Un collectif d’associations sénégalaises continue de mettre la pression sur le ministre de la Justice pour qu’il ne dévie pas de la position officielle de son régime sur l’homosexualité. Quitte à s’opposer aux instances des Nations unies.
Photo: Copyright. Glez
"L’organe anatomique qu’est le rectum humain n’a pas été conçu par Dieu pour une fonction autre que celle d’évacuation des matières fécales". Triviale, la tournure a l’avantage de la clarté. Elle n’est pas la formulation d’un professeur d’anatomie, mais celle de l’Organisation islamique sénégalaise "Jamra", associée à une trentaine d’organisations regroupées dans l’Observatoire de veille et de défense des valeurs culturelles et religieuses dénommée "Mbañ Gacce". Objectif de cette campagne de (dé)sensibilisation relayée par la presse le 29 décembre dernier : lutter contre un usage homosexuel de l’anus.
Il y a deux ans déjà que l’Observatoire dénonce une "agression culturelle" contre les "valeurs traditionnelles et religieuses" du Sénégal, une pression exercée par un occident "manipulé par des lobbies homosexuels" et "qui risque de mettre en péril la stabilité sociale du Sénégal". Pourquoi reprendre aujourd’hui ces "tournées de sensibilisation auprès des Cités religieuses du pays" ? Peut-être parce que le Sénégal a connu une alternance et qu’il convient de remettre les points sur les "i" des mots "islam" ou "laïcité".
Pourtant, le chef de l’État actuel n’a-t-il pas été clair sur la position officielle de son régime vis-à-vis des pratiques gays ? En juin dernier, en pleine conférence de presse, alors que le président Barack Obama, en visite à Dakar, réagissait positivement à une décision de la Cour suprême américaine favorable au mariage homosexuel, son hôte balayait d’un revers de rhétorique l’idée que des pays "différents et des religions différentes" devaient avoir la même perception de l’égalité de tous devant la loi. "On n’est pas prêt à dépénaliser l'homosexualité", tranchait alors Macky Sall, considérant que cette position ne faisait pas du pays de la Teranga une contrée homophobe. Il déjouait même toute prolongation du débat par l’homotolérant Obama, indiquant que le Sénégal avait aboli la peine de mort depuis 2004, tandis que 32 états des États-Unis n’avaient pas accédé à cette revendication des organisations internationales des droits de l’homme.
C’est moins la position du chef de l’État sénégalais qui inquiète "Jamra" que celle de son ministre de la Justice. En 2009, alors président honoraire de la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme (FIDH), maître Sidiki Kaba déclarait : "Quant à l’État du Sénégal, qui se targue de défendre la démocratie et les droits de l’homme, il vaudrait mieux qu’il s’engage sur le Chemin de la dépénalisation de l’homosexualité."
L’article 319 du Code pénal, (…) sanctionne les "actes contre-nature avec un individu de son sexe" commis… publiquement.
Or, c’est bien le Garde des sceaux qui était reçu, il y a quelques semaines, par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies à Genève. Selon les opposants à la dépénalisation de l’homosexualité, le ministre aurait contredit son président en déclarant qu’il n’existait pas, "dans la législation sénégalaise, un texte incriminant l’homosexualité". Passé de la société civile à la faune politique, l’équilibriste n’ignore pas que l’article 319 du Code pénal, issu de la loi n°66-16 du 12 février 1966, sanctionne les "actes contre-nature avec un individu de son sexe" commis… publiquement. Et que ce dernier mot s’applique à tout acte contraire aux bonnes mœurs, tant qu’il est exposé aux yeux de la société, sans discrimination liée à l’orientation sexuelle de l’acte en question.
Même si les organisations comme "Mbañ Gacce" se méfient de l’actuel ministre de la Justice, elles doivent avoir conscience que l’opinion leur est acquise sur le fond. Comme elles, une majorité de Sénégalais considère l’homosexualité comme une abomination. Les contributions aux forums Internet sont éloquentes : "même s’il s’agissait d’une maladie, on ne devrait pas la propager mais plutôt œuvrer pour l’éradiquer" ou encore "à partir d’aujourd'hui, si l’État accepte les homosexuels, je suis plus sénégalais". Pour beaucoup, la promotion du respect des préférences sexuelles relèverait d’une "colonisation culturelle" à coup de "chantages d’État" mitonnés de "conditionnement de l’aide au développement". Aux visages des lobbystes internationaux aussi obstinés que des croisés, il reste à jeter l’argument ultime, aussi incongru qu’efficace pour anesthésier la pensée critique : pourquoi "importer" des pratiques gays d’Occident quand le même Occident vomit la polygamie admise au Sénégal ? Polygames et homosexuels, même combat ?