On ne présente plus Djibo Leyti Kâ. Agé de 62 ans, il a travaillé avec les trois présidents qui ont eu à présider aux destinées du Sénégal. Ce qui fait de lui l’un des hommes politiques dont les analyses sont bien écoutées. Avec lui, l’Obs a essayé de décortiquer l’actualité nationale, non sans tenter de l’interpeller sur des questions le concernant directement son avenir politique.

Quelle est votre position sur le débat actuel, qui concerne la candidature de Wade à la présidentielle de 2012  ?

C’est un débat malsain et je n’aimerais pas qu’il perdure. D’abord, j’ai l’impression forte que l’opposition, comme d’habitude, a encore trouvé là quelque chose à dire, parce que pratiquement elle n’a plus rien à dire et bientôt elle va encore chercher quelque chose d’autre, croyez-moi. Ce débat est malsain. Il n’est pas juste car tout le monde sait que le président actuel, Wade, élu depuis 2000, l’est sur la base d’une ancienne Constitution qui ne date pas de 1963 mais qui a été modifiée. C’était à l’époque un mandat de sept ans, qui a été modifié le 14 août 1998, qui avait prolongé le mandat présidentiel de sept ans, rompant ainsi le consensus de 1991. Sous ce rapport, la Constitution adoptée en janvier 2001, qui est entrée en vigueur le 7 janvier 2001, ce mandat-là n’est pas rétroactif (…). Donc Wade est élu en 2000 sur la base de l’ancienne Constitution, réélu en 2007 sur la base de la Constitution de 2001, celle-ci limitant les mandats à deux. Donc, il a le droit de se représenter pour un troisième mandat, c’est évident. Je le pense sincèrement. Troisièmement, j’ai vu des constitutionnalistes s’en saisir, mais ils ont des masques de partis politiques. Donc c’est un débat politique et en tant que politique, je soutiens qu’il a le droit absolument, sur la base de la Constitution de 2001, de se présenter pour un troisième mandat. Donc un deuxième mandat au regard de la Constitution de 2001. C’est un débat malsain. C’est encore l’opposition qui l’a ouvert, elle va ouvrir un autre. Nous travaillons pour qu’il soit réélu triomphalement en 2012, dans le cadre de l’Alliance Sopi pour toujours. Le Conseil constitutionnel tranchera le moment venu.

Pour parler du Conseil constitutionnel, vous avez suivi les réactions des politiques sur la nomination de Cheikh Tidiane Diakhaté, à sa tête…

C’est un débat politique, certainement politicien. Ils ont mélangé ceux qui ne sont pas ensemble. Diakhaté est un magistrat de haut rang, éminent, compétent. Je le connais à peine, je n’ai pas besoin de le connaître davantage. S’il a gravi tous les échelons jusqu’à présent c’est parce qu’il est compétent, il est rigoureux et qu’il a bien fait son travail comme il se doit, conformément à la loi qui régit les magistrats. Donc en tant que républicain, je ne peux pas le jeter en pâture et je le regrette profondément, surtout les socialistes, ils n’ont pas le droit de le faire.

Pourquoi ?

Parce qu’ils savent que ce n’est pas juste, c’est même malsain et je m’en arrête là.

À vous entendre parler, on a l’impression qu’il y a des sous-entendus dans votre propos.

Il n’y a aucun sous-entendu, permettez-moi que je m’en arrête là. Moi, je parle de ceux qui lancent des pierres à Diakhaté et à d’autres.

Et si le président ne se présente pas en 2012 pour une raison ou pour une autre ?

Pourquoi tu supposes qu’il ne se présentera pas ? Pour moi, il est déjà candidat donc je travaille pour qu’il soit dans de meilleures conditions. Le fait que tu supposes qu’il ne puisse pas être candidat est suspect. Je n’ai pas de doute là-dessus, il n’y a aucun doute, on va le réélire en 2012.

Est-ce que M. Kâ pense déjà à sa retraite politique ?

Non, jamais. Pourquoi tu me poses cette question ? Je ne suis pas encore vieux. Je n’ai que 62 ans, je rends grâce à Dieu, je suis solide, je suis conscient, j’ai des atouts, mon parti marche fort, je suis en contact tous les jours avec les militants, les Sénégalais de toutes conditions et obédiences. J’ai reçu un chef religieux, je n’ai jamais imaginé qu’il pouvait en exister de cette nature-là dans ce pays, j’ai eu une longue conversation avec lui, qui était très fructueuse, donc pourquoi pas.

Donc va pour le prochain président du Sénégal ?

Bien sûr, mais après Wade.

Pour quelqu’un qui veut être le quatrième président du Sénégal comme Idrissa Seck, est-ce que cela ne vous gêne pas de le voir se rapprocher de Wade ?

Ben non. Pourquoi ? C’est la démocratie. Il faut savoir jouer. Chacun est dans son parti.

Mais vous avez les mêmes ambitions…

Pourquoi vous citez seulement Idrissa Seck ? Il y a d’autres, il y en a plusieurs. Il y aura beaucoup de candidats après Wade. On verra. Le peuple tranchera. Je n’ai aucun doute là-dessus, le peuple tranchera.

Vous ne craignez pas avec les manœuvres en cours qu’Idrissa Seck bloque vos ambitions ?

Pourquoi ? Il est dans son parti, moi je suis dans mon parti, et d’autres dans d’autres.

Mais vous qui voulez toujours être le 4ème  président du Sénégal ?

(Il coupe) Je ne veux pas être le 4ème président, c’est le parti qui en a décidé ainsi.

D’accord, mais avec la rivalité qu’il y a autour du président, est-ce qu’il est cohérent pour quelqu’un qui veut être le quatrième président du Sénégal, de rester  à côté de Wade ?

Vous parlez de quelle rivalité ?

Avez-vous toujours votre place à côté de Wade ?

Pourquoi pas ? Je ne suis pas là-dedans moi.  Je suis dans mon parti. Ils sont dans leur parti. Donc on s’entend très bien.  Chacun est bien dans son élément. On tire dans le même sens, mais on est différent.

On dit que, dans une élection présidentielle, celui qui détient le pouvoir a plus de chance de passer…

(Il coupe).  Là, c’est Wade qui détient le pouvoir. Et tout le monde souhaite qu’il soit élu, et il le sera incontestablement.

Donc vous restez parce que son héritage tombera entre les mains de ceux qui l’entourent ?

Ça dépend. C’est vous qui le dites. D’autres disent autre chose. Ça dépend. Ce n’est jamais donné d’avance. Il faut se battre à l’intérieur des appareils, des médias et du peuple.

Aujourd’hui, quelles sont vos relations avec Idrissa Seck ?

Ça fait longtemps qu’on ne s’est pas vu. On s’est vu une seule fois depuis les retrouvailles autour du président de la République autour d’un déjeuner, depuis lors on ne s’est pas vu.

Mais les retrouvailles tardent à prendre forme. Qu’en pensez-vous ?

Et pourquoi ? C’est effectif.

La place d’un allié de la trempe d’Idy, n’est-elle pas dans le gouvernement ?

C’est Wade seulement qui peut répondre à cette question. Je n’ai aucune réponse là-dessus. Je n’ai aucun avis à émettre sur cette question. Ça ne me concerne pas.

Le problème c’est que, dans ce jeu, les noms de ceux qui sont en pôle position sont cités mais pas le vôtre.

Tant pis, moi je suis conscient de ce que je fais et où je vais. Les noms qui sont cités sont des concurrents dans le cadre d’un système, je ne fais pas partie de ce système-là, ni de ce parti. Je n’en fais pas partie grâce à Dieu. Tu as compris. J’ai mon parti, ils ont leur parti.

Pour avoir travaillé avec Senghor, Diouf et Wade, à votre avis quel doit être le profil du quatrième président, pour l’intérêt des Sénégalais ?

Moi, j’ai le profil (Rires). Vous me provoquez, ça c’est de la provocation. Je comprends votre question. Honnêtement, je pense que le prochain président du Sénégal après Wade, si je dresse un tableau, on va dire qu’il s’est décrit lui-même.

C’est-à-dire ?

Il doit être compétent, naturellement, maîtriser les questions économiques. Les dossiers économiques dans le monde qu’aucun homme politique ne peut ignorer. Il ne s’agit pas de faire des déclarations politiciennes à l’emporte-pièce. Tout le monde peut le faire. Mais pour gérer des problèmes concrets d’un pays en développement, la transition économique, ce n’est pas facile, ce n’est pas évident. Et si vous avez devant vous des bailleurs de fonds avec lesquels vous ne pouvez pas vous comprendre, vous ne pouvez pas vous entendre, vous n’avez pas le même langage, la même formation économique surtout… Donc il doit maîtriser les questions économiques, sociales et financières. Il faut connaître le monde actuel, maîtriser les relations internationales. Et il doit avoir la tête sur les épaules. Avoir du sang-froid. Etre capable de faire face à des crises majeures. Parce qu’un Etat, ce n’est pas n’importe quoi, ce n’est pas une boutique. Ce n’est pas un parti politique, c’est un ensemble très complexe. Avoir le sens de l’équilibre, connaître le pays des profondeurs. Ne pas être un boy Dakar. Je ne dis pas que les Dakarois ne peuvent pas être de bons présidents mais il ne faut pas être boy de ville. Il faut connaître les villes et les campagnes, donc connaître le pays des profondeurs. Il faut objectivement connaître la société sénégalaise dans toute sa complexité. Le Sénégal est un Etat, une société très complexe. Une nation qu’il faut consolider dans toutes ses composantes. Et connaître également la géopolitique régionale, les problèmes africains les plus complexes. Donc pour être un bon président du Sénégal des temps modernes, il faut avoir le sens de l’anticipation, avoir surtout du sang-froid et de la compétence technique.

Quelle serait alors sa mission ?

Cerner le Sénégal plus rigoureusement encore sur la voie de l’émergence, pour en faire un Etat présent au rendez-vous du donner et du recevoir. Le Sénégal est prêt pour s’engager dans la voie du développement. On y est déjà sur le plan sociologique, sur le plan humain, sur le plan ressources humaines et suivant des compétences techniques dans tous les domaines. Il y a des frémissements, donc il suffit de poser quelques actes majeurs, pour que ce pays-là décolle. J’en suis persuadé.

Latir Mané

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