Par Badé SECK

Dans le Ferlo, en particulier dans le département de Linguère, la transhumance a des conséquences néfastes sur tous les secteurs. A cause du déplacement massif des éleveurs à la recherche de pâturages les recettes municipales dégringolent, les unités de transformation laitière tournent au ralenti.

Les éleveurs du département de Linguère ne savant plus à quel saint se vouer. En effet, trouver de quoi nourrir leur bétail devient un véritable casse-tête pour eux. Le déficit pluviométrique enregistré l’année dernière et les nombreux feux de brousse, qui ont ravagé 2 915 hectares, ont créé un désarroi total au sein des populations du Djoloff qui subissent les conséquences néfastes liées au phénomène de la transhumance.
Trouvé en pleine brousse, Samba Ka, âgé de 32 ans, vêtu d’un boubou, assorti d’un pantalon bouffant et d’une écharpe qui laisse à peine voir ses yeux, exprime son découragement. «Nous sommes très fatigués. Il n’y a plus de quoi nourrir nos troupeaux. L’herbe sèche est introuvable dans cette zone du Ferlo.» Jetant un regard piteux sur son troupeau de bœufs qu’il conduit quotidiennement, notre interlocuteur informe : «Presque la majorité des éleveurs ont transhumé vers le Saloum, Kaffrine ou vers d’autres endroits où ils ont l’espoir de trouver du pâturage.»
Rencontré au foirail de Dahra, Amadou Ba abonde dans le même sens. «Nous vivons dans des conditions très difficiles. Nous regardons l’œil impuissant nos animaux mourir de faim. Nos familles sont séparées du fait de la transhumance. Nous parcourons chaque jour des centaines de kilomètres sans trouver la moindre herbe sèche.» M. Ba poursuit : «Vous vous rendez compte. A pareille heure du marché hebdomadaire, le foirail grouillait de monde, mais depuis plus de 3 mois, il ne connaît plus ce grand rush des éleveurs qui ont déjà déserté le Ferlo.»

Impact négatif sur les recettes municipales
Le déplacement en nombre important de ces éleveurs n’est pas sans conséquences. Il impacte négativement les recettes municipales. Selon Mamadou Lamine Gassama, régisseur des recettes à la mairie de Dahra, 95% des recettes obtenues à travers le marché hebdomadaire proviennent de négociants peuls. Donc, c’est tout à fait normal que quand ils ne sont plus là, que cela impacte négativement l’économie locale et nationale de façon générale. «Depuis janvier, nous avons constaté une baisse des recettes. Notre chiffre d’affaires tiré de la halle et du marché, ainsi qu’au niveau du foirail et les stationnements de véhicules, a considérablement baissé. Les recettes sont passées de 2 millions 091 mille francs Cfa en janvier à 1 million 160 mille francs pour les recettes du foirail.» M. Gassama d’ajouter : «En période d’hivernage, on pouvait dénombrer environ 40 camions par semaine pour convoyer des bœufs à Dakar, alors que depuis janvier, on peine à avoir le chargement de 5 camions par semaine.»

Les activités de la filière lait en veilleuse
Les unités de transformation laitière sont aussi parmi les plus touchées par la transhumance. A preuve, ce phénomène a occasionné la fermeture temporaire de la plus grande usine de transformation laitière appartenant à l’Association pour le développement intégré et durable (Adid), installée à Dahra depuis 1991. Selon son président, Samba Mamadou Sow, son unité ne peut plus continuer à fonctionner en cette période de saison sèche. Car dit-il, «la filière lait dépend des troupeaux et vu le départ massif de bergers vers d’autres contrées du pays, l’on peine à obtenir la quantité de lait nécessaire pouvant assurer notre seuil de rentabilité». Il ajoute en guise d’explications : «En période de saison des pluies, nous enregistrons chaque jour 150 à 200 litres de lait. Mais malheureusement, ces temps-ci, avec 6 points de collecte répartis dans différentes zones du département, il nous est impossible de collecter au moins une dizaine de litres de lait.» Face à cette situation, plusieurs personnes ont vu leur contrat de travail résilié du fait que l’usine ne peut plus supporter ses dépenses.
Même son de cloche au niveau de la fromagerie du Ferlo. Pour son gérant Mamadou Lamine Diédhiou, la filière lait est le secteur le plus touché par la transhumance qui lui a créé d’énormes problèmes. «Nous travaillons en temps normal avec 250 à 300 litres par jour, mais présentement on ne peut même pas collecter 20 litres par jour. Ce qui est très inférieur à notre seuil de rentabilité qui est au moins de 150 litres par jour.»
Les postes de santé ont aussi désempli. Si l’on en croît Mamadou Ameth Ka, chef du poste de santé de Widou, localité située à 80 kilomètres de la commune de Dahra, le taux de fréquentation a baissé de 20%. «Si nous obtenions 250 à 300 malades par mois, aujourd’hui le nombre est porté à 80 malades», explique l’infirmier. Il ajoute que même le nombre de naissances a baissé. De plus de 30, il est passé à 3 par mois ; ce qui a entraîné une baisse des recettes de récupération. Ce qui fait que la structure ne peut plus prendre en charge les agents contractuels et les dépenses.
Au village de Gouloum, situé à 90 kilomètres de la commune de Linguère, toute la population halpular s’est déplacée. La recherche de pâturage en est la principale cause. C’est ainsi que le comité de gestion de forage a connu une baisse de son chiffre d’affaires mensuel. D’après Mamadou Diaw, surveillant général du comité de gestion de l’Asufor, leurs recettes générées par la vente de l’eau sont passées de 300 mille francs à 150 mille francs en saison sèche.

Aliment de bétail
Hausse drastique des prix

L’Etat, à travers l’Opération sauvegarde de bétail (Osb), avait octroyé des tonnes d’aliments de bétail au monde rural. Mais les éleveurs jugent insuffisante cette quantité et souhaitent un plus grand soutien. L’aliment de bétail est devenu inaccessible. En effet, les prix ont drastiquement augmenté. Le sac d’aliment de bétail est passé de 8 000 francs à 13 000 francs. Le prix du sac de foin n’est pas en reste. Il est passé du simple au double. De 2 000, le sac coûte maintenant 4 000 francs. Le prix de la paille sèche a aussi connu une hausse. De 6 000 francs, le chargement d’une charrette est passé de 20 000 francs.
Face à cette situation, les éleveurs n’ont qu’une alternative : recourir systématiquement aux feuilles d’arbres pour nourrir leurs troupeaux. Des fois, ils préfèrent bazarder quelques têtes dans différents marchés hebdomadaires, de peur de voir le bétail mourir de faim entre leurs mains. Ainsi, certains éleveurs rencontrés au marché hebdomadaire de Dahra implorent le bon Dieu pour que le ciel ouvre ses vannes le plus rapidement possible.
LEQUOTIDIEN
bseck@lequotidien.sn

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