A l’image des autres secteurs clé de la vie socio-économique, le secteur de l’agriculture est atteint au cœur à cause de la pandémie du Covid-19. De ce fait, les pays qui, comme le nôtre, dépendent de l’importation pour l’essentiel de ses vivres, pourraient se retrouver sous l’œil du cyclone si la crise perdurait. Parmi les leçons qu’il faut tirer de cette pandémie, celle d’œuvrer prestement pour une agriculture assez forte pour s’assurer une autosuffisance alimentaire, une autonomie dans le secteur de l’agroalimentaire. L’émergence du Sénégal passe nécessairement par une agriculture forte bâtie principalement par les populations locales.

A l’annonce du confinement ou de l’état d’urgence, le premier réflexe chez bon nombre de citoyens du monde fut de se ravitailler à suffisance afin de ne prendre aucun risque de finir affamés. Ce rush constaté partout aura comme principale conséquence les ruptures de stocks dans des supermarchés et hypermarchés. Les rayons de la plupart des commerces se sont vidés en un temps record, ne pouvant tenir face à l’insatiabilité d’une population laissée perplexe par la situation de pandémie qui était partie pour durer en l’absence de vaccin. Le Sénégal ne fit pas office d’exception, car les fortunés se seront rués vers les boutiques et autres magasins pour se mettre à l’abri de tout besoin alimentaire.

L’agroalimentaire et l’agrobusiness pour atteindre l’autosuffisance alimentaire

Sans un secteur agricole fort, aucun Etat ne peut aspirer à une indépendance absolue. L’agroalimentaire est devenu en quelque sorte un domaine de souveraineté pour les grandes puissances. Même s’il leur arrive d’’importer des produits destinés à l’alimentation, les pays alimentairement souverains parviennent à produire l’essentiel de ce qu’ils consomment tout en consommant l’essentiel de ce qu’ils produisent. Au Sénégal, par contre, c’est la courbe inversée : on produit pour exporter et importe pour consommer. Cette attitude est surtout visible dans la consommation des produits tels que le riz, l’huile (alors que l’on vend l’arachide aux Chinois), le sucre aussi quoique la Compagnie sucrière sénégalaise (Css) produise une quantité pour la consommation locale. Si en France, l’agroalimentaire constitue le premier secteur industriel avec un chiffre d’affaire de 180 milliards d’euros, aux Etats-Unis, on constate une surproduction qui conduit à un « gaspillage alimentaire » faisant état de 150 000 tonnes par jour en 2018.

Au mois de février dernierle directeur général de l’Agence sénégalaise pour la promotion des exportations (Asepex), Me Malick Diop, assurait que le Sénégal était en train de faire d’énormes progrès avec « une croissance de 18,9% en 2019 ». Ce qui représente 1985,1 milliards de francs CFA. Mais le fait est que la balance commerciale est toujours déficitaire puisque le pays importe plus qu’il n’exporte. Ce déficit de la balance commerciale montre qu’il y a encore du chemin à faire pour assumer notre souveraineté surtout sur le plan agroalimentaire. Il faut surtout que l’Etat se donne les moyens d’une politique agricole performante en  investissant davantage dans le secteur. L’agriculture doit être intégralement modernisée, tout comme les industries de transformation des produits agricoles, pour que les objectifs d’autosuffisance alimentaire soient atteints. Parce que la dépendance de la culture hivernale dans la plupart des contrées, et qui se solde par des échecs répétitifs depuis quelques années, maintient une certaine classe paysanne dans la spirale d’une culture vivrière, dépassée par les temps modernes. Cependant, ce qui rend l’agrobusiness difficile à mettre en œuvre au profit des populations locales, c’est l’expropriation des terres de leurs propriétaires locaux.

Régler le problème foncier pour booster l’agriculture

Le secteur agricole de ces 20 dernières années est dominé par les litiges fonciers notés à travers les quatre coins du pays. Particulièrement remarquables dans le Nord (zone de Podor, Matam) qui concentre une superficie non négligeable de terres arables, les tensions foncières finiront par s’étendre partout au Sénégal, aussi bien à l’ouest, au centre-ouest, à l’est qu’au sud. Les populations se réveillent souvent pour se retrouver dépossédés de leurs terres par des entreprises ou particuliers en connivence avec les autorités locales. Or, l’Etat sait pertinemment bien que le secteur agricole ne peut être développé que par une main d’œuvre sénégalaise. Le cas contraire, la tendance déséquilibrée de la balance commerciale ne pourra changer et notre souveraineté sur ce plan ne sera que slogan et chimère.

L’expropriation dont sont victimes les propriétaires terriens est donc le premier mal à combattre. De grandes firmes internationales ont été au cœur des scandales fonciers notés dans notre pays. En 2011la population de Fanaye, département de Saint-Louis, a dû faire face à « Sen Huile, Sen éthanol », une firme italienne, à laquelle le conseil rural avait octroyé 20 000 hectaresLa même injustice sera subie par les populations de la commune de Dodel (zone Nord) avec l’octroi en 2018 de 10 000 hectares à une entreprise marocaine du nom d’Afri Partners avant que le chef de l’Etat en personne n’intervienne pour son annulation. Aussi, les populations de Diokoul s’insurgeaient-elles contre l’implication indue de « Senegindia » sur leurs terres ; cette frime indienne avait bénéficié de 1000 hectares avant d’être déboutée par la Cour suprême.

Autant de problèmes formels que l’Etat devra régler au préalable avant de s’investir à fond dans la quête d’un secteur agricole fort et essentiellement porté par des nationaux. Ce qui est à déplorer, par-dessus le marché, c’est que les litiges concernent la plupart du temps des particuliers d’autres nationalités, soutenus par des gens municipaux de mauvaise foi.

Des projets agricoles ambitieux qui sont tombés à l’eau

De Wade à Macky Sall, divers projets agricoles ont été pensés et mis en œuvre. Toutefois, malgré les sommes faramineuses injectées, l’Etat du Sénégal n’a pas pu atteindre des objectifs probants. La raison à cet état de fait est qu’en réalité, ces différents projets étaient des réponses conjoncturelles au lieu d’être structurelles. De REVA à l’autosuffisance en riz, en passant par la GOANA, les différents plans proposés pour porter l’agriculture de ce pays et l’agroalimentaire n’ont pu que laisser des goûts d’inachevé.

Créé en 2006, le plan REVA (retour vers l’agriculture) avait pour principale ambition de régler le problème de l’émigration clandestine. Le but était de rediriger les jeunes vers la pratique culturale afin de les sortir du chômage et de la mauvaise tentation du « Barça wala Barsàqq » (Barcelone ou la mort). Il s’agissait donc « de lutter contre le phénomène de l’émigration clandestine et l’exode rural par la fixation des populations dans leurs terroirs et l’augmentation significatives des productions et des revenus » avec un budget de 10 milliards de francs CFA. Aussi la Grande offensive agricole pour la nourriture et l’abondance (GOANA), créée en 2008, avait-elle pour mission de lutter contre les conséquences insupportables de la crise économique mondiale de cette année-là sur notre pays. Malgré l’enveloppe injectée, 344,47 milliards pour  la campagne 2008-2009, notre pays n’atteindra pas l’abondance en nourriture ; ce qui provoquera des émeutes de la faim durant cette période.

Sous le président Macky Sall aussi, des réponses n’ont pas manqué. Et même s’il semblait inscrit dans une logique structurelle, le Projet des domaines agricoles communautaires (Prodac) financé à hauteur de 72 milliards de francs Cfa n’a pas assuré une autonomie alimentaire. Pis, l’insécurité alimentaire gagne du terrain d’année en année et prouve de façon pertinente l’échec de notre politique agricole. Le Covid-19 vient remettre au goût du jour la nécessité absolue de revoir les priorités dans les investissements et d’accorder à l’agriculture l’attention requise.

Soutenir la classe paysanne en ces temps de crise et redéfinir notre politique agricole

Dans les différentes adresses à la nation du président de la république relatives au Covid-19 et les différentes communications de ses ministres, des décisions importantes ont été annoncées pour soutenir le secteur économique, hôtelier, aérien, ainsi que les ménages, dont le pouvoir d’achat est carrément affecté. Mais pour le secteur agricole, des mesures n’ont pas été expressément annoncées pour aider les producteurs agricoles à faire face à la situation du Covid-19. En lieu et place de mesures spécifiques, le président a demandé, lors du conseil des ministres du 1er avril dernier, que soient prises des actions nécessaires au paiement intégral des subventions sur les cessions d’intrants. Ceci, dans le cadre de la préparation de la campagne agricole 2020-2021.

Pourtant, en ces temps qui courent, de nombreux producteurs sont dans le désarroi avec l’instauration de l’état d’urgence décrété depuis une quinzaine de jours. A l’heure où la distribution d’une aide d’urgence alimentaire est dans les pipelines, l’Etat devrait en profiter pour soulager les producteurs qui ont du mal à écouler leurs stocks de produits alimentaires. Avec la prorogation de l’état d’urgence et l’interdiction de circulation, la fermeture des commerces et marchés, les effets du Covid-19 sur le secteur agricole ne peuvent qu’être destructeurs. Les produits déjà récoltés restent en souffrance dans les hangars de stockage qui ne répondent pas souvent aux normes, et en conséquence, une grande quantité pourrit entre les mains de ces travailleurs.

Favoriser la consommation locale et redéfinir les priorités

C’est pourquoi l’Etat doit prendre des mesures conjoncturelles et acheter lui-même les produits disponibles. Il peut diversifier l’aide d’urgence alimentaire en recourant aux divers produits cultivés par la main d’œuvre locale. Puisqu’il est du devoir régalien de l’Etat de préserver ce secteur comme il l’a fait avec les autres, les autorités doivent explorer les voies et moyens d’alléger l’impact négatif du coronavirus sur l’activité des agriculteurs en amont comme en aval. Cela devrait être plus facile pour l’Etat dans un contexte où importer est devenu impossible et où stocker des vivres pour l’avenir imprévisible est devenu le réflexe des pays de la planète. Puisqu’on ne sait pas quand le Coivd-19 s’en ira, il faut penser à jalousement garder les vivres pour parer à toute éventualité.

C’est en effet le moment pour notre pays de penser à l’après-coronavirus. Dans la redéfinition de ses priorités imposée par le covid-19, l’Etat devra accorder une attention toute particulière au secteur agricole et agroalimentaire. Au lieu de l’autosuffisance alimentaire, l’objectif doit être la souveraineté totale avec moins d’importation et plus d’exportation. En rendant les secteurs agricole et agroalimentaire suffisamment forts, l’Etat favorisera la consommation locale et pourra arriver à un niveau où l’essentiel de ses vivres sera produit par ses citoyens. Cela passe nécessairement par la refonte du Prodac, émaillé par des scandales horribles, et un soutien de taille à tous les acteurs de l’agriculture. Oui, il faut un soutien matériel, logistique et financier aux paysans, agriculteurs, producteurs, en un mot, à tous les maillons du secteur, pour qu’enfin la souveraineté alimentaire soit une réalité dans notre pays.

Par Ababacar Gaye/SeneNews

kagaye@senenews.com

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