Alors que l’Etat, à travers l’Apix, avait proposé d’attribuer le lot 1 du marché pour le Train Express Dakar-Aibd à China Railway Construction Corporation limited (CRCC), le cabinet Systra, l’assistant à la maitrise d’ouvrage du projet, a plaidé le contraire et recommandé de choisir Eiffage pourtant plus chère de 154 milliards de FCfa. Une affaire de…
Français? Des spécialistes se posent des questions après les révélations de Libération. Ce, au même moment où on apprend qu’en France, justement, Systra est éclaboussée par un rapport suite au déraillement d’un TGV. «(…) regard du principe d’économie, il n’est pas admissible d’écarter l’offre technique d’un soumissionnaire ne présentant pas des non-conformités éliminatoires et dont le prix de l’offre est moins onéreux de prés de 154.000.000.000 de Fcfa, par rapport à celui de l’attributaire provisoire. (…) En procédant de cette manière, il est difficile de justifier une utilisation rationnelle des deniers publics dans le cadre de la procédure de passation du marché litigieux.»
Ces deux phrases contenues dans la décision de l’Autorité de régulation des marchés publics (ARMP) annulant l’attribution provisoire du lot 1 du marché pour la conception du Train express Dakar-Aibd qui avait été attribué à Eiffage pour 329,4 milliards de FCfa, renseignent sur toute la bizarrerie qui entoure cette affaire. Comme le révélait Libération, China Railway Construction Corporation limited (CRCC), dont l’offre pour le même service est moins disant de 154 milliards de FCfa, avait introduit un recours auprès de l’instance de régulation qui a finalement cassé l’attribution provisoire du marché. Mais dans cette affaire, c’est plus le rôle du cabinet français Systra qui intrigue et pour cause.
Comme nous le rapportions, au terme de l’évaluation des offres, la commission des marchés de l’Agence de Promotion des Investissements et des Grands Travaux (APIX) avait proposé l’attribution du lot 1 à CRCC pour un montant de 174 milliards de FCfa Ht/Hd et a présenté à la Direction centrale des marchés publics (DCMP) le rapport d’analyse ainsi que la proposition d’attribution provisoire du marché pour avis. Mais, par lettre numéro 3974/Mefp/Dcmp/16 du 11 juillet 2016 adressée à l’APIX, la DCMP a relevé que, par rapport à l’examen de la conformité certains critères ne sont pas satisfaits par CRCC dont l’offre ne serait pas conforme pour l’essentiel.
Pour répondre aux observations de la DCMP, la commission des marchés de l’APIX a invité le comité technique d’évaluation à consulter le cabinet conseil d’ingénierie Systra qui a élaboré le cahier des charges en relation avec le comité technique, à procéder au réexamen de la conformité des offres des candidats.
Au terme de cette évaluation, Systra a considéré que l’offre du lot 1 du cabinet CRCC n’était pas conforme et a confirmé la position de la DCMP. Conséquence : l’APIx s’est pliée à la position du cabinet dont les arguments ont été taillés en pièces par l’ARMP. Est-ce une coïncidence si Systra, société française filiale de la SNCF, propose que le marché soit attribué à Eiffage, même si cette dernière est plus chère de 154 milliards de FCfa ? C’est la question que se posent plusieurs spécialistes des marchés publics aujourd’hui.
Qui plus, Systra qui a été recrutée pour assurer l’assistance à la maitrise d’ouvrage du projet de train avait été engagée dans des conditions rocambolesques. Le cabinet avait été presque imposé par l’Agence française de développement (AFD) malgré l’opposition, à l’époque, de la DCMP. Cette boite se trouvait ainsi bénéficiaire d’un contrat de 3 milliards de FCfa même si, aujourd’hui, son «expertise» laisse place au doute après le cinglant désaveu de l’ARMP.
Ce rapport qui éclabousse Systra en… France
Dans tous les cas, il faut retenir qu’en France, justement, Systra est au cœur d’une vaste polémique. En effet, un rapport confidentiel, commandité après le déraillement d’un TGV, en novembre 2015, a sérieusement mis en cause le cabinet qui a fortement influencé le choix porté sur Eiffage. Ce rapport, dévoilé en exclusivité par le Parisien, est sans appel. Nos confrères écrivaient : «dans un rapport confidentiel commandé par le CHSCT (comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) de Systra sur le déraillement du TGV d’essais le 14 novembre 2015, le cabinet Technologia, expert en prévention des risques professionnels, dresse un constat cinglant de l’organisation de ces essais par cette filiale de la SNCF et de la RATP, spécialisée dans le conseil et l’ingénierie sur les transports.» «Les documents précisant les conditions de mise en œuvre de ces essais sont imparfaits», écrivent les experts. Le drame avait fait onze morts, dont cinq travaillaient pour Systra.
Dans ce rapport que nous avons pu consulter, quatre éléments sont pointés du doigt. Le cabinet d’expertise s’interroge sur le débranchement, lors des essais en survitesse, du système qui empêche les trains de dépasser la vitesse limite : «Peut-on laisser le contrôle et la conduite d’une machine de près de 400 t, évoluant à des vitesses pouvant aller jusqu’à 352 km/h, à la seule appréciation d’une personne, aussi expérimentée soit-elle, sachant que les automatismes de limitation de vitesse ont été désactivés ? » questionne Technologia. Une interrogation au centre des investigations. L’enquête judiciaire n’a pour l’instant révélé aucun problème technique sur la voie ou sur la rame de TGV accidentée, alors que le train a déraillé à 243 km/h sur une portion limitée à 176 km/h ».
Pour Technologia, «la direction de Systra a sous-estimé le danger engendré par ces essais :«La désactivation en survitesse du contrôleur automatique de vitesse sans aucun remplacement par un système équivalent, éliminant ainsi toute possibilité de correction d’une possible erreur humaine, induit un niveau de risque qui aurait dû être mieux identifié et recevoir une réponse appropriée», écrivait encore Le Parisien.
Qui ajoutait : «Selon les experts, les documents qui réglementent ces essais sont trop approximatifs. Surtout, certains passages les laissent perplexes. Comme celui indiquant que c’est au chef d’essais d’ordonner de réduire la vitesse dès que celle demandée est atteinte ou dépassée. «En a-t-il les moyens ?» interroge Technologia, alors que le chef d’essais n’est pas dans la cabine de pilotage mais à l’arrière. « Et quel peut être son temps de réaction ? » Toutes ces imprécisions «laissent la porte ouverte à de possibles interprétations».