La situation sur les grossesses précoces est très préoccupante. Une étude a montré que 1 571 grossesses sont survenues en milieu scolaire. Malgré la politique de l’Etat par le biais du PAQUET (Projet pour l’Amélioration de la Qualité de l’Equité et de la Transparence).
Les importants acquis enregistrés dans la lutte contre l’analphabétisme et l’illettrisme des filles, durant cette dernière décennie, sont menacés très sérieusement par les mariages des collégiennes dans la circonscription scolaire de Linguère. Alors que les défis de l’accès et de la parité dans le secteur sont en train d’être relevés, les mariages et grossesses précoces se multiplient avec leurs lots de complications dans certaines zones dépourvues de structures sanitaires. Au CEM Kadji Madjia, « les mariages suivis de grossesses hantent le sommeil des acteurs de l’éducation. Et pour cause ! 25 filles sur les 133 inscrites sont mariées. Parmi elles, 4 allaitent leurs enfants, entre deux cours. Ce sont 3 candidates au BFEM et une adolescente en classe de 6e qui sont touchées par ce fléau.
Et on se demande si elles auront les ressources physiques et mentales de terminer leur cursus. Rien n’est moins sûr. En 4e, une des 9 filles mariées a failli perdre la vie, en donnant naissance à son premier enfant dans le courant du mois d’avril 2015», s’insurge le Principal Pape Masseck Seck. Il renchérit : « Professeurs et surveillants s’inquiètent et s’interrogent sur le maintien des filles dans ce collège qui compte moins de garçons que de filles. Ici, plus de 18% des filles sont identifiées comme mariées. Nous craignons que le défi du maintien puisse être relevé ». Contrairement aux préjugés et clichés, notre interlocuteur renseigne que l’écrasante majorité des cas recensés concerne des Wolofs.
Les parents, au banc des accusés
La menace est réelle et ne concerne pas que cet établissement. Et même au Primaire, le phénomène prend de l’ampleur. La pauvreté des familles qui offrent leurs enfants aux hommes n’est pas l’unique explication, selon plusieurs parents interrogés. Ils soutiennent que c’est le seul moyen dont ils disposent pour éviter les grossesses hors mariage. Les activités d’information, d’éducation, de sensibilisation et de formation menées par les différents acteurs (enseignants, responsables de clubs EVF, de la scolarisation des filles (SCOFI), para juristes, etc) ne semblent pas freiner la tendance.
Le problème de l’éducation des filles, dans le département de Linguère, demeure un défi à relever, malgré toutes les actions que la SCOFI départementale est en train de déployer pour le maintien des filles à l’école. En effet, selon Diama Seck, présidente de la SCOFI, dans le département de Linguère, les mariages précoces sont plus fréquents dans la zone de Gassane (18 cas) de Kadji et de Barkédji. Au lycée Alboury Ndiaye de la commune de Linguère, 20 cas de grossesses précoces sont notées. Même si certaines élèves sont mariées, cette situation ne contribuera pas à l’achèvement du cursus scolaire qui est un perpétuel combat de la SCOFI. Quant au viol, 3 cas ont été décelés dont les deux sont suivis de grossesse.
Cette même épidémie de grossesse a touché les établissements de Dahra, renseigne Mariama Diakhaté, présidente de la SCOFI section Dahra. À l’école élémentaire de Montagne, une élève en classe de CM2 aurait été engrossée par un conducteur de moto Jakarta. Mais son supposé bourreau a été relâché quelques mois plus tard au bénéfice du doute. Selon le proviseur du lycée ex-Cem 1 de Dahra, « au Sénégal, les gens s’intéressent chaque fois à des assises sur d’autres aspects de la société. Mais je pense que ce phénomène mérite des assises parce qu’il comporte un effet destructeur. Si vous faites un tour dans les villes, villages et quartiers, vous vous rendrez compte que c’est un phénomène que personne ne surveille. C’est un crime que de laisser faire, qu’il faut coûte que coûte stopper. »
L’aspect culturel, un vrai dilemme
A en croire Moussa Ndiaye, « les gens n’ont pas la même conception de la culture. Par conséquent, même si l’Etat s’engageait à prendre ce problème à bras le corps, ce serait délicat, parce que les ethnies ont des conceptions différentes de ces mariages précoces. » Trouvée dans une radio de la place, cette dame, qui préfère garder l’anonymat, nous confirme cet aspect culturel. Hal pulaar bon teint, elle confie au reporter d’EnQuête son histoire. « On m’a donnée en mariage en 5e secondaire. Je ne pouvais pas refuser. C’est ce qui a hypothéqué mes chances de réussir dans les études. » Et notre interlocutrice de poursuivre sa dénonciation : « Nos parents peuls qui vivent en milieu rural continuent de donner la main de leurs fillettes à l’âge de 10-12 ans. C’est scandaleux.»
Pour atteindre le seuil maximal de la scolarisation et du maintien de la gent féminine dans les établissements, l’Etat gagnerait à axer sa communication sur la sensibilisation et à criminaliser les mariages précoces, comme on l’a fait avec le vol de bétail.
Mamadou Ndiaye (Linguère)
Seneweb