Voilà exactement 10 jours que Saint-Louis est resté orphelin de son ambassadeur et grand aimant. Toute sa vie durant, Alioune Badara Diagne Golbert ne se sera fixé qu’une seule mission: s’activer pour l’intérêt exclusif de la ville qu’il chérissait tant et dont il était si fier. Portant humblement et magistralement la voix de la ville tricentenaire, l’homme n’aura pratiquement vécu que pour occuper la plus haute marche du podium des amoureux de la cité de Mame Coumba Mbang. Une perle rare au cœur de Saint-Louis !
Saint-Louis, au cœur ! Préférant son identité de « doomu Ndar » à toute autre chose, El Hadji Alioune Badara Diagne Golbert ne cachera pas son amour immensément profond envers cette ville-mère. Partant, il exprimait une attention particulière à son mieux-être et à celui de ses fils, sans distinction de religions, d’ethnies, de partis ou de confessions. Hormis sa religion qu’il pratiquait en toute orthodoxie, il est particulièrement impossible pour les Saint-Louisiens de dire exactement à quel groupe politique ou à quelle voie soufie l’homme appartenait. Golbert vivait pour tous, et tous vivaient pour lui, au nom de Saint-Louis, le seul dénominateur commun qui vaille d’être cherché.
Promoteur de l’identité de Saint-Louis
Bien que Saint-Louis soit une localité majoritairement dominée par les Wolofs, elle reste une ville à identité particulièrement remarquable. Dans son rôle de comédien leader de la troupe théâtrale « Baara Yegoo », en compagnie de ses camarades, Golbert faisait la promotion de Saint-Louis tant sur le plan sociolinguistique que sur le plan culturel. Après « Daaray Kocc », la troupe « Baara Yegoo » aura longtemps porté le flambeau du théâtre sénégalais, notamment dans les années 1990. Bien inspirées dans la thématique, les différentes pièces de ladite troupe mettaient en avant ce que Saint-Louis a de plus beau : le parler, le paraître et le savoir être.
Grand acteur de l’audiovisuel, avec la mise sur pied de sa station radio locale, l’archétype des comédiens de Saint-Louis continuera dans sa logique de vendre sa ville. Sa seule émission qu’il y animait (bien qu’il fût grand journaliste), « Ndar ragn », à la mi-journée, servait de tribune aux populations pour porter leurs doléances aux autorités locales. Par la magie de son verbe, cet ambassadeur de la ville parvenait à satisfaire toutes les réclamations comme s’il était investi d’une mission politique. Golbert n’était ni maire ni gouverneur, mais il bénéficiait d’une influence et d’une aura dont personne ne saurait jouir à Saint-Louis. Parallèlement aux réclamations d’ordre politique et culturel, l’homme ne se lassait de défendre sa localité du point de vue sociolinguistique. Il s’insurgeait complètement contre la disparition du parler saint-louisien, un des critères de reconnaissance des fils de la cité.
Pour ce grand amoureux de Ndar, le langage typiquement saint-louisien devrait être jalousement préservé et ne devrait pas être mâté ou même fondu dans un jargon emprunté ailleurs. Par ailleurs, avec sa radio, il jouera un rôle de premier plan dans l’organisation des évènements de la cité tels que le festival de Jazz, le « Fanal » en chaque fin d’année, et les régates pour ne citer que ceux-là.
Une dévotion sincère à la religion
L’évocation du nom de Saint-Louis fait penser directement au pont Faidherbe, à Mame Coumba Bang et à Golbert Diagne ; ils en demeurent les symboles vivants. Si El Hadji Alioune Badara Diagne a pu se hisser à ce niveau, c’est grâce notamment à son militantisme culturel mais aussi et surtout religieux. Sur ce dernier plan, depuis la création de sa radio « Téranga Fm », l’homme consacrait un grand nombre d’émissions à l’islam et ses enseignements. Ces programmes n’étaient pas diffusés que les vendredis, mais plutôt chaque matin et certains jours de la semaine. Aussi, la diffusion en permanence du wazifa (zikr tidiane) vespéral, à la tombée de la nuit, compte-t-elle parmi les œuvres valeureuses de son vécu.
Sachant profiter de l’écoute dont il bénéficiait de la part de tout Saint-Louis, El Hadji Alioune Badara Diagne va initier des journées de récital de coran annuel pour le repos en paix des morts de la ville. Depuis 1997, cet évènement cultuel, tenu aux premiers dimanches de chaque mois de Ramadan, a fini par être une cérémonie phare de l’agenda religieux de la ville. Des dizaines de « kaamiil » sont ainsi récités respectivement pour les cimetières de Thiaka Ndiaye et de Marmiyal, grâce à cet homme dont les non-fils de Saint-Louis ne retiennent que sa maitrise de l’art de la comédie. A l’occasion de cet évènement, tous les daaras de la ville ou presque répondaient à l’appel de ce grand allié des écoles coraniques. Cette initiative est d’autant plus salutaire que Golbert lui refusait toute politisation afin de la maintenir pure et saine.
Enterré dans l’intimité, il avait pourtant choisi autrement
Il a vécu heureux, et a certainement rendu l’âme heureux avec l’esprit tranquille d’une mission accomplie. La nouvelle de son décès, le 3 avril dernier, a laissé tout un peuple orphelin. Sa disparition est d’autant plus pénible qu’elle intervient au moment où les rassemblements sont interdits dans toute l’étendue du territoire. La survenance du décès coïncidant avec un vendredi, jour saint, ne peut pas effacer le goût d’un devoir manqué à l’endroit de Golbert Diagne.
A la fin de chaque émission qu’il animait, Golbert aimait exhorter les populations à venir en masse l’accompagner à sa dernière demeure quand ils entendront la nouvelle de sa disparition. Il insistait tellement sur ce point que n’importe qui pouvait prendre cela pour des adieux. L’homme justifiait cette insistance en ces termes : « si vous êtes nombreux à mon enterrement, il n’y a pas de doute que Dieu exaucera les prières et m’accordera son pardon ». Tel était son vœu le plus cher mais, hélas, il ne l’aura pas.
L’enterrer dans l’intimité, à cause du Covid-19, ne peut donc que créer un sentiment de devoir manqué à l’endroit de celui qui a tout donné à ses concitoyens. Non seulement le coronavirus privera Saint-Louis de ce privilège d’accompagner son digne fils, mais aussi il risque fort bien de ne pas lui faire bénéficier des récitals de coran qu’il organisait régulièrement à chaque mois béni de Ramadan.
Même si ce legs, si important de son vécu, lui survivra, le premier qui devrait se tenir après le décès de son promoteur ne se fera pas visiblement. Encore un rendez-vous manqué pour Saint-Louis, aussi bien pour les vivants que pour les morts, destinataires de ces prières. Mais compte tenu de toutes ses bonnes œuvres qui démontrent un altruisme sans limites, El Hadji Alioune Badara Diagne Golbert mérite, après que le covid-19 sera sorti de nos vies, des hommages vibrants à la hauteur de son dévouement.
Par Ababacar Gaye/SeneNews