La chute du régime libéral aux élections présidentielles du 25 mars passé et les frustrations à la suite des investitures pour les élections législatives de juillet prochain ont fait réapparaître le phénomène de la transhumance politique au Sénégal.
Opportunisme ou stratégie politique ? Doit -on mépriser ou contrôler le phénomène ?
Vu l’envergure du phénomène et son impact sur le jeu démocratique, il est plus que nécessaire de poser le débat sur ce sujet dans un Etat de droit.
A la lecture de l’histoire politique récente de notre pays, on constate que la transhumance politique est réellement apparue avec l’alternance démocratique qui a consacré la victoire du Parti démocratique sénégalais (PDS), mettant ainsi fin aux quarante ans de règne du Parti socialiste.
La transhumance politique consiste à quitter son parti politique (très souvent pour ne pas dire toujours après une défaite électorale) pour un autre, généralement celui du nouveau pouvoir ; c’est donc une sorte de reconversion des perdants. Les cas les plus célèbres sont ceux de Alé LO, de MBAYE DIOUF …et le plus récent celui de ADAMA SALL. Le fait est donc bien établi aujourd’hui dans les mœurs politiques sénégalaises. En effet en 2000, le régime de l’alternance avait entrepris l’audit de la gestion des affaires publiques des socialistes déchus. Pour se mettre à l’abri d’éventuelles poursuites judiciaires beaucoup de dignitaires du Parti socialiste transhumèrent vers le parti démocratique sénégalais. Ce phénomène fut mis à profit par le nouveau régime(qui l’a peut être orchestré à dessein) pour établir des bases politiques dans les localités jadis contrôlées par les porteurs de voix ciblés pour ensuite se départir de ses alliés qui revendiquaient au même titre la paternité de l’alternance.
La transhumance politique apparaît donc comme étant une action opportuniste des hommes politiques à la recherche d’une nouvelle virginité. En effet, en contrepartie de son adhésion et de son soutien, le transhumant garde ses privilèges et ou échappe à une condamnation certaine pour faute de gestion ; c’est souvent le cas des députés sénateurs et directeurs de société.
Pour le nouveau régime, la transhumance est une stratégie politico-politicienne qui offre l’occasion de fragiliser le parti adverse en lui soutirant des cadres ou des porteurs de voix. La menace des audits et des sanctions judiciaires qui peuvent en découler est le plus souvent un chantage, une épée de Damoclès pour apeurer des adversaires politiques.
Dans tous les cas, la transhumance politique pose un problème d’éthique et de morale dans nos cieux. En effet dans nos traditions, le « ngor », la dignité est considérée comme une vertu cardinale qui doit orienter les actes quotidiens de l’homme. La perte de cette valeur importante avilit l’homme noble et le rabat au rang des esclaves. La dignité veut que l’on accepte son sort et que l’on se résigne à sa situation en ayant foi en DIEU, maître du destin. En cas de difficultés, la dignité doit pousser l’homme à redoubler d’efforts et à travailler pour retrouver le privilège perdu mais pas à la honte et au déshonneur. Ainsi, les exemples de LAT DIOR NGONE LATYR DIOP et d’ALBOURY NDIAYE illustrent parfaitement nos propos. En effet, si le premier nommé a toujours combattu pour revenir au trône chaque fois qu’il en fut évincé par les Français et leurs alliés ceddos ; le second a préféré l’exil à « l’honneur » du protectorat français. Ainsi, tous les deux sont certes morts esseulés mais dans la dignité et ils méritent parfaitement notre respect. Le Sénégal est plein d’exemples, de modèles de ce genre qu’on n’a pas besoin de citer MAHTMA GANDHI ou NELSON MANDELA.
Par ailleurs, loin des considérations éthiques et morales, la transhumance politique pose un problème de droit et de démocratie. En effet, il fausse le jeu démocratique en travestissant le choix des populations. Le suffrage universel est une opportunité offerte au peuple pour s’exprimer en choisissant librement un programme politique et des hommes pour le conduire. Ainsi le vote lui donne aussi l’occasion de sanctionner le régime en place. Il devient alors inacceptable de revoir les hommes de l’ancien régime revenir aux affaires par le jeu de la transhumance. Rien ne peut et ne doit justifier cette pratique malhonnête et vicieuse dans un Etat de droit. La loi garantit le choix des populations en organisant les conditions d’élections libres et transparentes, il faut maintenant qu’elle pense aux conditions de sa sacralité. Sinon à quoi servirait la sanction des urnes ? Les postes électifs doivent être protégés pour empêcher des pratiques qui trahissent le vote des électeurs.
Le nouveau régime doit comprendre qu’il n’a pas besoin des hommes du défunt pouvoir, ceux –ci ont fait leurs preuves et ont étés sanctionnés. Le pouvoir a bénéficié de la confiance des électeurs sur la base de son programme et la qualité de ses hommes. Sa côte de popularité dépend donc plus du respect du pacte de confiance qui le lie au peuple qu’à l’adhésion de soi-disant porteurs de voix qui ne le sont que de nom car ne bénéficiant plus de la confiance de leurs concitoyens. S’il s’évertue à réaliser les promesses faites lors de la campagne électorale et évite les tares du régime déchu, il consolidera ses bases et restera au pouvoir. Par contre, en acceptant et en promouvant la classe politique déchue, les mêmes travers risquent de revenir ; car comme le dit l’adage « chasser le naturel, il revient au galop ».
Face à cette situation complexe, DJBO LEYTI KA a ouvert une piste de réflexion en proposant le vote d’une loi pour mettre fin au phénomène de la transhumance politique et sécuriser ainsi le vote des électeurs. Cette proposition est intéressante ; elle ouvre un débat qui en vaut la peine dans une jeune démocratie qui risque d’être gangrénée par la transhumance politique. A la longue, le citoyen risque de ne plus se retrouver dans ce jeu de dupes et perdra confiance en l’homme politique et en l’élection. « Ils sont tous les mêmes ces politiciens » entend on souvent gémir les populations. C’est à notre avis ce qui explique l’émergence et la montée en puissance des mouvements de la société civile et l’entrée des marabouts dans l’arène politique. En effet, ces hommes proposent une nouvelle manière de faire la politique qui n’est rien d’autre qu’une gestion saine et transparente de la cité dans la dignité et l’honneur.
Il est donc aujourd’hui nécessaire voire vital que les partis politiques débattent sérieusement de ce phénomène qui met en péril leur existence et leur crédibilité.
Si les mœurs politiques ne sont pas assainies, un nouveau type de dirigeant accédera forcément au pouvoir. Cet homme sera issu du peuple et aura la confiance du peuple. Ne serait-ce pas la fin des partis politiques au Sénégal ?