D’abord une image d’Epinal, qui a fait la Une de la plupart des journaux, le lendemain du 23 juin 2011 : le rappeur Kilifa, membre du mouvement « Y en a marre », toisant un policier du Gmi impassible, affichant avec fougue sa détermination à ne pas bouger d’un iota de la place Soweto, siège de l’Assemblée nationale, où des députés félons s’apprêtaient à voter une loi scélérate qui, si elle était passée, allait sonner le glas de la démocratie sénégalaise. Cette émeute citoyenne pendant laquelle tout un peuple s’est mis debout, comme un seul homme, pour faire barrage à un anachronique projet de dévolution monarchique du pouvoir, est entrée dans les annales de l’histoire africaine. Il y a quelques mois, ce sont de jeunes activistes Burkinabés du « Balai citoyen », inspirés par leurs homologues sénégalais, qui ont été à la pointe du combat démocratique qui a fait chuter le régime de Blaise Compaoré, à la stupéfaction générale.
Ainsi, à l’heure où des activistes du mouvement « Y en a marre » croupissent dans les geôles à Kinshasa pour « atteinte à la sureté de l’Etat », nous voudrions exprimer notre soutien total à Fadel Barro, Malal Talla, Aliou Sané et leurs camarades d’infortune. Cette virée congolaise de jeunes activistes africains, dans un pays considéré comme un «scandale géologique», méthodiquement saigné à blanc par les différentes élites prédatrices qui se sont succédé au pouvoir, est lourde de symboles à plus d’un titre. Il y a près de 50 ans, un autre étranger idéaliste, du nom d’Ernesto Che Guevara, après le triomphe de la révolution cubaine, avec une poignée de « barbudos », voulut y implanter un maquis pour libérer le Congo de la férule des assassins de Patrice Lumumba.
L’odyssée congolaise du Che tourna court, en partie à cause de l’incompétence et de l’amateurisme crasse d’un de ses principaux compagnons de lutte, un certain…Laurent Désiré Kabila ! Par une de ses ironies dont l’Histoire seule a le secret, c’est le fils de ce dernier, qui est aujourd’hui soupçonné, par une bonne partie de l’opinion publique congolaise, de vouloir perpétuer son règne, aux moyens de micmacs constitutionnels, après avoir succédé à son père, assassiné dans des circonstances troubles. A la place de la Kalach du Che, Fadel Barro et ses amis n’ont pour armes que leurs idées, twitter et facebook. La révolution 2.0 a remplacé les « focos » jadis théorisés par Guevara et force est de constater qu’elle est autrement plus efficace.
Avec la création de la Cpi, malgré ses insuffisances de « tribunal pour dictateurs nègres », l’éveil d’une conscience citoyenne à l’échelle continentale est l’une des meilleures nouvelles qui soit arrivée à l’Afrique depuis des décennies. Pour la première fois, la peur est en train de changer de camp et les satrapes savent qu’ils sont en sursis. Il existe depuis longtemps un ras le bol général de cette jeunesse africaine, si longtemps laissée pour compte, qui n’en peut plus de l’incurie de certaines de ses élites dirigeantes.
Avant le mouvement « Y en a marre », la chanson prémonitoire de Tiken Jah Fakoly, justement intitulée « On en a marre », au vu de sa résonance sur tout le continent, avait constitué un puissant avertissement pour les autocrates. Et quand l’artiste ivoirien chante « Quitte le pouvoir », il fait toujours trembler bien des palais africains. « Y en a marre » et leurs épigones n’ont fait qu’embrayer sur cette lame de fond qui donne raison à la théorie prophétique d’Herbert Marcuse : « C’est seulement par ceux qui sont sans espoir que l’espoir est permis ». Aujourd’hui, concernant l’Afrique et ses dirigeants, face au défi de cette désespérance sociale qui sourd de partout et dont la jeunesse est le plus puissant révélateur, il y a peu d’alternatives. Soit accompagner et encadrer l’insurrection civique des mouvements de type « Y en a marre » qui s’érigent de plus en contre-pouvoir démocratiques, soit subir le nihilisme meurtrier d’insurgés issus de sectes comme Boko Haram, qui n’hésitent pas à envoyer des gamines de sept ans se faire exploser dans des lieux publics.
Dans ces conditions, pour nous, le choix est vite fait et peu importe donc que Fadel Barro et cie soient financés par le Département d’Etat, les habitants de la planète Mars ou des adventistes du septième jour, si le résultat consiste à redonner de l’espoir aux « damnés de la terre » ! La grande différence entre les « Y en a marristes » et les adeptes du complot permanent ? Eux s’engagent, prennent des risques, alors que leurs brillants censeurs tirent des plans sur la comète ou refont le monde dans leurs salons douillets.