« Quand les visages relevés et tendus par le chirurgien s’effondrent, quand les massages ne suffisent plus à réprimer l’envahissement de la graisse, celles qui ont gardé si longtemps l’apparence de la jeunesse deviennent pires qu’étaient, au même âge, leurs grand-mères. » (Alexis CARREL, l’Homme, cet inconnu, p. 212.)
Récemment, un ami qui a lu un entretien que nous avons accordé à un journal raillait en nous disant « vous avez été très dur avec Karim WADE ! ». Il nous demandait de lui expliquer pourquoi nous nous opposerions à une grâce présidentielle en faveur de notre compatriote. Nous avons été ainsi inspirés de nouveau car nous devons préciser que nous n’écrivons pas sur un homme mais nous commentons sur des faits. A notre ami qui posait la question, nous avons envie de dire que nous aurions utilisé les mêmes mots pour parler d’un frère de parti qui se serait enrichi de façon illicite. Notre vocabulaire devra servir à quelque chose. Nous cherchons éperdument à le rendre impartial, impersonnel et universel. Loin de la suspicion, des émotions et des partis pris, « l’Homme, cet inconnu » doit comprendre qu’il ne peut exister en dehors du Verbe, du mot, donc de Dieu. Pour parler comme Hugo, « le mot c’est le Verbe et le Verbe c’est Dieu. »(Les Contemplations, I, VIII). Nous sommes d’avis que les sénégalais, pour l’essentiel, sont des croyants. Croyance en Dieu et aux valeurs républicaines. L’Homo Senegalensis n’est pas « cet inconnu » ; il est connu pour sa religiosité, sa tolérance et son acceptation de l’autre. Mais qu’est-ce qui pourrait expliquer notre entêtement à vouloir nous enfermer dans ce cercle réducteur de la politique au point de défier le Maitre des Mondes en cherchant injustement à dénuder les mots de leurs sens? Est-ce parce que notre intention est de faire mal ?
Ces derniers temps, face à ce qu’il est convenu d’appeler « l’affaire Karim WADE », beaucoup de sénégalais continuent d’user de leur verve pour ergoter sur la question. Normal ! Dans un pays démocratique et de droit-pour nommer notre cher Sénégal- l’expression de la pensée de façon verbale (oralement ou par écrit), renforce l’image de notre démocratie. Quoi qu’il en soit, si notre langage de tous les jours trahit volontairement notre pensée, nous nous écartons de la droiture, du Sentier d’Allah pour rejoindre les rangs des alliés de Satan. Le pays ne s’en porterait que mal. L’authenticité, la neutralité, la tendance vers l’objectivité, la correction et la sincérité doivent être les piliers sur lesquels reposent tous nos discours et toute notre action. A nous autres qui écrivons ou parlons, rappelons-nous que chaque mot à un sens ; les maux viennent du fait que beaucoup cherchent à nous faire prendre des vessies pour des lanternes. Aujourd’hui le débat devra être un débat conceptuel plutôt qu’un arc-boutement sur des positions politiques qui empêchent de situer la vérité. Comme nous nous situons à ce niveau, nous souhaitons faire partie de la race des grands esprits qui discutent d’idées et non d’hommes.
Pour en revenir au débat conceptuel, nous invitons nos compatriotes à méditer sur les termes suivants : Répression, enrichissement illicite, grâce présidentielle (totale ou partielle), traque des biens mal acquis… De la réactivation de la CREI jusqu’au verdict du procès de Karim WADE, ces mots n’ont cessé de bourdonner autour de nous. Gardons-nous d’être indifférents aux terminologies et de nous intéresser seulement aux hommes. La mission fondamentale de La Cour de Répression de l’Enrichissement Illicite est connue : réprimer veut dire « arrêter l’effet ou l’action » de quelque chose, « empêcher (un sentiment, une tendance) de se développer, de s’exprimer » (Le Grand Robert). Donc si nous intentons des procès dans le but de freiner la concussion et l’acquisition illicite de biens, nous trouvons que c’est une excellente chose. La CREI ne s’intéresse pas à la convocation des pauvres mais à des riches dont l’opulence étonne et à qui on demande simplement de justifier la licéité de leurs biens. La gouvernance saine et vertueuse n’est-elle pas une demande sociale ?. Nous pensons très honnêtement que, autant les massages aident à « réprimer l’envahissement de la graisse », autant le fameux procès devra refléter le vrai visage, l’objectif réel de la Cour, c’est-à-dire empêcher la mauvaise tendance qui consiste à s’enrichir illicitement de se développer. Nous ne sommes pas de ceux-là qui croient qu’une catégorie de dignitaires est ciblée par la CREI du fait de leur appartenance politique. (Nous pouvons nous tromper). Notre souhait est de voir la justice de notre pays traiter tous les dossiers avec équité et transparence. Si demain un responsable proche du régime de son Excellence Macky SALL est épinglé et condamné à subir le même sort que Karim WADE (je touche du bois !), qu’il en soit ainsi ; nous applaudirons de nos dix mains ! Oui pour une exploration de tous les dossiers et non au ciblage biaisé !
Plus important : nous ne voulons pas d’une CREI qui ne vise que l’emprisonnement. Revenons au vocabulaire. On parle de « traque de biens (supposés) mal acquis ». La charge sémantique est lourde. Les sénégalais ne se réjouiront jamais de voir un homme croupir en prison pendant six bonnes années au bout desquelles on passe l’éponge sur les milliards dont il est question. Le contribuable doit recouvrer son dû. Il est question de « traque des biens» et non de poursuite délibérée d’une personne. Donc l’objectif final de la fouille est de faire sortir le gibier qui se nomme « ARGENT ». A l’endroit de notre ami qui nous demandait pourquoi nous sommes contre la grâce présidentielle, nous reprécisons notre pensée : nous ne sommes pas pour la grâce totale. Nous avons déjà dit que nous ne sommes pas pour l’emprisonnement. Le Président peut décider d’une commutation ou d’une grâce partielle mais les sanctions pécuniaires doivent être appliquées.
Un appel : soutenons toutes les actions gouvernementales tant qu’elles s’inscrivent dans la légalité et la prise en charge des préoccupations du peuple. Erigeons-nous en sentinelles pour défendre notre chère patrie contre tous les maux susceptibles de l’abimer.
Un rappel : nous avons entendu le ministre de la justice dire « qu’il ne faut pas se réjouir du malheur des autres » (sic). Avis que nous partageons. Aucun sénégalais ne doit se réjouir du malheur qui frappe son frère. Dans la même veine, nul ne doit se réjouir d’un malheur populaire. Et le peuple sénégalais est malheureux qui est victime d’expropriations et de spoliations.
Un mot contre les maux : la vertu, cette force avec laquelle l’homme tend au bien, tel que Dieu le recommande.
« Les politiques grecs qui vivaient dans le gouvernement populaire ne reconnaissaient d’autre force qui pût le soutenir que celle de la vertu. Ceux d’aujourd’hui ne nous parlent que de manufactures, de commerce, de finances, de richesses, et de luxe même ». (MONTESQUIEU, l’Esprit des lois, III, III.)
Moussa NDIAYE, Maire de la Commune de Thiamène-Pass, Proviseur du Lycée Dahra 1.