’est-à-dire sur l’octroi du marché qui est déjà fait, mais en aval, au niveau de la population. Les ménages destinataires de cette aide d’urgence sous les charbons ardents pour entrer en possession de l’aide, pressés qu’ils sont par une conjoncture difficile. Pour eux, peu importe si le marché est octroyé dans les règles de l’art, la transparence à laquelle ils accordent plus d’intérêt c’est bien celle qui doit accompagner la distribution des vivres aux ayants-droits. N’est-ce pas, un homme qui se noie s’accrocherait à une paille.
Le monde rural, regroupant l’essentiel des personnes bénéficiaires, ne peut pas se payer le luxe de disserter sur le procédé d’octroi du marché du riz. Ce n’est pas parce qu’ils ne s’intéressent pas à la gestion des ressources du pays, mais c’est plutôt parce que la priorité c’est d’avoir de quoi se mettre sous la dent. Voilà d’ailleurs un débat dont la loi d’habilitation votée pour le président Sall en mars dernier ôte visiblement tout le sens. Dans un village comme Malla, région de Louga, lointain de Dakar de plus de 300 kms ou Boinadji, région de Matam, distant de la capitale de près de 700 kms, il faut vraiment se rendre compte que l’urgence est à la réception des denrées dans un moment où des hausses indues sont notées sur le prix de certains produits. Pour ces gens, dont le sort est partagé par l’écrasante majorité de la population, le maitre mot c’est de survivre à la famine d’abord comme l’a semblé dire Idrissa Seck lors de sa sortie d’audience avec le président Sall : « l’eau qui est destinée à éteindre le feu n’a pas besoin d’être filtrée ». Il faut agir avec toute l’urgence requise.
Transparence dans la distribution
Le ministère en charge de la distribution de l’aide alimentaire a estimé le nombre de ménages éligibles pour ce programme à 1 million. Mais ce qui est difficile à réaliser, c’est non la statistique des personnes concernées mais la stratégie pour arriver jusqu’à elles sans qu’un quelconque détournement ne soit orchestré par les politiciens et hommes d’influence véreux. Depuis quelques jours, des cris d’alerte fusent de partout, des administrés soupçonnant leurs maires de politiser le recensement en exigeant des pièces d’identité pour l’enrôlement des concernés.
Il ne faut surtout pas que l’état d’urgence serve de prétexte à une catégorie pour s’enrichir au détriment d’une fraction importante de la population. Le régime d’état d’urgence, n’est pas un régime de non-Etat, ou bien celui dont des capitalistes devraient profiter pour faire fructifier leur business comme le décrit Jean Ziegler dans l’Empire de la Honte: « au nom de la guerre économique, qu’ils déclarent eux-mêmes, en permanence à leurs possibles concurrents, ils décrètent l’état d’urgence. Ils installent un régime d’exception, qui déroge à la morale commune; et ils suspendent, parfois peut-être à contrecœur,les droits humains fondamentaux (pourtant avalisés par toutes les nations de la terre), les règles morales (pourtant affirmées en démocratie), les sentiments ordinaires (qu’ils ne pratiquent plus qu’en famille ou en ami) ».
Des Parcelles Assainies à Ourossogui en passant par d’autres collectivités locales, des voix s’élèvent pour décrier la démarche des maires et appeler à la transparence. Or, ce processus de sauvetage de certains ménages- pour beaucoup il s’agit d’une question de vie ou de mort- devrait être accompagné de toute la rigueur et l’équité requises. Il ne s’agit pas là d’un don qui doit servir à satisfaire les caprices d’hommes politiques en perte de vitesse mais plutôt d’une obligation envers les contribuables qui n’ont cessé de financer les politiques de l’Etat. Etant entendu qu’il est critiqué de partout avant même la mise en œuvre de l’aide d’urgence, le ministre Mansour Faye doit faire sien le défi d’organiser une distribution sans failles, juste et équitable même s’il donne des gages qu’aucun centime ne sera détourné.
Déjouer les démons de la division pour ne pas perdre le combat de la mobilisation
Depuis quelques jours, le Sénégal est entré dans la phase la plus critique de son combat contre le Covid-19. A la date de ce jour, lundi 20 avril, le pays compte 5 décès liés au coronavirus. C’est donc au moment où l’union des pensées et actions devient une nécessité que des soupçons de deals pèsent sur les épaules des autorités. Sur France24, le président Sall a minimisé le débat qu’il considère comme de la pure gnognote à côté des priorités liées à la prise en charge de la maladie. Pourtant, une dose de transparence aiderait bien le régime à garder la mobilisation intacte parce qu’elle permettrait l’implication de chacun, sur le plan humain, matériel et financier. Il ne faudrait pas qu’à la question de l’urgence de sauver les couches défavorisées vient se greffer le manque de transparence et d’équité dans la répartition des produits alimentaires.
Au moment où les robinets sont coupés aux Sénégalais de petites bourses, du secteur informel pour la plupart, distribuer des vivres apparait comme une obligation à satisfaire avec rapidité et transparence. Cette lutte contre le Covid-19 exige de la résilience de la part de tous, mais il ne faut pas demander à la population d’encaisser plus qu’il ne faut de coups, avec l’obligation de port de masques, l’élargissement du couvre-feu, mais surtout avec le Ramadan qui se profile à l’horizon et son lot d’exigences.
Tout doit être mis en œuvre pour que la faim ne s’empare pas de la population, de façon définitive. Quel que optimistes que nous désirerions rester, il faut se rendre compte que le sentier est quasi-entier quant à la provision rapide et juste des populations en nourriture. Si des gens s’interposent pour s’accaparer de tout, tels des charognards affamés, cela nous mènera à coup sûr dans une situation similaire à celle qui prévaut en Afrique du Sud où des commerces ont été vandalisés parce que tout simplement les populations de la banlieue de Mitchells Plain ont eu faim à cause du confinement. Il est alors de notre devoir de préserver la justice sociale, condition sine qua non de l’existence d’un Etat de droit, puisque « la liberté d=ne peut s’exercer que par des hommes à l’abri du besoin »(Saint-Just).
Par Ababacar Gaye/SeneNews