S´il y a une promesse électorale qui a attiré l´attention des citoyens pour cette présidentielle, c´est bien la réduction annoncée des prix des denrées alimentaires. Ce serment brandi par Macky Sall au cours de sa campagne pour convaincre l´électorat, a fait sortir certains économistes de leur réserve pour mettre les points sur les i.

Les alléchantes promesses de Macky Sall, candidat de la coalition Benno Boku Yakr, n´ont pas laissé indifférent le groupe des économistes du forum civil sénégalais. Dans un document intitulé « baisse annoncée des prix des denrées : le possible et le souhaitable », dont nous avons reçu copie, les experts tentent de faire une mise au point par rapport à la réduction annoncée des prix des aliments de base. Même si cette option paraît « salutaire » à leurs yeux, elle pourrait, toutefois, se heurter à quelques difficultés d'ordre opérationnel pour sa mise en œuvre.
Entre autres obstacles qui pourront plomber cette mesure, les économistes citent  l'adoption de la loi N°94-63 du 22 août 1994 instituant la libéralisation et la concurrence, l'orientation des prix résulte essentiellement de l'offre et de la demande. Sur cette base, faute d'une offre locale suffisante, les experts soulignent que l'inflation des biens de consommation courante est déterminée notamment par la répercussion des prix internationaux. La flambée des cours mondiaux sur les produits alimentaires, soutiennent-ils, est liée à une série de facteurs, notamment les déréglements climatiques qui détruisent les récoltes et l'ajustement des coûts des intrans. A ces contraintes, s´ajoutent les mesures de restriction des exportations prises par certains producteurs comme Viêtnam, et Inde, (2ème et 3ème plus grands exportateurs de riz) pour satisfaire la consommation intérieure.
Poursuivant, les économistes se disent convaincus que la difficulté d'appliquer une baisse des prix, à court terme, tient à l'inexistence de contrôle des prix et une baisse de l´offre. Cette situation, ajoutent-ils, s'expliquerait, en outre, par la méconnaissance des couts d'achat des commerçants et des conditions entourant les approvisionnements (délais de livraison, gestion des stocks…). Ceci dit, les économistes de rappeler Les crédits bancaires qui ont permis la constitution de ces stocks ont été établis sur la base d'un prix de sortie qu'il est difficile de remettre en question.
Couper le mal par sa racine
Du point de vue de ces économistes, il est « quasiment impossible » de modifier les prix, sans toucher à leurs principaux déterminants en amont, notamment le transport, l'énergie etc. De surcroît, aucun des facteurs à l'origine de l'inflation n'a fait l'objet d'ajustement ni de la part du gouvernement actuel, ni des commerçants. Autrement dit, l'Etat n'a consenti aucune baisse de la fiscalité, tandis que les vendeurs n'ont pas souhaité renoncer à leurs marges. Dans ce contexte, indique le groupe des experts, la mesure a souvent été sans effet pour les consommateurs.
Du coté de la demande, ils estiment que la hausse de la consommation dans les économies émergentes suscitée par la poussée démographique et l'amélioration du niveau de vie en Asie a exercé une pression supplémentaire sur les prix. Non sans oublier les comportements spéculatifs sur les produits céréaliers devenus un refuge contre les fluctuations du dollar et les poussées inflationnistes. L'intensité de ces chocs est liée à la forte vulnérabilité du Sénégal, étayée par un degré d'ouverture de plus de 50% qui l'expose en permanence aux incertitudes du commerce international.
Des perspectives peu convaincantes
Les perspectives apparaissent d'autant plus défavorables que les cours des principales denrées sont appelés à augmenter dans les 3 prochains mois, indique le groupe des experts économistes du forum civil, citant une étude de la FAO. Ils ajoutent que Les risques que font peser la sécheresse annoncée en Chine, les inondations en Australie et les tensions en Ukraine laissent présager une situation inédite chez les importateurs nets comme le Sénégal.
Au plan macroéconomique, le cercle vicieux qui pointe à l'horizon prendrait la forme d'une baisse des importations, liée aux restrictions opérées par les principaux fournisseurs, débouchant sur une contraction des recettes fiscales. Par conséquent, on relève une réduction de la marge de manœuvre budgétaire et un endettement accru qui entamerait la solvabilité de l'Etat. Pire, alertent les économistes, le trésor public semble avoir épuisé ses moyens avec un déficit budgétaire à plus de 5% du Produit intérieur bruit (Pib), largement au dessus des critères de convergence de l'UEMOA fixé à 3%. Alors que le Fond monétaire international (Fmi) n'est pas disposé à tolérer des excès.
Les recettes du forum civil pour baisser les prix des denrées
En termes de solutions, le groupe des experts économistes du forum civil propose deux axes sur lesquels, les futurs dirigeants pourront s´appuyer pour garantir une maitrise des prix. Ils s´agit selon eux, la revue de la fiscalité et l´augmentation de l´offre.
Le premier mécanisme, de court terme, consiterait à diminuer la fiscalité de porte et la Taxe sur la valeur ajoutée (Tva) sur les produits stratégiques. Par le jeu de cette dépense fiscale, le gouvernement allègerait ses besoins. Plus spécifiquement, la diminution de l'impôt sur les hydrocarbures induirait mécaniquement une réduction des prix des autres produits de grande consommation, tant sa transversalité apparaît réelle au Sénégal.
La deuxième approche, inscrite à long terme, implique une attention plus soutenue aux producteurs de riz de la vallée du fleuve et du bassin de l'Anambé. L'Etat doit s'atteler à la définition d'une réelle politique de sécurité alimentaire, à partir d'incitations visant la fourniture de produits vivriers. A cet effet, une réaffectation de dépenses non prioritaires pourrait être envisagée, en complément au soutien sous forme de protection transitoire, conformément aux clauses édictées par l'Organisation mondiale du commerce (Omc). Pour ce faire, la prochaine équipe, issue de ces elections devra faire preuve d'une “réelle volonté politique” dans l'exploitation des atouts et potentialités, qui s'est ressentie malheureusement de l'opposition de forces privées soucieuses de préserver leurs rentes au détriment de l'intérêt collectif.
Sur le même créneau, les économistes soulignent que l'Etat du Sénégal, a jusqu'ici été « incapable d'appliquer » des aides et subventions ou d'autres mécanismes de relance efficaces, faute de marge budgétaire. Cette absence de marge, avancent-ils, peut toutefois être corrigée par le prochain gouvernement, à travers la dissolution des agences et autres institutions jugées inutiles.

Abdou DIAW, Notre specialiste en économie

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