Madagascar commémore cette année le 70e anniversaire de l’insurrection du 29 mars 1947. Réprimée dans le sang, la révolte fit plusieurs dizaines de milliers de victimes. Cette répression constitue une des pages noires de l’histoire coloniale française. En France métropolitaine, des écrivains protestèrent à l’époque contre la dureté avec laquelle l’armée française écrasa l’insurrection malgache. Albert Camus accusa son pays de faire « ce que nous avons reproché aux Allemands de faire ». Repères historiques et chronologie.
Rappel historique et causes de la révolte
1896 – 1938 : Unifié depuis le début du XIXe siècle, Madagascar est conquis et intégré à l’empire colonial français en 1896. Le général Gallieni (gouverneur général de 1896 à 1903) est chargé de la pacification de la population avec le colonel Lyautey. Le duo instaure le travail forcé et encourage la venue des colons européens dans le but d’accélérer le développement de l’île. A la veille de la Seconde Guerre mondiale, la Grande Ile compte 4 millions d’habitants dont 35 000 Européens.
1939 – 1945 : Pendant la Seconde Guerre mondiale, le pays est administré par le gouvernement de Vichy, avant de passer sous les ordres des Anglais en 1942. Churchill remet l’île aux représentants du général de Gaulle. Pendant la guerre, le mécontentement populaire grandit à cause du retour en masse du travail forcé, qui avait été aboli en 1924 à cause des abus auxquels il donnait lieu. Ces abus étaient particulièrement mal vécus dans la partie orientale de l’île où la population était régulièrement réquisitionnée pour travailler dans les plantations où l’on cultivait le clou de girofle et la vanille, principales richesses de la colonie.
1946 : Dès la fin de la guerre, influencée par le mouvement de la décolonisation qui débute en Asie du Sud et par la proclamation par les Anglo-Saxons des principes de liberté édictés dans la Charte de l’Atlantique, l’élite malgache se met à rêver de la souveraineté politique. En 1946, Madagascar obtient le statut de territoire français d’outre-mer. L’île est alors dotée d’une assemblée élue, mais aux pouvoirs limités. Trois députés malgaches (Joseph Ravoahangy, Joseph Raseta et Jacques Rabemananjara) fondent en 1946 le Mouvement démocratique de la rénovation malgache (MDRM) dont l’objectif est d’obtenir la pleine participation des Malgaches à la vie politique. Le projet de loi que ceux-ci déposent sur le bureau de l’Assemblée nationale à Paris réclamant l’indépendance de leur île dans le cadre de l’Union française est repoussé. Le refus des autorités françaises de modifier un tant soit peu le joug pesant sur les populations pousse celles-ci dans les bras des sociétés secrètes de libération qui veulent arracher l’indépendance par la force.
L’insurrection et sa répression aveugle
29 mars 1947 : L’île rouge se soulève dans la nuit de samedi à dimanche. Des postes de gendarmerie, des bâtiments administratifs et des concessions européennes sont attaqués par des insurgés à Moramanga, à Manakara ainsi que dans le Bas-Faranoy. Quelques centaines d’hommes, seulement armés de sagaies et de coupe-coupe attaquent des petites villes côtières et des plantations. Ils s’en prennent aux Européens, mais aussi aux Malgaches qui s’étaient ralliés aux colons. Plusieurs centaines de personnes sont massacrées, victimes souvent d’atrocités. L’insurrection s’étend jusqu’à la région de Antananarivo (Tananarive) dans le centre et à toute la région des hautes terres. Les rebelles réussissent à prendre le contrôle d’un sixième du pays correspondant à la côte orientale. Les colons sont pris au dépourvu, mais ne peuvent réagir faute de moyens militaires sur place.
Avril 1947 : La nouvelle des attaques met quarante-huit heures pour parvenir en France. Il faut plusieurs jours aux autorités pour prendre la mesure des événements, mais elles dépêchent dès le mois d’avril un corps expéditionnaire de 18 000 hommes, composé essentiellement de troupes coloniales et dont le nombre sera porté à 30 000 hommes avant la fin de l’année.
A Paris, le gouvernement accuse le MDRM d’être le véritable cerveau de la révolte, alors que les députés malgaches ont rapidement désavoué l’insurrection, fustigeant les « crimes barbares » commis par les insurgés. Les élus du MDRM sont accusés de double jeu et traduits en justice, leur immunité parlementaire ayant été levée. Sur le terrain, le parti est dissous et ses militants sont jetés massivement dans les prisons. La répression des autorités sera impitoyable, avec l’armée française recourant à des pratiques inacceptables : tortures, exécutions sommaires, regroupements forcés, incendie de villages.
5 mai 1947 : Parmi les nombreux débordements de l’armée qui ont marqué les consciences, il y a celui du train de Moramanga, ville où l’insurrection avait débuté. L’ordre est donné le 5 mai, à minuit, de mitrailler trois wagons plombés, réservés au bétail, où étaient enfermés 166 militants du MDRM. La plupart des prisonniers sont tués, ceux qui survivent sont exécutés, sans autre forme de procès. L’affaire ébruitée dans la presse a été qualifiée à l’époque d’ « Oradour malgache ». L’autre épisode qui a fait couler beaucoup d’encre concerne le lâchage par des avions des prisonniers vivants sur des villages afin de terroriser les habitants. Cela faisait partie de la nouvelle technique de guerre « psychologique ».
Polémique et reconnaissance
Novembre-décembre 1948 : Malgré ses méthodes expéditives, il faudra à l’armée un an pour réduire les maquis nationalistes. Des zones de guérilla s’étaient installées dans la grande forêt de l’est où les insurgés avaient été rejoints par des paysans. Toutefois, au plus fort de l’insurrection, les effectifs des combattants n’ont jamais dépassé 20 000. Encerclés par l’armée, ils ont été décimés par la faim et la maladie. Privés d’armes, de chefs et de ravitaillement, les derniers rebelles survivants sortent de la forêt vingt et un mois après le déclenchement de l’insurrection. C’est seulement en novembre 1948 que les autorités coloniales pourront déclarer être redevenues maîtres de l’ensemble du territoire.
Soixante-dix ans après les événements, la polémique continue de faire rage concernant le nombre exact de victimes de cette insurrection tragique. En vingt mois, la « pacification » aurait fait 89 000 victimes parmi les insurgés, selon les comptes officiels de l’Etat français. Cette estimation sera reprise jusque dans les années 2000 lorsque le Prix Nobel français de littérature Claude Simon évoquait les « 100 000 indigènes tués en trois jours », à Madagascar. Ces estimations sont aujourd’hui contestées par les historiens.
Selon Jean Fremigacci, maître de conférences à Paris-I et enseignant à l’université de Tananarive, ce chiffre serait exagéré. L’historien établit le bilan à un chiffre entre 30 000 et 40 000 morts, dont 10 000 victimes de mort violente et le reste de faim ou de maladie. Dans le camp des colons, on relève la mort de 550 Européens, dont 350 militaires, et de 1 900 Malgaches ralliés à l’administration. La disproportion des pertes tient à ce que les rebelles ne disposaient en tout et pour tout que de 250 fusils.
Juillet 2005 : Le président français Vincent Auriol, au pouvoir à l’époque de l’insurrection malgache, reconnaissait à titre personnel dans son Journal intime le caractère particulièrement féroce de la répression militaire : « Il y a eu évidemment des sévices et on a pris des sanctions. Il y a eu également des excès dans la répression. On a fusillé un peu à tort et à travers. » Il va falloir attendre quasiment soixante ans pour que la France officielle reconnaisse, par la bouche de son président Jacques Chirac, lors d’un voyage d’Etat à Madagascar en juillet 2005, « le caractère inacceptable des répressions engendrées par le système colonial » et rende hommage aux victimes de 1947.
Novembre 2016 : en marge du sommet de la Francophonie à Tananarive, François Hollande a, lui aussi, reconnu les crimes commis à Madagascar par la France coloniale en 1947, sans pour autant présenter des excuses officielles de son pays. Le chef de l’Etat français a également déposé des gerbes de fleurs – une première – au pied du monument aux morts des tirailleurs malgaches qui s’élève au cœur de la capitale malgache.
Auteur: Tirthankar Chanda – RFI