Quand je pense à l’Afrique, je pense toujours à une vieille mère qui, au soir de sa vie, à l’image de Sisyphe qui descend la montagne, fait le bilan quand elle voit sa maison vide, vidée de ses enfants ; une mère qui, le matin, face au désespoir de sa progéniture restée à côté d’elle, éclate en sanglots. Pour faire simple, c’est comme une mère sénégalaise ayant certains de ses enfants en Europe et en Amérique du Nord et qui voit les plus jeunes, restés au Sénégal avec elle, sans perspective aucune, sans espoir, qui les voit prendre des décisions insensées pour tenter de survivre, comme utiliser des embarcations de fortune pour aller, par les mers, en Europe. Et pourtant ! La vie humaine est née ici, les premiers hommes, tous les historiens le reconnaissent maintenant- Cheikh Anta Diop l’avait démontré- les premières civilisations humaines, se sont développés ici. La nécessité ou les contingences ont créé les départs du continent africain et le peuplement progressif de la terre. On appelle cela aujourd’hui émigration. Cette semaine encore une étude fort intéressante sur les origines noires des blancs Européens a été publiée . Cette étude présentée au cours du 84e congrès de l’Association américaine des anthropobiologistes vient de démontrer que les Européens « blancs » ne seraient apparus qu’il y a 8.000 ans environ. Les premiers habitants de L’Europe, venus d’Afrique il y a environ 40.000 ans, avaient la peau noire ! En comparant les génomes de 83 individus découverts sur différents sites archéologiques, les chercheurs ont montré que la population actuelle était le résultat de la rencontre entre trois peuples, au néolithique : des chasseurs-cueilleurs présents depuis le paléolithique, des fermiers arrivés du Proche-Orient il y a 7.800 ans, et des bergers venus du nord de la mer Noire, les Yamnaya, il y a 4.500 ans. L’étude a montré que les premiers, présents dans le Sud de l’Europe, avaient la peau noire, comme le prouve l’absence chez eux des gènes SLC24A5 et SLC45A2, responsables de la dépigmentation. Dans le nord en revanche, certains disposaient de ces deux gènes et d’un troisième, HERC2/OCA2, responsable des yeux bleus et des cheveux blonds. Les fermiers venus du Proche-Orient avaient aussi le teint clair. Et ce qui expliquerait par la suite le nombre plus élevé de Blancs serait que que la peau blanche favorise la synthèse de vitamine D, essentielle dans les régions peu ensoleillées, avantageant donc Blancs. Tel n’est pas mon sujet aujourd’hui. En parlant des Africains, Je ne pouvais m’empêcher de faire ce long détour, à partir d’une lecture récente, pour montrer que les Européens ont été des émigrés Africains, il y a de cela quelques milliers d’années, mais nous savons tous que mille ans n’est pas grand-chose sur une échelle de l’histoire. Je voulais en réalité parler ce soir des enfants de l’Afrique que la Méditerranée vient d’engloutir, comme jadis, elle dévora des millions d’Africains pendant ce qui fut appelée la traite négrière, ou traite des Noirs ou plus simplement Guinée. Saviez-vous qu’au moins 15 millions de Noirs ont été déportés d’Afrique vers l’Occident entre le 15eme siècle et le 19eme siècle en passant par l’Océan Atlantique ? Les chiffres sont, il est vrai, différents d’un auteur à l’autre. Beaucoup d’auteurs ont proposé des chiffres proches de 12 millions. L. Lacroix estime qu’il s’agit au minimum de 32 millions de personnes arrachées de la terre africaine.. A cela, n’oubliez pas d’ajouter les 7 millions déportés par l’intermédiaire des Arabes à travers le Sahara entre le 7ème et le 20ème siècle avec un pic au 10ème siècle ! Qu’est-ce à dire ? 20 à 40 millions d’Africains ont été arrachés à l’Afrique mère, dans des conditions insoutenables. Saviez-vous que, pendant soixante ans, l’Afrique versait plus 120.000 nègres par an aux Antilles Saviez-vous que le 20% à 30% périssaient dans le voyage ? Déduisez le nombre d’Africains ayant péri dans l’océan atlantique pendant la traversée ? 3 à 9 millions selon les diverses estimations, mes chers amis ! Horrible, n’est-ce pas ? Dans un livre sur les Antilles, Eugène Édouard Boyer de Peyreleau, militaire et homme politique français, raconte, en 1853, l’horreur dans les navires négriers : « Qu’on se figure des êtres humains entassés comme des ballots de marchandises dans des compartiments qu’ une cupidité barbare leur a ménagés avec parcimonie, où ils ne respirent qu’un air méphitique qui les tue (…) Ces malheureux, la plupart décharnés et accroupis comme des brutes, soutiennent à peine leur tête où l’on ne découvre presque plus d’ expression ; de jeune femmes de 15 à 16 ans exténuées de besoin et de misère, tiennent des enfants à leurs mamelles déjà pendantes et desséchées. L’horreur de ce tableau est encore accrue par les maladies que l’insalubrité et les privations ont produites. Le quart plus ou moins de la cargaison est ordinairement moissonné pendant la traversée et ceux qui survivent paraissent insensibles à la mort de leurs compagnons, le même sort les attend d’un instant à l’autre. Pourrait-on s’imaginer que des hommes qui se disent civilisés et chrétiens se rendent ainsi de sang froid les bourreaux d’autres hommes dont tout le tort envers eux est d’être nés sous d autres cieux et d’être d’une couleur différente ? » L. Lacroix raconte l’odyssée du brick parti du Havre le 24 janvier 1819 : il a embarqué 160 esclaves. Le 21 juin, il arrive à la Guadeloupe : 39 Noirs aveugles ont été jetés à la mer, 12 sont borgnes, 14 ont des atteintes très graves de la cornée. Les armateurs ont été dédommagés pour marchandise avariée ! L’histoire de bateau négrier parti de Paimbeuf et monté par des français est connue. En avril 1830, ledit navire se brise sur les rochers du Diamant, on trouve les corps de 46 Noirs et de 4 Blancs sur la plage. Les jours suivants, 49 cadavres vinrent à la côte. 80 Noirs, en majorité des femmes, furent sauvés grâce à des efforts importants. La maigreur extrême des cadavres fut observée. L’histoire se répète-t-elle ? Qui disait, complétant la pensée de Hegel, que « tous les grands événements et personnages historiques se répètent pour ainsi dire deux fois, la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce ? ». L’Angleterre, la France, l’Espagne et le Portugal furent les Etats qui étaient les plus dynamiques dans ce commerce atroce qui ravagea le Continent. Des siècles pendant lesquels les Africains les plus robustes furent extraits, à la fleur de l’âge, pour le développement des pays européens et des Amérique. Il faut le dire. L’Afrique ne s’est jamais relevée de cette période, très récente sur une échelle historique (2 siècles alors que la traite a duré presque 5 siècles !). Le miracle, pour moi, est que l’Afrique ait continué à exister. Suite logique de cette traite, l’Afrique, à genoux, subit ce qu’on a appelé le colonialisme qui fut en fait le pillage systématique des ressources naturelles disponibles (ils cherchèrent d’ailleurs l’or avant les esclaves, Hughes THOMAS l’a montré dans son brillant, volumineux mais très instructif livre intitulé « La traite des Noirs 1440-1870 »). Cette exploitation continue de nos jours sous une forme plus pernicieuse. Ils ont créé des Etats et installé des Nègres pour que ceux-ci les gèrent à leur place et à leur profit. Bien sûr les Nègres-gérants récupèrent toujours les subsides qui tombent de leurs assiettes et de leurs coffres. Les Nègres-gérants s’appellent Présidents – et ils sont si fiers de le dire ou de le faire répéter : Son Excellence Monsieur le Président ! Aujourd’hui, ces Etats Africains sont tous en banqueroute ou en semi-banqueroute, et le suicide des jeunes Africains est l’expression de cette banqueroute. Il n’y a pas de production intérieure brute qui puisse générer sérieusement et durablement de l’emploi. Le Sénégal avec ses 200.000 km2 se met à rêver. Pour tromper la galerie, on leur donne des sucettes ou des formules à répéter à l’infini. Par exemple, on leur donne la formule « pays émergent » à répéter comme solution au développement alors que tout le monde sait que ces « Etats » n’ont pas été créés pour se développer et les marchés sont trop étroits et dépendants. Je ne considère pas au Waalo le Mauritanien, le cousin, qui est en face de moi comme une personne qui a une nationalité différente de la mienne. Nous sommes non seulement de la même nation mais de la même famille biologique. Le fleuve Sénégal n’a jamais été une frontière qui nous séparait. Il renforçait nos liens. Les jeunes sans travail savent bien qu’ils sont dans un labyrinthe sans fin. Ils se disent, qu’avec les conquêtes et les droits acquis dans les pays occidentaux et octroyés à tous les hommes, y compris aux Nègres, avec la force de travail dont ils disposent, la solution est d’aller en Europe et d’y tenter une vie. Ils vont par voies multiples. « L’Europe ou la mort », disent-ils, pensent-ils, car cette formule « Barsakh ou Barcelone » est sans ambigüité aucune. En réalité, la parenthèse historique ouverte avec la Traite Négrière et qui s’est poursuivie avec la colonisation n’est pas fermée. Elle ne peut s’achever que par une destruction totale de l’Afrique (l’Afrique, notamment sa jeunesse, engloutie dans les mers) ou par une renaissance africaine matérialisée par une indépendance réelle par rapport aux esclavagistes et colons européens. Pour nous, cette renaissance ne peut s’illustrer que par les Etats Unis d’Afrique. Tout notre problème est cette transition, transition entre deux époques, celle de la Traite suivie de la colonisation, et celle de la renaissance. Nous vivons à l’Intérieur des Etats, et même si nous avons cette perspective en ligne de mire, nous savons que toutes les conditions ne sont pas encore réunies, notamment ce qu’on peut appeler le facteur subjectif c’est à dire la création d’une cohorte de militants panafricanistes conscients qui refuse de prendre la mer et réfute cette devise abjecte et dangereuse :« L’Europe ou la mort ». Oui des milliers, des millions de partisans de la renaissance qui choisissent la voie terrestre au lieu de la voie maritime, qui décident de récupérer toutes les ressources naturelles, toutes les richesses de l’Afrique, pour le compte exclusif de ceux qui ont décidé de rester en Afrique, qui considèrent comme leur pétrole, le pétrole du Nigéria ou de la Guinée équatoriale, leur diamant, celui du Congo ou de l’Afrique du Sud, qui se débarrassent des « Nègres-Gérants » et reconstruisent la nation. Il s’agit certainement d’une longue marche mais il n’y a pas d’autre issue. Nous savons bien que les colonialistes ne nous feront pas de cadeau car dès qu’un Africain dérange, ils se donnent les moyens de le démettre, Kwamé Nkrumah avec son « Africa must unite », Abdoulaye WADE avec le protocole pour transformer la CEDEAO en Confédération politique et son insistance sur l’unification africaine. Nous devons nous hâter à réaliser les Etats Unis D’Afrique, seul cadre à moyen terme, à partir duquel les Africains et tous ceux qui ont décidé de rester en Afrique (l’Afrique sait être généreuse) pourront s’épanouir. Si l’Europe pouvait construire un mur dans la Méditerranée ou dans l’Atlantique, elle le ferait aujourd’hui. Les murs qu’ils ont construits chez nous, les frontières qu’ils ont bâties quelquefois à l’intérieur de nos concessions familiales doivent être détruites.

Oumar SARR

Coordonnateur National du PDS

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