Le Premier ministre Abdoul Mbaye a accordé un long entretien au Groupe futurs médias dans lequel il revient sur tous les aspects afférents à sa fonction.
Les Sénégalais ont été surpris de votre nomination à la Primature au mois d’avril 2012. Qu’est-ce que cela vous a fait quand vous avez été nommé?
Je le savais depuis la veille, mais j’avais été particulièrement surpris lorsque le Président Macky Sall m’a fait la proposition. Cela n’a jamais correspondu à mon objectif de carrière. Et ma première impression, c’est qu’on me posait sur les épaules une lourde charge. J’ai également tout de suite pris l’engagement de servir mon pays du mieux que je pourrais le faire.
Qu’est-ce qu’on ressent à ces moments?
La première question que me suis posée a été : «Est-ce que je vais m’en sortir ?» Puis finalement, je me suis souvenu que j’ai eu une carrière faite de surprises. Dans les différents postes de responsabilités que j’ai eu à occuper, chaque fois, on m’appelait pour m’en informer. J’étais donc probablement préparé à recevoir pareil coup de poing.
Pensez-vous que vous-vous en êtes sorti un an après ?
J’ai le sentiment que je me débrouille pas trop mal. Peut-être pas sur la foi de mon seul sentiment, mais en écoutant autour de moi, mes collaborateurs. Il faut reconnaître que la tâche est difficile, les difficultés sont nombreuses et il faudra probablement du temps pour atteindre les objectifs qui restent ceux du président de la République. Puisque le Premier ministre est là pour mettre en œuvre la politique de la Nation telle que définie par le chef de l’Etat. Nous sommes là pour un temps déterminé, nous donnerons le maximum de nos forces pour aller dans le sens de la réalisation de ces objectifs et un jour ou un autre, il faudra passer le flambeau à quelqu’un d’autre.
Vous êtes venus dans un contexte un peu difficile. Il y a beaucoup d’attentes, d’espoirs des Sénégalais par rapport à ce gouvernement. Est-ce qu’il est facile pour un Premier ministre qui n’est pas issu d’un parti politique, d’être le chef d’un gouvernement de coalition?
Vous faites bien d’insister sur l’immense espoir qui était et reste d’ailleurs celui du Peuple sénégalais. Probablement, le poids de la charge était et reste alourdi à cause de cela. Nous devons trouver des réponses immédiates, mais nous devons également faire vivre l’espoir et ne pas décevoir, tout en sachant qu’il faudra du temps pour réaliser les objectifs. Il faudra du temps pour trouver des réponses adéquates aux attentes des Sénégalais. Je crois que le fait d’être à la tête d’un gouvernement de coalition ne crée pas de problèmes particuliers.
Pourquoi ?
Simplement parce qu’on rappelle en ce moment, et le Président Macky Sall ne cesse de le faire, que l’objectif est de servir la République. Les partis ont leur rôle en dehors du gouvernement. Les objectifs qu’il fixe sont ceux qui doivent mobiliser l’ensemble de l’équipe gouvernementale. Et dans ce cadre, je suis même plus à l’aise, parce qu’il m’a demandé de ne pas faire de la politique, parce que je n’en faisais pas et ce fut l’un des critères de son choix. Je me sens parfaitement à l’aise dans cet environnement. Les choses sont neutres.
Un Premier ministre d’une coalition où les intérêts sont divergents, chaque parti essayant de tirer profit de sa présence dans le gouvernement. Comment coordonner toute cette situation?
De toute façon, je pense qu’il y a toujours au moins des ambitions personnelles dans une équipe gouvernementale et que ces ambitions ne convergent pas toutes dans la même direction. Il est exact que lorsque les membres du gouvernement viennent de partis différents, il peut y avoir, au niveau conceptuel et idéologique, quelques divergences. On peut le craindre, mais très sincèrement, je ne le sens pas. Il y a des objectifs clairs. Il y a un programme qui est celui du président de la République : «Yonnu Yokkuté», que nous sommes chargés de mettre en œuvre. Tout le monde va dans cette direction. Le jour où l’un des membres du gouvernement décidera d’appliquer autre chose que ce programme bien clairement défini, à ce moment, des décisions seront prises.
Est-ce que la démission de Malick Gakou de son poste de ministre du Commerce était inscrite dans une logique de ne pas appliquer le programme «Yonnu Tokkuté» ?
Je ne l’ai pas constaté. Il a évoqué des raisons personnelles et c’est cela que je retiens. Mais il faut savoir que c’est une démission qui est intervenue après une décision importante : la fixation du prix de la farine. Et en la matière, aucune des décisions qui ont été prises n’a été contestée par Malick Gakou. Bien au contraire. Le ministre Gakou a présenté plusieurs options et c’est l’une d’elles qui a été retenue.
On évoque des divergences qui existeraient entre lui, vous et les meuniers. M. Gakou n’était pas d’accord sur l’orientation qui a été prise…
Je ne peux pas les évoquer, mais il y a eu des réunions techniques ouvertes. Ce n’était pas un entretien privé entre le ministre Gakou et moi. Bien entendu, dès lors que les meuniers souhaitaient augmenter le prix de la farine, cela n’était pas le vœu du président de la République, ce n’était pas non plus une décision économiquement justifiée. Entre les meuniers et le gouvernement, il y a eu divergence sur le prix qu’il fallait retenir pour la farine. Mais du côté du gouvernement, nous étions une équipe de trois, le ministre du Commerce, celui de l’Economie et le Premier ministre, nous avons pris les décisions en totale harmonie.
Pourquoi sa démission a-t-elle été une surprise, même pour le gouvernement?
C’est vrai que cela a été une surprise. Peut-être, c’est le respect de la forme républicaine qui a fait défaut, mais à tout moment, un ministre peut décider de quitter un gouvernement. Pour l’instant, je retiens simplement que ce sont des raisons personnelles qui ont été évoquées. Il n’y a pas eu de divergences sur la politique à mener.
Quand vous dites que le respect de la forme républicaine a fait défaut, est-ce à dire qu’il vous a mis devant le fait accompli. Comment avez-vous appris sa démission ?
Nous avons appris cela par la radio avant de recevoir le courrier et de pouvoir avoir un entretien avec lui. Je pense simplement que la forme républicaine commande une rencontre avec les autorités avant de s’adresser à la presse.
Des commentaires ont fait aussi état de vos relations tendues, liées au fait que Malick Gakou serait soutenu par le «lobby Mimran», qui vous combat. Qu’en est-il de vos relations avec Mimran ?
J’ai eu de bons rapports avec Monsieur Mimran (Jean-Claude, propriétaire de la Compagnie sucrière sénégalaise et des Grands moulins de Dakar,Ndlr) puisque nous avons travaillé ensemble pendant 7 ans. Je crois que nous conservons de bons rapports.
Avez-vous le sentiment d’être combattu par le groupe Mimran?
Ce que je peux dire, c’est que je n’ai pas de problème avec Monsieur Mimran. Ceci dit, quand vous touchez aux intérêts d’un industriel, un paysan ou un maître coranique, il est normal qu’il proteste, qu’il essaie de trouver de la riposte. Je crois que c’est sur ce plan qu’il faut mettre le reste.
Donc, vous avez touché aux intérêts de Mimran ?
Quand un industriel dit : «Je veux que le prix augmente», qu’il l’augmente, et qu’une décision du gouvernement ramène ce prix à un niveau plus faible, vous avez forcément lésé ses intérêts.
Vous disiez tantôt que la situation économique n’était pas justifiée. Pourquoi les meuniers ont-ils voulu augmenter le prix. Est-ce qu’on n’assiste pas aujourd’hui à un monopole par rapport à la vente de la farine ?
Nous avons analysé les prix du blé à l’entrée du Sénégal ces derniers mois et nous avons constaté qu’il était possible de surseoir à une hausse du prix de la farine en tenant compte d’un ensemble de facteurs. Nous avons examiné les comptes d’exploitation des meuniers pour voir s’ils perdaient véritablement de l’argent. A ce sujet, il est bon de tenir compte d’une chose importante : une entreprise n’est pas faite pour gagner toujours de l’argent. Il y a des moments où il faut accepter d’en perdre. Sauf lorsque vous êtes en situation de monopole et, à cet égard, vous avez toujours tendance à garantir votre marge, votre revenu, quelle que soit la conjoncture du moment, quelle que soit la qualité, bonne ou mauvaise, de votre gestion et contre cela, il appartient à l’Etat de jouer un rôle de régulateur. Si nous avions sur ce marché 20 ou 30 acteurs capables de faire jouer la concurrence, les choses seraient plus faciles.
Les Sénégalais continuent de dire que les prix des denrées sont chers ?
Nous avons reçu du président de la République qu’il y ait une étude systématique de l’ensemble des structures de prix. Car malheureusement, notre économie s’est habituée à des prix imposés par les importateurs à des industriels, au détriment de la grande masse de la population. Donc, nous allons étudier l’ensemble des structures de prix, avec l’objectif de trouver à chaque fois de bons compromis permettant de maintenir l’industrie, et aux citoyens de bénéficier de prix abordables. Il faut savoir également que nous avons des prix qui sont liés au marché international. C’est le cas du pain, nous ne maîtrisons pas le prix du blé.
Il y a le riz, le lait, le sucre…
Sur le plan alimentaire, nous souffrons. Nous importons énormément. A la limite, ce que l’Etat peut faire lorsqu’un produit est importé, c’est de limiter la taxation et peut-être même parfois d’y renoncer totalement.
Mais les Sénégalais qui sont à Kanel, à Sinthiou ne connaissent pas ces éléments, ce qui leur importe, c’est qu’en campagne électorale, le Président avait dit qu’il allait faire baisser les prix et ils s’attendent à payer moins cher…
Nous sommes dans des démarches qui vont dans ce sens, j’ai expliqué pourquoi il y avait des limites à la baisse des prix. Le président de la République, quand il dit qu’on va baisser les prix, il ne va pas prendre l’engagement de diviser par deux le prix du pain, ce n’est pas possible. Il a promis d’agir sur les prix, il faut reconnaître qu’en 2012, le taux d’inflation est retombé à 1,6% alors qu’il était à 4% l’année dernière. Donc il y a quand même des efforts.
Où sont les choses qui ont été promises?
Cela était l’observation générale lorsque le Président Macky Sall a accédé à la magistrature suprême. Son premier souci était de mettre fin à la faim dans le monde rural. Personne, sauf le président de la République, pendant la campagne électorale, ne s’est soucié des conditions dans lesquelles certains paysans étaient presque en train de mourir de faim. Et en réponse à cela, l’une des toutes premières actions du gouvernement consistait à mettre en place un programme d’urgence de plusieurs dizaines de milliards FCfa pour venir en aide au monde rural.
Mais le Sénégal, ce n’est pas seulement la campagne. Ceux qui sont en ville n’ont pas de travail, ils attendent les emplois que vous leur avez promis
Il faut d’abord savoir que c’est un héritage.
En venant au pouvoir, vous avez promis de régler cet héritage…
Oui. Mais qu’on ne nous reproche pas de ne pas avoir résolu le problème des inondations deux mois après le premier hivernage, alors que pendant 12 ans, il était là. Qu’on ne nous reproche pas de ne pas avoir réglé en quelques mois le problème de l’emploi des jeunes !
5000 emplois sur 100 000 par an, c’est une goutte d’eau dans la marre…
Il y a une donnée qu’il faut accepter. Dans l’immédiat, nous n’allons pas créer des industries par centaines. Le secteur de l’économie qui peut permettre de créer le plus rapidement des emplois est celui de l’agriculture.
Mais, on ne voit pas encore la première pierre…
Il faut d’abord concevoir le projet, il est en train d’être finalisé. Ensuite, il vous faut rechercher le financement. Une fois le financement acquis, il faut engager une procédure d’appel d’offres etc.
Et pendant ce temps, la jeunesse attend…
Je le dis pour ce projet, mais il faut le dire également pour d’autres.
Est-ce que vous n’êtes pas rattrapés aujourd’hui par la réalité du pouvoir, alors que vous avez tellement promis aux Sénégalais…
Il y a forcément un timing dans les promesses. On ne peut pas régler tous les problèmes du Sénégal en un trimestre ou un semestre. Ce n’est pas possible. Nous sommes obligés de nous mettre dans une logique d’organisation, de planning et c’est le cas. Les projets sont en train d’arriver.
Les Sénégalais disent que les choses ne bougent pas, est-ce que ce n’est pas parce que vous avez jeté dans la marre ce que l’on appelle la traque des biens mal acquis, qui fait que ceux qui veulent investir ont peur… ?
Non. Le Sénégal peut se passer de l’investissement venant des avoirs mal gagnés. Cet argent a commencé à être dépensé, il n’a pas été thésaurisé.
Justement, concernant ce dossier, les Sénégalais estiment que le gouvernement patauge. Même la communication qui est faite autour des biens mal acquis est catastrophique…
Le débat est clos depuis les précisions données par le président de la République. Mais, on peut au moins porter une opinion sur sa nature. C’était un faux débat.
Pourquoi ?
Le président de la République n’a jamais varié dans ses positions. C’est lui qui a demandé la réactivation de la Crei (Cour de répression de l’enrichissement illicite), il a mis en place l’Ofnac.
C’est lui qui a aussi demandé à Me El Hadj Diouf de parler de médiation pénale…
Nous avons un journalisme qui n’est pas toujours d’investigation.
Mais Me El Hadj Diouf l’a dit après avoir été reçu par le Président…
Vous savez, Me El Hadj Diouf est un excellent avocat, parce qu’avec quelques mots, il a créé une véritable tempête dans un verre d’eau. Moi, je me contente de ce que le Président me dit et je n’ai pas reçu d’information de cette nature.
Vous avez dit qu’il y avait des biens mal acquis, des enquêtes ont été faites, mais on sent une lenteur par rapport à ce dossier. Qu’est-ce qui se passe exactement, avez-vous des éléments contre les dignitaires de l’ancien régime?
La justice ne doit pas être précipitée. Il ne faut pas se tromper : ce sont des choses graves et les décisions qui vont être prises seront également lourdes. On ne peut pas se presser, simplement parce que le Peuple demande du sain. Tous les citoyens du Sénégal sont présumés innocents. Nous sommes dans un domaine complexe, difficile et il faut être prudent.
Est-ce que les enquêtes ont donné quelque chose ?
Il y a des enquêtes qui commencent à donner quelque chose, mais ce n’est pas parce que cela a donné quelque chose qu’il faut s’arrêter, il y a parfois des compléments. J’ai lu récemment un journal qui a titré qu’il n’y a jamais eu autant de Vip dans les prisons. Cela montre que quelque chose est en train d’être fait.
Est-ce que d’autres Vip vont suivre ?
Je ne vais pas anticiper sur l’action de la justice.
Vous avez été banquier et vous saviez qu’il n’est pas facile de retrouver l’argent planqué dans des banques. Le gouvernement a fait croire aux Sénégalais qu’il a des choses solides, mais on se rend compte que le dossier n’est pas aussi facile qu’on le pensait…
Nous n’avons jamais dit que le dossier était facile.
C’est l’explication donnée dans les débats par certains membres du pouvoir….
Non. Le dossier ne peut pas être facile. Et ce n’est pas parce qu’il est facile sur un milliard que vous avez trouvé qu’il va l’être sur dix qui restent. Quand vous commencez une enquête, vous vous donnez le temps de la boucler. On ne peut pas préjuger de la durée d’une enquête. Je ne vois pas le gouvernement reculer sur ce dossier.
Beaucoup de sommes ont été avancées. A combien évaluez-vous le préjudice qu’aurait subi le Sénégal dans l’affaire des biens mal acquis ?
Je suis incapable d’évaluer ce préjudice, parce que je ne suis pas dans le secret des dieux.
Vous êtes le Premier ministre, donc vous devez avoir des informations…
Non. Impossible.
Vos avocats parlent de 230 milliards FCfa, d’autres avancent 2000 milliards FCfa… Les Sénégalais ont besoin de savoir combien ils ont perdu, s’il y a perte d’argent ?
Je suis incapable de donner des chiffres. J’attends des comptabilités, des résultats d’enquête.
Donc là, vous n’avez pas de chiffres…
Non. Nous n’avons pas de chiffres prévisionnels, puisque ce sont des enquêtes qui se poursuivent. Comment voulez-vous que je dise qu’on va faire entrer 2000 milliards FCfa et demain, on va être à 3000 milliards FCfa. On va dire que le Premier ministre a cherché à cacher les 1000 milliards. Ou on sera à 500 millions FCfa, on dira que la différence est allée dans telle ou telle poche. Laissons les enquêtes suivre leur cours. Nous arriverons à des résultats dans peu de temps, à mon avis, dès la fin de ce premier trimestre. D’ailleurs, on a identifié des mouvements de fonds. Dans le cas de Sudatel, c’est clair.
Sudatel concerne Thierno Ousmane Sy, qui est déjà en prison, il y a Karim Wade qui serait l’un des négociateurs. Est-ce qu’il est concerné par le dossier ?
Je ne peux pas en parler. L’enquête suit son cours. Pourquoi voulez-vous qu’on se précipite ? (…) On n’arrêtera pas ce combat, mais le Sénégalais ne peut pas demander au gouvernement de violer la loi et de ne pas respecter le droit des personnes concernées.
Est-ce que la médiation pénale qui a été proposée n’est pas quelque part une difficulté à aller au fond de ce dossier, qui fait que les gens veulent sortir par la petite porte ?
Je n’ai pas proposé de médiation pénale. Le président de la République non plus ne l’a pas proposée. J’ai suivi le débat. Il y a le porte-parole du gouvernement, qui a expliqué à des journalistes ce qu’est la médiation pénale.
Quand le porte-parole du gouvernement parle, il le fait de façon officielle…
Mais il n’a jamais dit que le gouvernement avait décidé de recourir à la médiation pénale.
Est-ce que cela ne pose pas le problème de la communication du gouvernement. Quand le ministre de la Justice fait une déclaration, le porte-parole du gouvernement en fait une autre….
Je serais moins critique, moins dur. Par contre, je considère que l’écho donné à certains échanges par notre presse est excessif.
Pourquoi ?
Le vrai problème, c’est quand la presse se met dans une position consistant à reprocher au président de la République de vouloir recourir à la médiation pénale.
Me El Hadj Diouf a dit qu’il a rencontré le Président….
Ce sont les propos du président de la République qui m’intéressent. Il y a eu, peut-être, des échanges. Je crois même qu’il y a eu des échanges, mais il y a, peut-être, incompréhension. On ne peut pas, de manière aussi certaine, dire : le président de la République a dit à Monsieur, qui l’a répété et puis, sur cette base, remettre en question toute une stratégie, une politique mise en œuvre par le gouvernement sur instruction du président de la République. Il y a problème.
Restons dans le domaine de la Justice, avec l’affaire Habré. L’opposition dit que vous devez rendre le tablier, parce que le jour où Habré sera jugé, on risque de vous appeler à la barre…
Je crois avoir déjà répondu à cette question, c’est d’ailleurs l’opinion d’une certaine presse, de certains opposants. Hissène Habré est arrivé au Sénégal comme d’autres personnes, sauf que lui, il était un ancien chef d’Etat. Tout comme il avait besoin d’un coiffeur ou d’un tailleur, il a eu besoin d’un banquier. Il est devenu mon client et il a déposé dans la banque que je dirigeais des sommes qui n’avaient rien d’excessif.
Combien ?
Je ne vous le dirai pas. Secret professionnel oblige.
Des centaines de millions ?
Mais certainement pas. C’est une opération bancaire normale, habituelle, non interdite. C’est tout ce que je peux dire.
L’opposition dit que si le procès se tient à Dakar, vous pouvez être appelé à la barre…
Pour complicité de torture et de meurtre ?
Ils disent que l’argent que Habré a amené au Sénégal appartenait à l’Etat tchadien…
Habré est poursuivi pour des crimes contre l’humanité. Il n’a jamais été poursuivi pour avoir détourné de l’argent public. Et je ne vois pas en quoi on va me demander de venir à la barre témoigner.
Vous ne prévoyez pas cette éventualité ?
Laissons la justice suivre son cours et puis, on décidera.
Le gouvernement a pris la décision d’interdire la mendicité suite à l’affaire de la Médina. Certains marabouts contestent et menacent même mystiquement le gouvernement….
Le gouvernement n’a jamais pris la décision d’interdire la mendicité. Il a pris la décision de faire appliquer la loi. Que peut-on attendre d’un gouvernement, sinon de faire appliquer la loi. Je crois également, peut-être, qu’on crée un peu de mauvaise foi, de la confusion dans les propos que j’ai tenus. Nous n’avons rien contre les « Daaras ». Par contre, il y a « Daaras » et faux « Daaras ». Lorsqu’un enfant de 4 ou 5 ans est réveillé le matin à 5h ou 6h, qu’on lui fait parcourir des kilomètres pour lui exiger de revenir avec du sucre ou de l’argent, il arrive épuisé dans un lieu comme celui de la Médina. Ils s’entassent à 80 dans une baraque sans eau, sans lumière, qui dorment très peu, on les réveille le lendemain. C’est de l’exploitation organisée et cela est réprimé par notre loi.
Vous êtes au cœur de la politique, même si vous n’êtes pas un politicien. Avez-vous des ambitions politiques ?
J’ai l’ambition de contribuer de toutes mes forces et de tout mon engagement à la réussite de la politique que le Président Macky Sall définit pour la Nation.
Mais est-ce qu’on peut s’attendre à ce que vous rejoigniez les rangs d’un parti ?
Pour l’instant, c’est hors de question. Simplement parce que le président de la République m’a choisi en me disant très clairement : «Je retiens pour diriger un gouvernement de coalition quelqu’un qui ne fait pas de politique et je ne souhaite pas que vous en fassiez.» J’ai accepté le contrat.
Est-ce qu’on ne peut pas dire dans ce cas que vous avez été freiné par le Président Macky Sall dans vos ambitions, parce que vous avez eu à assister à une réunion du directoire de l’Alliance pour la République (Apr), mais aussi à un dîner des cadres de ce même parti…
Vous avez raison, j’ai assisté à une réunion du directoire de l’Apr. Mais en fait, le terme «assisté» est excessif. J’étais en séance de travail avec le Président Macky Sall qui devait présider une réunion du directoire et il m’a demandé de l’accompagner pour me présenter au directoire de son parti. Ce qu’il a fait. Au cours de cette réunion, j’ai dit que je n’avais jamais fait de politique au vrai sens du terme, mais que j’étais disponible si le président de la République me le demandait. Mais on ne m’a pas freiné.
Le Président Macky Sall a demandé aux membres du gouvernement de suivre Moustapha Niasse quand il a été dit que ce dernier avait déposé sa déclaration de patrimoine. Le chef du gouvernement que vous êtes, a-t-il suivi la recommandation de Macky Sall?
J’ai fait ma déclaration de patrimoine depuis très longtemps. Je l’ai déposée entre les mains du président de la République, qui l’a fait savoir en Conseil des ministres.
Pourquoi lui et non les institutions habilitées ?
C’est lui qui m’a nommé et je sais bien que si je la dépose ailleurs, on me la rendra.
Vous êtes à la tête d’un gouvernement d’une grande coalition, « Bennoo bokk yaakaar », composée de partis qui ont des ambitions différentes. Pensez-vous qu’elle va survivre ?
L’histoire politique du monde montre que les coalitions peuvent durer ou être éphémère. Personnellement, compte tenu de cette équipe avec laquelle j’ai pris l’habitude de travailler, j’espère qu’elle durera le plus longtemps possible, mais vous ne pouvez pas maintenir par la force quelqu’un qui souhaite partir, qui trouve un intérêt politique à ne plus rester.
Bientôt les Locales, Rewmi d’Idrissa Seck commence à se positionner, il sort des déclarations pour dire que le gouvernement doit respecter telle ou telle façon de faire. La solidarité gouvernementale ne s’en ressent-elle pas ?
Le président de la République est très clair. En conseil des ministres, il dit : «Ici, nous conduisons l’Etat. Nous sommes ensemble et on applique la politique que j’ai définie. Hors de cela, vous avez vos activités politiques, vous les menez». Il arrivera par contre un moment où le rubicond étant franchi, à ce moment, il faudra prendre de la décision. Mais cela ne sera pas ma décision. Je ne peux pas ne pas faire la politique et décider de mettre fin à la coalition.